“Dubaï est en bonne voie pour devenir l’une des meilleures destinations au monde pour manger”

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Lorsqu’on lui a proposé il y a cinq ans de s’installer à Dubaï, le chef français Renaud Dutel a hésité à rejoindre le riche émirat du Golfe, plus connu pour ses gratte-ciel scintillants que pour sa culture culinaire.

Pour ce cuisinier formé dans de prestigieux établissements français, la métropole érigée en plein désert qui abrite 3,5 millions d’habitants, dont 90% d’expatriés, n’apparaissait pas comme un choix de carrière évident. 

Aux commandes du STAY by Yannick Alléno, auréolé de deux étoiles par le célèbre guide Michelin, le jeune chef originaire de Montluçon se réjouit aujourd’hui d’avoir “pris le risque”. “Dubaï est encore au début mais elle est en bonne voie pour devenir l’une des meilleures destinations au monde pour manger”, affirme-t-il.

Avec plus de 13.000 restaurants et cafés représentant plus de 200 nationalités différentes, l’émirat a toujours vanté la diversité de son offre, bien qu’aucun de ces établissements n’ait jusqu’à présent décroché les trois étoiles, distinction suprême du guide Michelin. Mais avec l’arrivée ces deux dernières années de guides gastronomiques réputés tels que le Michelin, Gault et Millau ou le World’s Best 50 Restaurants, Dubaï veut précisément se positionner comme un “hub gastronomique”, assure Issam Kazim, directeur d’un organisme public chargé de promouvoir l’émirat.

Si elle a accueilli 14 millions de touristes en 2022, rien ne prédestinait pourtant cette ville à viser un tel titre, contrairement à d’autres régions du monde arabe, du Levant au Maghreb, aux cultures culinaires renommées. 

“Volontarisme politique”

Le Golfe n’a connu ni histoire de cours royales, qui favorisent l’épanouissement d’une grande cuisine, ni processus de “gastronomisation” des traditions culinaires, explique Loïc Bienassis, chargé de mission scientifique à l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, basé en France. Mais “tout est peut-être à faire et le volontarisme politique peut jouer un rôle”, ajoute-t-il.

Si la cuisine émiratie, qui associe les saveurs de la péninsule arabique aux épices asiatiques, est très loin de trôner en tête des classements, Dubaï mise surtout sur son brassage culturel pour développer une identité culinaire singulière. Et le secteur de la restauration a connu un essor phénoménal, porté par la stratégie de diversification économique de l’émirat, moins riche en pétrole que ses voisins du Golfe. En s’imposant comme la capitale des affaires et du tourisme de luxe au Moyen-Orient, Dubaï a attiré des stars de la cuisine comme les Français Yannick Alléno et Pierre Gagnaire, le Britannique Gordon Ramsay, le Japonais Nobu Matsuhisa ou encore l’Italien Massimo Bottura.

L’avocat et blogueur culinaire émirati Habib Al Mulla, qui a évalué plus de 700 établissements dans le monde, témoigne de cette évolution, où jusque dans les années 2000, les plats se dégustaient essentiellement à domicile. Depuis 2020, “nous sommes entrés dans une troisième phase”, marquée par l’arrivée des “gourous” de la critique gastronomique et l’émergence d’une “nouvelle génération de chefs élevés à Dubaï”, affirme Habib Al Mulla. 

“100% dubaïote”

A seulement 27 ans, Solemann Haddad a été récompensé d’une étoile Michelin pour son restaurant Moonrise, perché sur le toit d’une luxueuse tour où il ne sert que 12 convives par service.

De mère française et de père syrien, le jeune chef dit refléter dans ses plats l’esprit cosmopolite de sa ville d’adoption, mariant le foie gras à un sirop de dattes et un chutney de safran et d’ananas. “Je définis ma cuisine comme étant un tiers européenne, un tiers japonaise, un tiers arabe, mais 100% dubaïote“, s’amuse-t-il.

Dans un pays qui importe plus de 80% de ses besoins alimentaires, les restaurateurs ne peuvent guère jouer la carte du terroir, mais certains mettent en avant les rares produits locaux. Au Boca, un restaurant méditerranéen au cœur du quartier des affaires, “80% des poissons et fruits de mer sont locaux ou proviennent de côtes proches des Emirats”, se félicite le propriétaire, Omar Shihab. Entre 30 et 40% des fruits et légumes sont achetés auprès des fermes hydroponiques émiraties, ajoute cet entrepreneur d’origine jordanienne, reconnaissant toutefois ne pas avoir d’alternatives pour les viandes.

“Soyons réalistes, nous vivons dans le désert”, rappelle-t-il.

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