En Asie, les liens se resserrent pour motif environnemental

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En 2024, la transition énergétique pourrait créer des liens nouveaux et inattendus sur tout le continent asiatique et amortir l’influence dominatrice de la Chine.

Si l’on se concentre uniquement sur le conflit entre la Chine et l’Amérique, on risque de passer à côté d’autres changements qui s’avéreront tout aussi importants pour les pays asiatiques. Le plus important d’entre eux concerne la transition énergétique de la région. En 2024, l’essor des liens énergétiques en Asie pourrait réécrire la façon dont les pays asiatiques coopèrent entre eux, aux côtés d’une Chine dominante.

Prenons l’exemple des économies à croissance rapide de l’Asie du Sud-Est. Leur demande en énergie devrait augmenter d’un tiers d’ici à 2050. Pourtant, ces mêmes pays ont promis de réduire leurs émissions à un niveau quasi nul. Ce ne sera pas une mince affaire, étant donné que les énergies renouvelables ne représentent à ce jour que 15 % de la production d’électricité en Asie. En Indonésie, en Malaisie et aux Philippines, le charbon reste roi.


La région dispose pourtant d’un beau potentiel en matière d’énergies renouvelables. Le Mékong produit déjà beaucoup d’énergie hydroélectrique, surtout au Laos, mais pour l’instant, cela représente un coût environnemental important pour le puissant fleuve. L’immense île de Bornéo, divisée entre l’Indonésie et la Malaisie, est également riche en potentiel hydroélectrique. Cependant, cette production est très éloignée des principaux centres industriels et urbains de la région.

Vers un projet de super-réseau ?

D’où la nécessité d’un réseau de câbles longue distance et d’interconnexions énergétiques transfrontalières. Le super-réseau européen, qui compte plus de 400 interconnexions, permet de réaliser d’énormes économies en faisant correspondre la demande à la capacité disponible. Un tel réseau en Asie du Sud-Est, actuellement inexistant, permettrait de réduire les prix des énergies propres et de donner un coup d’accélérateur à la transition énergétique. En outre, la mise en place d’un super-réseau pourrait favoriser des habitudes de coopération plus larges dans une région marquée par des nationalismes exacerbés et la paresse bureaucratique.


Pendant des années, on ne pouvait pas se tromper en pariant contre les interconnexions asiatiques. Mais l’opinion change rapidement, en partie à cause de la hausse des prix des hydrocarbures, et en partie parce que la technologie des réseaux a progressé à pas de géant. Une série d’accords d’interconnexion ont été signés en août lors d’un sommet régional à Bali. Dans le cadre d’un projet pilote prometteur, le Laos envoie désormais de l’électricité à Singapour via la Thaïlande et la Malaisie. Ce pays insulaire, qui dispose de peu d’espace pour ses propres énergies renouvelables, est en pourparlers avec l’Etat malaisien de Sarawak au sujet d’un câble sous-marin en provenance de Bornéo. En 2024, il examinera de plus près les câbles énergétiques sous-marins vers le Cambodge et les fermes solaires prévues sur les îles indonésiennes voisines. Tout cela permettra à Singapour de couvrir près d’un tiers de ses besoins en électricité à l’avenir.

Cohérence régionale

De tels projets peuvent renforcer la cohérence régionale, une aubaine à une époque de turbulences entre grandes puissances. Les projets énergétiques peuvent également constituer de précieux contrepoids à une Chine qui s’affirme souvent. Grâce à l’abondance du soleil et du vent, l’Australie dispose d’un potentiel pour la production d’hydrogène “vert”, obtenu par séparation de l’eau à l’aide d’énergies renouvelables. La région de Pilbara, dans l’ouest de l’Australie, fait l’objet de projets ambitieux en vue de la création d’un vaste centre d’énergie renouvelable. Le Japon et la Corée du Sud sont intéressés par l’hydrogène et l’ammoniac (un moyen de stocker l’hydrogène sous une forme plus transportable). La technologie n’a pas encore été testée à grande échelle, mais si elle fonctionne, elle aura pour conséquence géopolitique de rapprocher trois partenaires démocratiques naturels.

Les tentatives de l’Australie et d’autres pays pro-américains de desserrer l’emprise de la Chine sur l’approvisionnement et le traitement des terres rares et des minéraux critiques, dont plusieurs sont indispensables aux technologies renouvelables, vont dans le même sens. En Mongolie, certains veulent utiliser l’abondance de terres rares locales pour se rapprocher des puissances occidentales. Un enjeu de poids pour ce pays inconfortablement coincé entre ses voisins géants, Chine et Russie.

Aucun de ces efforts ne constitue une menace immédiate pour la domination de la Chine dans plusieurs domaines essentiels à la transition énergétique. Elle reste le plus grand exportateur de panneaux solaires, le plus grand fournisseur de batteries pour véhicules électriques et le plus grand transformateur de minerais essentiels. Mais la transition offre de nouvelles options aux pays asiatiques situés dans l’ombre de la Chine. Au cours de l’année à venir, ils les saisiront.

Dom Ziegler, chroniqueur à Singapour pour “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”

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