En visite chez Fischer, le dernier fabricant belge de parapluies
Dans le film”Les galettes de Pont-Aven”, Jean-Pierre Marielle vend des parapluies, sans grand succès, avant de se tourner vers une vie d’artiste bohème. A Koekelberg, la maison Fischer a plus de chance : depuis plus de 120 ans, la famille dont l’entreprise porte le nom fabrique et vend des parapluies de qualité… malgré la concurrence asiatique.
1. La découpe suivant le patron
Sélectionné sur catalogue en fonction des modes du moment, le tissu imperméabilisé spécial utilisé par la société Fischer est importé d’Italie ou d’Allemagne. D’une largeur moyenne de 56 cm, il est divisé en “pointes” grâce aux patrons, ces cartons qui permettent de tracer à la craie les formes triangulaires sur le tissu. “On taille ensuite celui-ci à l’aide d’une machine à coupe électrique ou avec une paire de ciseaux d’une trentaine de centimètres de long”, indique Christian Fischer, l’arrière-petit-fils du fondateur, qui précise qu’au plus fort de la production, les employés utilisaient une presse pour couper en masse. Il faut huit pointes pour fabriquer un parapluie.
2. Les premières coutures
Les pointes sont assemblées deux à deux en surjetant un biais sur leur longueur commune, c’est-à-dire en exécutant un point à cheval sur les deux bords de tissu. C’est une machine des années 1970, la surjeteuse, qui coupe, surfile et assemble les pointes en une seule opération pour obtenir une “couverture”.
3. Les aiguillettes
“On y ajoute ensuite les aiguillettes, ces petits supports cylindriques creux, que l’on place à l’extrémité de chaque intersection de pointe”, précise Christian Fischer. Principalement décoratives, les aiguillettes permettent également de fixer le bout de chaque baleine. Emplacement sensible de la toile, le sommet est ensuite renforcé par un anneau cousu pour éviter que la tête ne se déchire à la moindre sollicitation.
4. Les montures
Dorées, boisées, argentées ou encore en fibre de verre, Fischer travaille avec une vingtaine de montures différentes déjà confectionnées qu’il importe d’Asie. “Le mât de l’armature est placé sur une machine appelée Kronenring qui coud le tissu sur les baleines – ces huit branches reliées au mât – pour tendre la couverture.” Fixées manuellement aux aiguillettes, les baleines sont plus ou moins solides en fonction de leur matière : l’acier renforcé et la fibre de verre sont incassables alors qu’une petite pression sur du métal zingué suffit pour le faire céder. La phase “tissu” est pratiquement terminée, il ne manque plus que le fermoir. Découpé dans la même étoffe que la couverture, il est serti via des calottes fixées de part et d’autre du tissu.
5. Les poignées
“Pour protéger le parapluie, on place un godet au ras des baleines pour qu’il puisse se refermer sur celles-ci quand l’accessoire n’est pas utilisé.” Il faut donc employer une machine pour tenonner, façonner le manche s’il est en bois. En général, sa largeur oscille entre 16 et 20 mm. “C’est très solide, très classe… Un vrai bel objet, mais qui est du même coup, très lourd.” La poignée – fixée manuellement en touche finale – peut être en java, en cuir, en bois, en jonc, en simili, etc. Sa forme peut prendre des apparences fort différentes, de la simple espagnolette courbée à la pomme en passant par la rose et même la tête de chien.
6. Une mode changeante
Avec ses parapluies de qualité, la maison Fischer jouit d’une bonne réputation. A l’Exposition universelle de 1958, des mannequins défilaient avec ses parapluies. “Il nous arrive encore de temps en temps de voir une de nos productions passer à la télévision, suite à une commande spéciale d’un musée pour accueillir la reine Mathilde à la sortie de sa voiture, par exemple”, raconte Christian Fischer. Dans les années 1980, les clients raffolaient du parapluie porté en bandoulière. “Aujourd’hui, la tendance est plutôt aux modèles transparents ou miniatures : certains peuvent même se ranger dans des étuis à lunettes !”
7. Une histoire de famille
Représentant pour une firme allemande de parapluie, en décelant le potentiel du marché bruxellois, Emile Fischer a décidé de se lancer seul, un beau jour de 1896. “Pour rendre visite à la totalité de ses clients situés entre la gare du Midi et celle du Nord, il lui fallait une semaine, raconte son arrière-petit-fils. Depuis 121 ans, les descendants d’Emile Fischer ont toujours trouvé normal de se passer le relais à la tête de l’entreprise.” Définitivement établie dans un ancien atelier de confection de costumes à Koekelberg, la société Fischer est donc destinée à être reprise par Nicolas Fischer, la cinquième génération.
“On a toujours essayé de faire le maximum par nous-mêmes. Certains éléments doivent être importés (baleines et tissus, Ndlr) mais la coupe du tissu et le collage de la poignée ont débuté dans les années 1980 quand le fournisseur historique de montures, un Allemand, a décidé de se lancer lui-même dans la fabrication de parapluies. Ensuite, ce sont les parapluies asiatiques bon marché qui ont débarqué. Fischer a dû revoir sa stratégie. “Aujourd’hui, vu que la tendance est de ne pas dépenser plus de 70 euros pour un parapluie, on se doit de travailler dans l’import-export… Sinon on est mort”, explique Christian Fischer. Du coup, c’est environ 80.000 pièces étrangères qui transitent par l’entreprise par an.
Mais pas question de laisser tomber le travail manuel pour autant. L’entreprise compte encore six salariés. Avec ses 47 ans de métier, Marie Van Humbeeck est l’unique rescapée des dizaines d’ouvrières de Fischer et endosse dès lors les différentes tâches jadis réparties individuellement : découpe, piquage, confection, couture, etc. En moyenne, il lui faut 20 minutes pour confectionner un parapluie. Fischer en produit encore 250 par an, vendus environ 60 euros sous la marque Parfi. Il y a une trentaine d’années, les 50 employés de la société en réalisaient 60.000 par an. Forcée de s’adapter à la réalité du marché, l’entreprise bruxelloise a toutefois trouvé le moyen de garder la main sur le tissu. “Nous offrons toujours la possibilité de réparer les parapluies passés par chez nous, quel que soit leur âge : nous avons toutes les pièces dans nos ateliers”, explique Christian Fischer. De temps en temps, des collectionneurs ou amateurs de beaux objets font réparer un manche en ivoire ou un tissu quadragénaire.
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