“C’est délétère pour le climat, l’économie européenne, notre sécurité d’approvisionnement et notre souveraineté” : la fermeture de Tihange 1 vue de France

Tihange 1 - Credit : WePlanet
Baptiste Lambert

Maxence Cordiez, expert en énergie associé à l’Institut Montaigne, très suivi sur les réseaux sociaux, se penche sur le cas Tihange 1, qui a récemment été mis à l’arrêt. Rien qu’on ne sache pas déjà, mais sa tribune, qu’il livre aux Echos, est une importante cure de rappel.

« La fermeture de Tihange 1 est sans lien avec des enjeux de sûreté », rappelle d’emblée Maxence Cordiez. Elle résulte de « décisions politiques anciennes, prises et confirmées par les deux derniers gouvernements ». Pourtant, ajoute-t-il, « elle aura de lourdes conséquences en matière de climat, de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement, qui ne se limiteront pas à la Belgique »

Le constat est technique mais sans appel : « L’électricité qui ne sera plus produite par Tihange 1 le sera principalement par des centrales à combustibles fossiles. » En Europe, ce sont les centrales à gaz qui ajustent leur production pour équilibrer l’offre et la demande. En Belgique aussi.

Le surplus d’émission s’élèvera à environ 3 millions de tonnes de CO₂ par an

Dès lors, la moindre réduction de la part du nucléaire accroît mécaniquement la production fossile. « Si l’on suppose que cette électricité est intégralement produite par des centrales à gaz, le surplus d’émission s’élèvera à environ 3 millions de tonnes de CO₂ par an », souligne Cordiez. Cela représente une hausse de 3 % des émissions territoriales belges.

Une souveraineté énergétique fragilisée

Le spécialiste français élargit l’analyse : « L’Europe est lourdement dépendante d’importations pour son approvisionnement en gaz. » Certes, la dépendance à la Russie a diminué depuis la guerre en Ukraine. Mais « celle au gaz naturel liquéfié (GNL), importé notamment des États-Unis, s’est accrue ».

Et Maxence Cordiez d’alerter sur la conjoncture géopolitique : « L’hostilité du gouvernement Trump à l’encontre de l’Europe devrait nous pousser à limiter ce genre de dépendance. » Il insiste : « Toute action conduisant à accroître la dépendance européenne au gaz fossile n’est pas seulement néfaste pour le climat. C’est également délétère pour l’économie européenne, notre sécurité d’approvisionnement et notre souveraineté ».

Le choix de l’inaction

Cordiez regrette une planification défaillante. « La planification des capacités nucléaires s’inscrit dans le temps long », rappelle-t-il. Et dans le cas de Tihange 1, « il est à présent urgent d’œuvrer à son redémarrage ».

Il pose un cadre clair : « Construire un nouveau réacteur est immensément plus complexe, long et coûteux que de prolonger l’exploitation des réacteurs existants lorsque c’est possible, même si cette prolongation implique des travaux ».

Engie Electrabel devrait soit faciliter le redémarrage de manière à poursuivre l’exploitation

Une responsabilité partagée

Le gouvernement belge ne serait pas le seul à devoir assumer ses choix. L’exploitant aussi est visé. « Engie Electrabel devrait soit faciliter le redémarrage de manière à poursuivre l’exploitation, soit simplifier sa cession à un autre exploitant s’il souhaite s’en désengager », tranche Cordiez.

Mais pour lui, ce dossier dépasse les logiques industrielles : « La décision de prolonger ou d’arrêter Tihange 1 doit s’inscrire dans une vision cohérente de la politique énergétique européenne ».

Où en est-on ?

Tihange 1 est à l’arrêt mais n’est pas mort“, affirme Mathieu Bihet (MR), ministre de l’Énergie, dans une interview à Trends-Tendances qui doit paraître demain. À bonne source, on nous confirme effectivement qu’aucun acte irréversible n’a été commis, malgré la fermeture du réacteur, qui ne produit plus d’électricité depuis le 1er octobre.

Tihange 1 est à l’arrêt mais n’est pas mort

Le démantèlement, à proprement parler, ne démarrera pas avant 2028. Mais de premières étapes cruciales, comme la décontamination chimique, pourrait intervenir plus tôt, l’année prochaine ou en 2027.

Il n’en reste pas moins que l’horloge tourne et qu’une mise aux dernières normes (WENRA) reste nécessaire, et que celle-ci doit être anticipée et qu’elle coûtera de l’argent. “On ne redémarre pas un réacteur en quelques mois, mais en plusieurs années“, nous indique-t-on.

Une carotte

Les cartes sont aussi entre les mains d’Engie, qui possède la moitié de la centrale, aux côtés de Luminus, filiale d’EDF. “Des réunions sont en cours”, nous confirmait récemment le cabinet du ministre de l’Energie, sans pouvoir en dire plus. EDF ne plongera pas dans le nucléaire belge sans rentabilité et a bien observé ce qui s’est passé dans la prolongation de Tihange 3 et Doel 4 : l’Etat belge a mis la main au portefeuille.

La question est de savoir si le gouvernement De Wever sera en capacité de donner une carotte à l’énergéticien français. De son côté, Mathieu Bihet reste volontairement discret sur les discussions. Mais plusieurs scénarios sont sur la table, indique-t-il à Trends-Tendances, dont certains permettraient “une remise de Tihange 1 sur le réseau dès 2027 ou 2028”. Pas certain que l’AFCN, le gendarme de la sureté nucléaire, soit du même avis…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire