Damien Ernst : “Il ne reste plus que deux risques majeurs, cet hiver, pour les prix de l’énergie”

Damien Ernst
Damien Ernst, professeur à l’ULiège.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le professeur de l’ULg constate que les prix se sont stabilisés à un niveau deux fois et demie supérieur à l’avant-crise. Loin des niveaux fantasmagoriques de l’été dernier. Seules menaces : une attaque contre les infrastructures ou une fin d’hiver glaciale.

Un an après le début de la guerre en Ukraine, Damien Ernst, professeur à l’ULiège, fait le point pour Trends Tendances sur l’impact énergétique.

A-t-on conjuré le sort après une crise énergétique sans précédent ?

Damien Ernst : Le gros problème que l’on a eu concernait l’approvisionnement en gaz. Avant même la guerre en Ukraine, la Russie avait commencé à fermer progressivement le robinet, tandis que la demande était forte en raison de la reprise post-Covid. En décembre 2021, le prix était de 70 euros par MWh, alors qu’il était de 18 euros/MWh auparavant. Quand la guerre a débuté, nous sommes arrivés à des prix situés entre 70 et 100 euros/ MWh. Mais c’est après la « maintenance » de North Stream 1 que les prix se sont littéralement envolés : jusqu’à 200 euros/MWh l’été 2022, voire 300 à 350 euros/ MWh pour des périodes de temps assez limitées.

Cela étant, le marché de l’énergie a finalement très bien fonctionné. Ces prix élevés ont permis d’attirer beaucoup de bateaux de gaz liquéfié (LNG) et de diminuer la consommation. On a su rééquilibrer l’offre avec la demande en Europe. L’été chaud et des mois d‘hiver doux ont permis d’éviter le désastre. Le prix est retombé à 50 euros/ MWh, après avoir chuté à 110 euros/ MWh en décembre.

Sommes-nous sortis de l’auberge pour autant ?

Damien Ernst: Pas forcément. Tout d’abord, nous restons avec un prix du gaz plus élevé qu’avant la crise. Ce prix de 50 euros/MWh semble être le nouveau prix d’équilibre. C’est deux fois et demie plus élevé qu’avant la crise, mais nous sommes tout de même loin des prix fantasmagoriques de l’an dernier, qui étaient jusqu’ à quinze fois plus élevés.

Pour un ménage moyen, cela signifie que l’on arrive à une augmentation de la facture située entre 500 et 1000 euros par an, et même un peu moins grâce à la diminution de la TVA de 21% à 6%. Alors que l’on avait évoqué au pic de la crise une explosion de la facture de 5000 à 6000 euros par an, ce qui aurait provoqué une catastrophe sociale sans pareil.

Ensuite, le risque majeur serait qu’il y ait une attaque sur une infrastructure énergétique, je pense notamment aux gazoducs qui relient la Norvège à l’Europe. Un autre risque serait une fin d’hiver très froide ou un hiver prochain très rigoureux. Nous sommes encore comme une personne blessée, qui reste très fragile.

Les deux prochains hivers ne sont-ils pas, en réalité, les plus préoccupants ?

Damien Ernst: Comme je l’ai dit, je pense que l’on restera avec des prix du gaz assez élevés. Il n’y aura pas de nouvelles capacités de LNG avant 2025 ou 2026 parce qu’il faut du temps pour créer des capacités de liquéfaction du gaz.

A-t-on pu réorienter nos sources d’approvisionnement énergétiques ?

Damien Ernst: C’est en bonne voie. La capacité  additionnelle de gaz liquéfié  que l’on a importé pour compenser le manque de gaz russe équivaut à 500 à 600 TWh/an, ce qui représente tout de même environ 15% de notre consommation de gaz. C’est significatif. Pour donner un ordre de grandeur, c’est l’équivalent de la production en énergie de 75 réacteurs nucléaires.

Par ailleurs, s’il y a un seul élément positif à retirer de cette crise, c’est que la filière nucléaire a retrouvé sa place dans le mix énergétique, mais on a payé cela très cher. Les anti-nucléaires n’ont plus la place qu’ils occupaient auparavant, on n’entend plus leur message. Est-ce à dire qu’ils n’empoisonneront plus le débat ? Ils risquent de revenir à l’attaque d’ici quelques années.

Enfin, on constate une accélération du développement des énergies renouvelables. Les prix étant très élevés, tous les voyants sont revenus au vert pour les nouveaux investissements en renouvelable. Cela dit, on ne remplace pas 1500 TW de gaz russe si facilement. Pour donner une image, il faudrait recouvrir l’équivalent de deux fois la province de Liège en panneaux photovoltaïques pour y arriver – et sans tenir compte des fluctuations de cette énergie.

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