Marek Hudon: “Nous avons besoin d’un Etat social-écologique pour équilibrer la transition”
Le président du Haut Comité pour une transition juste, qui vient de sortir son premier rapport, défend la nécessité de lutter contre l’inégalité énorme des efforts consentis pour décarboner la société. Vital pour lutter contre les extrêmes.
Marek Hudon, président du Haut comité pour une transition juste, tire les leçons de l’année et demi de travaux de cet organe rassemblant des experts de tous les horizons. Objectif: évaluer la façon dont on organise la révolution nécessaire pour décarboner la société. Mot d’ordre: il faut un Etat écologique et social pour encadrer et rééquilibrer son cours
Votre conclusion, c’est que l’on doit accélérer la transition, en veillant à ce qu’elle soit plus juste?
Cela, c’est que l’on dit depuis quelques années. La Commission européenne tient ce même discours aujourd’hui. Mais le constat que nous posons va plus loin. Sur base des chiffres belges et internationaux que nous avons rassemblés, il apparaît en effet que la contribution à la transition est fortement inégale. On a des contributions qui passent de un à quatre, voire de un à dix, selon la façon dont on calcule, entre le décile le plus bas et le décile le plus élevé. C’est énorme!
Le deuxième élément de cette transition inégale, c’est le fait qu’aujourd’hui, les zones les plus à risque en termes de risques environnementaux, de santé, de sols pollués, sont davantage habitées par les personnes les plus précarisées et les plus âgées. Dans les trente-neuf personnes décédées suite aux inondations en Wallonie, c’est surtout ce public-là qui se retrouve.
Le troisième constat, c’est que s’il y a un consensus scientifique sur la nécessité de cette transition, les rapports montrent que dans les processus démocratiques et participatifs, les personnes les plus précarisées sont beaucoup moins représentées. Pour plein de raisons, en fait: soit ils s’auto-excluent, soit ils sont écartés pour des raisons économiques, soit ils se sentent moins impliqués. Concrètement, les panneaux solaires ou les voitures électriques ont tendance à être davantage accessibles aux personnes qui ont les moyens.
Vous évoquez la nécessité d’un “Etat social-écologique”, qui pilote les transformations de manière à ce que tout le monde soit impliqué et qu’on ne laisse personne au bord de la route.
Oui. Le mot “Etat” doit être envisagé dans une conception large: les pouvoirs publics ne sont pas les seuls responsables, loin de là, il faut une large implication des acteurs sociaux et des entreprises.
En Europe, depuis des dizaines d’années, la construction de cet Etat social a permis de tenir bon en période de Covid, de faire face aux fortes inflations ou de permettre à quelqu’un qui perd son emploi d’avoir un pont vers un autre emploi. Mais cet Etat social n’intègre pas du tout – ou pas assez – la question environnementale. A l’inverse, les politiques environnementales n’intègrent pratiquement pas la question sociale.
Notre rapport détermine une série de lignes directrices pour remédier à cela. Il s’agit de favoriser les investissements qui combinent les deux dimensions en même temps. Le verdissement des logements sociaux, par exemple, permet de diminuer les émissions de CO2, mais aussi de réduire les coûts énergétiques pour un public davantage défavorisé.
Deuxièmement, lorsque l’on évoque les taxes carbone, par exemple, il y a différentes manières de les prélever. Selon la manière dont on le fait, on peut avoir impact très différent aussi. On pourrait imaginer des systèmes de taxation davantage progressifs. Troisièmement, lorsque l’on envisage des politiques sociales, comme ce fut le cas ces derniers mois pour compenser ‘augmentation des prix de l’énergie, on pourrait le faire en tenant davantage compte des impératifs environnementaux.
En ne donnant pas des chèques pour soutenir la consommation d’énergies fossiles, par exemple…
Exactement. Bien sûr, on sait que l’on ne s’en débarrassera pas du jour au lendemain, mais nous sommes aujourd’hui très loin de la trajectoire de diminution rapide des énergies fossiles dont nous aurions besoin.
Un enjeu majeur, c’est de veiller à l’acceptabilité de cette transition. De plus en plus de partis, notamment à l’extrême droite, en profitent parce que cette transition coûte cher…
Cette proposition d’un Etat “social-écologique” doit en effet permettre d’augmenter cette acceptabilité. L’importance d’un effet redistributif plus important est indéniable, de même qu’il est vital de répondre à cet enjeu démocratique. Lorsqu’il y a des projets participatifs ou des agoras citoyennes, on doit veiller à éviter les exclusions mais aussi, comme ce fut le cas de la Convention pour le climat en France, veiller à ce que le consensus qui s’en dégage soit repris. C’est sur ce sentiment de ruptures que grandissent les extrêmes.
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