Pierre Wunsch, gouverneur de la BNB: “Décarboner l’économie, c’est l’équivalent d’un choc pétrolier”

Décarboner l’économie
© ChatGPT
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Pour le gouverneur de la Banque nationale, décarboner notre économie représente un effort de 2 à 3,5% du PIB. C’est donc réalisable, mais ce ne sera pas une promenade de santé.

Il n’y a pas un jour sans que l’on parle de transition énergétique ou de défi climatique. Pas un jour sans que l’on s’interroge sur la manière dont on peut amener l’économie mondiale à réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.

Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale, s’est lancé dans le débat depuis un certain temps déjà. On se souvient chez Trends-Tendances d’un exposé qu’il avait présenté en 2021, à l’occasion de la remise du prix du CFO of the Year, dans lequel, déjà, il avait expliqué pourquoi le choc d’une décarbonation était supportable pour l’économie belge. Plus récemment, le gouverneur de la BNB a animé une conférence organisée par le Peterson Institute for International Economics, à Washington, et il vient de signer un chapitre intitulé A Cost-Efficient Transition to Climate Neutrality dans l’ouvrage collectif réalisé à l’issue de cette conférence. Dans ce dernier, il explique comment on peut parvenir à décarboner nos économies de la manière la plus efficiente possible.

Son message peut se résumer en trois points. Un, la décarbonation est réalisable à des coûts supportables. Deux, pour embarquer la population, il ne faut pas promettre la lune. “Le soutien public et politique à la transition ne doit cependant pas être considéré comme acquis”, dit-il. Il faut donc être attentif à ce que l’on dit. Et trois, soyons pragmatiques avant tout.

Un objectif réalisable

“Décarboner l’économie ne sera pas un free lunch, mais les coûts sont supportables”, explique Pierre Wunsch. Il estime, en se basant sur un prix du CO2 de 150 euros la tonne, que le passage à une économie décarbonée sera l’équivalent d’un choc pétrolier. “Pour la Belgique, dit-il, on parle d’un choc de l’ordre de 2 à 3,5% du PIB, soit entre 12 et 21 milliards, étendu sur 25 ans. C’est équivalent à une perte de croissance de 0,1% par an”.

Évidemment, ce ne sont pas des estimations précises. Les progrès technologiques d’un côté, le coût des énergies fossiles de l’autre, pèsent sur l’équation. Mais cela donne l’idée de base : verdir l’économie, c’est l’équivalent de ce que nous avons vécu dans les années 1970, mais réparti sur une plus longue durée.

Plusieurs raisons expliquent ce relatif optimisme. D’abord, le fait que les prix de l’électricité verte soient de plus en plus bas et compétitifs, “même si l’on tient compte de la nature intermittente des sources d’énergie renouvelables”, précise le gouverneur de la BNB, qui ajoute que, lorsqu’elle s’accompagne de gains d’efficacité substantiels comme pour les véhicules électriques et les pompes à chaleur, l’électrification (verte) est même susceptible d’être imbattable”.

Par ailleurs, il existe déjà de nombreuses technologies qui réduisent, à faibles coûts, les émissions de carbone. Et ces coûts devraient continuer à baisser.

Pas une promenade de santé

L’objectif net zéro est donc réalisable, mais ce ne sera pas une promenade de santé. Car ce verdissement va demander des efforts multiples : au niveau de la réallocation des ressources, au niveau de l’investissement (qui devra être de l’ordre de 2% du PIB), et cela va aussi peser sur l’inflation et les taux d’intérêt. Mais “l’ampleur de ce mouvement ne devrait pas être trop importante”, ajoute-t-il.

Un point plus délicat est sans doute politique. “L’un des principaux problèmes est de conserver l’adhésion des électeurs, prévient Pierre Wunsch. Ces dernières années, la communication institutionnelle et politique sur la transition climatique a été quelque peu contradictoire. D’un côté, le discours de la ‘grande opportunité’ suggère que des investissements massifs dans la décarbonation permettront de générer de la croissance tout au long de la transition, avec des coûts nuls ou limités. D’autre part, des messages plus alarmants sont diffusés, soulignant les coûts de transition potentiellement plus élevés et les risques de ne pas en faire assez pour contenir le changement climatique. Le problème est que lorsque les gens se rendent compte que tout ne va pas bien, ils ont l’impression d’avoir été trompés”, avertit le gouverneur de la Banque nationale.

Pierre Wunsch constate aussi que l’Europe est soumise à un “trilemme” dont les trois angles sont : la réalisation du marché unique, l’ouverture au commerce international et la réalisation des ambitions climatiques. (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE / BELGA MAG / Belga via AFP) (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE/BELGA MAG/AFP via Getty Images) © BELGA MAG/AFP via Getty Images

Quels objectifs ?

En Belgique, par exemple, il n’est actuellement pas rentable d’installer des pompes à chaleur, parce que ce type de chauffage consomme de l’électricité. Or aujourd’hui, “le particulier, en raison notamment des taxes, paie très cher son électricité. Et effectivement, en Belgique, acheter une pompe à chaleur qui coûte plus cher ne se justifie pas. Mais la technologie telle qu’elle existe, hors taxes, doit pouvoir être normalement rentable”, observe-t-il.

La question est donc de se fixer les bons objectifs. “Je dirais que certaines politiques locales ont été adoptées à la hâte, sans une analyse appropriée de leurs implications pour les ménages et les entreprises”, explique Pierre Wunsch.

Ce dernier estime que se concentrer, pour ce qui touche aux logements, sur l’isolation, et donc la baisse de la consommation énergétique, n’est sans doute pas une bonne idée. “Quelqu’un qui isole bien sa maison, mais qui la chauffe au gaz, ‘ce n’est pas neutre’. Il faut partir du principe que l’électricité sera verte. Une maison dotée d’un mauvais PEB, mais qui est chauffée électriquement, coûte cher, mais elle n’émet pas de CO2. Une partie de l’agenda climat est de nous dire que nous devons vivre plus modestement, ne pas prendre de voiture, vivre dans des logements plus petits et consommer moins d’énergie… C’est une vision du monde qui est partagée par 20% de la population. Je trouve que fixer une réduction de la consommation d’énergie comme objectif relève un peu du dogme. De l’énergie verte, ça se produit, et il n’y a pas de raison de décider d’en limiter la production”.

“Je recommanderais donc, pour l’instant, de se focaliser sur les technologies les moins coûteuses. Quand le coût de décarbonation est proche de zéro ou très légèrement positif, je pense qu’il y a moyen de convaincre les gens. Mais il ne faut pas précipiter les choses. Regardez ce qui s’est passé en Allemagne avec l’interdiction des chaudières à gaz”. Le gouvernement allemand avait, en effet, proposé d’interdire, dès 2024, la vente de nouvelles chaudières au fioul et au gaz, ce qui a provoqué une crise politique.

“Si nous avons un fort retour de bâton politique, nous risquons de perdre 10 ou 20 ans. Donc pour moi, il faut vraiment y aller un peu plus dans la dentelle et voir comment calibrer les politiques, souligne Pierre Wunsch. Je crois qu’il faut commencer la décarbonation sur le public qui est prêt à la payer. Par exemple, en payant un peu plus cher pour une voiture. Ce public va tester les nouvelles technologies, ce qui va leur permettre de se développer. Et quand une technologie commence à être suffisamment compétitive, alors on peut avoir une politique un peu plus dure”, pense le gouverneur de la BNB.

Je crois qu’il faut commencer la décarbonation sur le public qui est prêt à la payer.
Pierre Wunsch

Pierre Wunsch

Gouverneur de la Banque nationale

Un “trilemme”

Verdir notre économie sera d’autant moins une partie de plaisir que l’économie européenne n’est pas seule au monde. “Dès qu’on regarde la dimension internationale, cela devient très compliqué parce que nous voulons être plus ambitieux que les autres, poursuit Pierre Wunsch. Or, nous avons déjà une énergie plus chère depuis la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie. Et donc, à un moment donné, il y a de vraies questions qui se posent, par exemple sur l’avenir de certains secteurs.”

Pierre Wunsch constate aussi que l’Europe est soumise à un “trilemme” dont les trois angles sont : la réalisation du marché unique, l’ouverture au commerce international et la réalisation des ambitions climatiques. Il est difficile de réaliser complètement les trois à la fois. “Des signes de tensions apparaissent donc.” On le voit au niveau national avec les appels à modérer les obligations de rénovation de logements. Le nouveau gouvernement flamand a, par exemple, assoupli certaines dispositions. On le voit au niveau européen avec le lobby des constructeurs automobiles qui désire reporter la fin prévue des ventes de véhicules à moteur thermique au-delà de 2035. On le voit au niveau international avec l’apparition de barrières, comme les tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois ou la mise en œuvre progressive en Europe d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

“Il n’y a pas de solution simple à ce ‘trilemme’”, poursuit Pierre Wunsch. Le problème aux États-Unis est que le prix du gaz est tellement bon marché qu’il n’y a pas vraiment d’incitants, à part mettre en place des subsides, pour ‘passer au vert’. Et puis, quand il n’y aura plus de subsides, parce que ces dépenses poseront un jour un problème budgétaire, que se passera-t-il ?”, se demande le gouverneur de la Banque nationale.

“Je crois que l’Europe doit vraiment se poser la question du futur des secteurs intensifs en énergie. S’ils n’exportent pas, ils seront en partie protégés par la taxe carbone aux frontières”. Une couverture partielle toutefois, car “le problème est que ce mécanisme couvre des secteurs comme l’acier, l’aluminium… mais pas les produits contenant de l’acier ou de l’aluminium. Donc, il y a effectivement des risques de détournement”.

Le problème est plus existentiel pour les entreprises exportatrices : “il y a beaucoup de secteurs où nous ne sommes plus trop compétitifs. L’Europe veut donc continuer à la fois à atteindre ce ‘trilemme’ (marché unique, marché ouvert et ambition climatique, ndlr), mais nous sommes en train de nous demander si nous voulons être aussi ambitieux que cela. Imaginons que Trump soit élu demain et qu’il dise qu’il n’en a rien à faire (du climat, ndlr). Allons-nous vraiment conserver l’objectif d’atteindre une économie net zéro en 2050 ? La question politique viendra inévitablement”, conclut Pierre Wunsch.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content