“Plus on est riche, plus on émet de CO2” Pourquoi Oxfam est dans le faux
L’ONG Oxfam estime que, par définition, plus on est riche, plus on émet de CO2. Mais c’est bien plus compliqué que cela.
Alors que la COP28 va bientôt ouvrir ses portes, l’ONG Oxfam publie son nouveau rapport sur les inégalités climatiques dans le monde. Sa conclusion, largement reprise et commentée, est que les 1% les plus riches émettent plus de CO2 que les deux tiers les plus pauvres de l’humanité soit plus de 5 milliards de personnes et que les 0,1 % les plus riches sur cette planète, soit 7,7 millions de personnes, émettent davantage de CO2 que 38 % de la population mondiale, soit 2,9 milliards d’individus. La moitié la plus pauvre de l’humanité ne serait responsable que de 8% des émissions mondiales. Et si on ne s’intéresse qu’aux pays développé, un milliardaire comme Bernard Arnault aurait une empreinte carbone équivalente à celle de 1158 Français (ou Belges) moyens.
Et dès lors, c’est facile : l’effort à faire pour décarboner la planète revient finalement à quelques millions de personnes, les plus riches. Et voilà le problème du changement climatique résolu.
Une question de méthode
Malheureusement, ce n’est pas si simple, car la méthodologie d’Oxfam est très douteuse. Elle est presque tautologique : elle suppose que plus on possède de patrimoine et plus un produit est cher, plus grande est l’émission de carbone. Et donc forcément, le problème climatique n’est que le reflet du problème des inégalités et de la concentration de richesse. La boucle est bouclée.
Or, c’est bien plus compliqué. L’Insee, l’institut français des statistiques, a publié discrètement un petit papier (voir ici : https://blog.insee.fr/consommation-vs-empreinte-carbone-calcul-piegeux/ ) qui explique pourquoi.
D’abord, qu’est-ce que l’empreinte carbone ? C’est la quantité de gaz à effet de serre émise directement en consommant (quand on se chauffe ou qu’on conduit sa voiture) et indirectement (quand on consomme un bien ou un service produit en émettant du carbone).
Pour bien mesurer l’empreinte carbone des riches comme des pauvres, il faut trois éléments.
Il faut d’abord disposer de données détaillées décrivant les caractéristiques des ménages ou des individus : le revenu, l’âge, le lieu de résidence, le type d’habitation, le statut d’activité, la catégorie socio-professionnelle, …. Il faut connaître en détail la quantité physique des biens ou services consommés par individu. Et il faut disposer aussi de la quantité de carbone émise par ou contenue dans chacun de ces biens ou services.
Le casse-tête des émissions indirectes
Le problème concerne surtout les deux derniers points. Car si on sait grosso modo combien un ménage émet directement de CO2 en se déplaçant ou en se chauffant, le reste, c’est-à-dire les émissions indirectes, est bien plus difficile à calculer. On ne dispose pas pour nos pays, et encore moins pour la population mondiale, d’études assez fines pour dire exactement qui consomme quoi dans quelle proportion et avec quelle empreinte carbone. Or, ces émissions indirectes constituent plus de 80% de l’empreinte carbone des ménages.
La quasi-totalité des études se basent sur deux présupposés très problématiques : ces études considèrent l’empreinte carbone d’un ménage en regardant la dépense réalisée pour chaque catégorie de produits (par exemple : une voiture neuve). Et elles supposent que dans cette catégorie, chaque produit a la même empreinte carbone. Mais ce n’est pas le cas. L’exemple type est celui des « nouvelles voitures ». Quand une famille achète une nouvelle voiture, quelle va être son empreinte carbone, qui peut varier d’un facteur 5 selon le véhicule que l’on achète ? Aucune statistique n’est suffisamment précise pour calculer l’empreinte carbone des véhicules acheté par catégorie de revenu, et encore moins sous-catégorie (les 0,1% les plus riches, par exemple).
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Un milliardaire émet-il autant de CO2 que 1000 ouvriers ?
Un autre problème, criant dans le rapport d’Oxfam, est de confondre mode de vie (et donc empreinte carbone) et richesse. Certes, intuitivement, on se dit bien, en effet, qu’en utilisant des yachts, des jets privés et en vivant dans de grandes propriétés, l’empreinte carbone d’un milliardaire doit être plus élevée que celle d’un citoyen lambda. Mais est-ce qu’être actionnaire d’une entreprise vous rend responsable de la totalité du CO2 émis par elle ?
Oxfam observe pourtant qu’avec son patrimoine, le propriétaire du groupe de luxe LVMH Bernard Arnault émet 2,3 millions de tonnes de CO2 par an, alors que celui du Français moyen n’émet que 10,7 tonnes. Mais Bernard Arnault est-il responsable, en proportion de sa détention du capital de LVMH, des émissions de tous les sacs Vuitton produits et vendus dans le monde ? Un actionnaire d’Exxon ou de TotalEnergies est-il responsable des émissions de CO2 des voitures qui font leur plein chez Exxon ou TotalEnergies ? On voit bien que l’on comptabilise l’émission deux fois, une fois chez l’actionnaire, l’autre fois chez le consommateur. On confond stock et flux. On confond propriété et consommation. Lier l’émission carbone au patrimoine et non au mode de vie est donc une première erreur.
Une deuxième est de postuler que, dans une même catégorie, plus le produit est cher, plus il émet de carbone. Un sac Vuitton se vend 2.000 euros. Un sac de gamme modeste s’affiche à 50 euros. Peut-on en déduire que fabriquer un sac Vuitton émet 40 fois plus de carbone ? Or, c’est ce que font la plupart des études actuelles qui, par manque de données, raisonnent en famille de produits et lient l’empreinte carbone à la dépense. Mais est-ce qu’une bouteille de vin à 300 euros a une empreinte carbone 100 fois plus élevée qu’une bouteille à 3 euros ?
Un écart riches-pauvres réduit ?
Un troisième biais qui dérive du deuxième consiste à se baser sur le prix et non les quantités consommées. Pourtant, si la bouteille de vin à 3 euros et celle à 300 ont la même empreinte carbone, le riche et le moins riche qui dépense la même somme pour la même famille de produit n’ont pas la même empreinte carbone, puisque le moins riche va consommer 100 bouteilles, et le riche une seule. Dans notre exemple vinicole, l’empreinte du riche est cent fois inférieure à celle du pauvre…. Or, si on ne considère que la dépense, l’empreinte carbone est la même.
Il n’est donc pas impossible, observe un statisticien de l’Insee, que les études actuelles – même celles qui sont bien plus tempérées que celle d’Oxfam et qui estiment que, dans nos pays les 10% les plus riches émettent trois à quatre fois plus de CO2 que les 10% les plus pauvres -, soient biaisées et que l’écart entre riche et pauvre soit plus faible.
S’il y a une conclusion à tirer de ceci, c’est qu’on ne nie pas qu’il existe des écarts de revenus importants, ni que le monde émette bien trop de gaz à effet de serre. Mais si l’on veut mettre en place des politiques crédibles, il faut des statistiques qui le soient aussi.
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