“On n’arrivera pas à la décarbonation en produisant moins de pétrole, mais en en consommant moins”
L’explorateur Bertrand Piccard, fondateur de la Fondation Solar Impulse et conseiller spécial de la Commission européenne, se réjouit de la dynamique initiée los de la COP28 à Dubaï. Aussi pour ce qu’elle induit sans le dire explictement.
De retour de la COP28 à Dubaï, où il a présenté un “nouveau narratif” face au défi climatique, l’explorateur suisse Bertrand Piccard est regonflé à bloc: une nouvelle ère s’ouvre. Il confie ses raisons d’espérer à Trends Tendances.
Comment avez-vous vécu cette COP28?
C’était très bien organisé, avec un président de la COP très méritant: c’était impressionnant de voir les efforts accomplis pour mettre tout le monde d’accord. Et je trouve que le résultat n’aura pas pu être meilleur.
En raison du maintien des objectifs pour limiter le réchauffement à 1,5° et de l’évocation inédite de la sortie des énergies fossiles?
Des pays demandaient que l’on abandonne les 1,5° en disant que ce n’était pas réaliste. Le Sultan Al Jaber a toujours maintenu le cap des 1,5° et cela figure dans le document final. Pour la première fois, il est clairement fait mention des énergies fossiles en demandant de “transitionner hors” des énergies fossiles.
La phrase a fait l’objet de beaucoup de négociations…
Je peux vous dire qu’il y a eu plusieurs jours et nuit de négociations à Dubaï sur les formulations. J’ai vu passer des textes intermédiaires qui n’étaient pas du tout satisfaisants, avec des conditionnels partout. Il est vrai que les pays exportateurs de pétrole ne pouvaient pas rentrer chez eux en ayant entièrement capitulé. Il faut se mettre à leur place. Pour le ministre d’un pays dont 80% du PIB vient du pétrole, il est difficile de signer son arrêt de mort. Il fallait une phraséologie permettant de sauver la face, tout en permettant d’arriver au but.
Précisément, qu’est-ce ce que cela induit: une dynamique?
Une dynamique, oui, et une évolution qui sera contrôlée dans chaque COP. Si la production mondiale d’énergies fossiles continue à augmenter, ce sera en contradiction avec l’accord de Dubaï.
Mais il n’y a pas d’échéances claires, si?
Le cadre, dans la forme, est assez flou, mais dans le fond, il est très clair. C’est vrai qu’il mentionne “avant ou autour de la moitié du siècle” pour laisser certains pays autour de 2060 au lieu de 2050, mais la majorité veut arriver à sortir des énergies fossiles avant 2050. Il y a quand même des objectifs très clairs de décarbonation pour 2030 et 2035, 43% et 68%.
Bien sûr, cet article n’est pas contraignant, c’est un consensus pour arriver à ce résultat. Certains pays tireront sur la corde, d’autres pas. C’est pour cela qu’il faut impérativement sortir de l’attente irréaliste que les autres fassent tout. On demande aux pétroliers de baisser leur production, mais c’est aussi à nous – pays, citoyens, entreprises, pouvoirs publics… – de baisser la consommation.
Nous devons changer nos habitudes?
Baisser la consommation en devenant plus efficients, c’est-à-dire en baissant les besoins. Nous n’y arriverons jamais en faisant des sacrifices parce que cela créera de l’opposition. Par contre, on peut utiliser des systèmes et des infrastructures qui sont efficaces.
C’est ce que vous soutenez avec votre fondation Solar Impulse…
Exactement. Je rappelle qu’il faut quatre fois plus d’énergie pour faire un kilomètre dans une voiture thermique que dans une voiture électrique. Il faut quatre ou cinq fois plus d’énergie avec un chauffage traditionnel qu’avec une pompe à chaleur. Une ampoule LED à 95% d’efficience contre 5% à une ampoule normale. On n’arrivera pas à la décarbonation en produisant moins de pétrole, on y arrivera en en consommant moins.
Vous avez présenté à la COP un “nouveau narratif” face au défi climatique: part-il de ce constat?
Nous avons publié ce narratif à l’occasion de la COP et distribué des exemplaires à des chefs d’Etat et de gouvernement, et cela a été très bien reçu. Votre Premier ministre, Alexander De Croo, a déjà commencé à utiliser des aspects constructifs de cette narration: il avait été critiqué parce qu’il parlait de “technologies”, il est mieux compris, désormais, en parlant de “solutions” permettant le développement économique, tout en étant propres.
Ce narratif, il peut s’expliquer absolument à tout le monde: il peut servir aussi à des écologistes qui effraient tout le monde en parlant de décroissance plutôt que d’efficience. Ou à des gouvernements qui doivent mieux expliquer ce qu’ils font.
C’est une façon de réconcilier sur un sujet qui divise beaucoup?
Mais exactement, c’est ça mon but! Quel que soit le parti politique ou l’orientation environnementale, il y a des points communs qui permettent de faire avancer la cause beaucoup plus rapidement.
On vous sent satisfait?
Je suis revenu de Dubaï très soulagé parce que le fond de l’accord est le maximum de ce qui pouvait être obtenu. Les prochaines étapes, c’est de répondre – avec l’Alliance mondiale pour les solutions efficientes que la Fondation Solar Impulse a créé – aux besoins des parties pour le Triple Up et le Double Down pour décarboner.
Cet accord est très concret. Le Triple Up consiste à tripler les énergies renouvelables. Il y a, pour cela, le Global Renewable Alliance de Bruce Douglas: c’est l’alliance des producteurs d’énergie renouvelable. Le Double Down consiste à doubler chaque année l’efficence énergétique pour baisser la consommation. Nous avons de quoi y répondre avec cette alliance qui regroupe 4500 start-up, entreprises, innovateurs, pouvoirs publics, investisseurs… C’est la voie royale pour développer, dans la suite de la COP28, les renouvelables et l’efficience.
Cet accord est le début de l’accélération du chemin de la transition.
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