“L’élaboration d’une politique de développement durable est un marathon, pas un sprint de 100 mètres”

Myrte De Decker Journaliste TrendsStyle.be

De nombreuses entreprises ont encore bien du travail afin de formuler et de présenter leurs objectifs en matière de développement durable. Cependant, il sera bientôt obligatoire de partager ces informations avec toutes les parties prenantes. “L’élaboration d’une politique de développement durable est un marathon, pas un sprint de 100 mètres”, explique le professeur Jan Beyne.

“Ma vie professionnelle tourne autour du développement durable, j’essaie de mener une vie aussi durable que possible. Pourtant, même moi, quand je veux choisir une tablette de chocolat au supermarché, je ne sais pas aujourd’hui laquelle est la plus durable. Il y a tellement de labels qui essaient de convaincre les consommateurs qu’ils sont la meilleure alternative. Il faut que tout cela soit plus transparent et plus honnête”, déclare Jan Beyne. “Avec l’amalgame de réglementations et de certificats, la plupart des dirigeants ne savent plus comment mettre en œuvre les politiques les plus efficaces.”

Si les experts en développement durable ne s’y retrouvent plus, il est somme toute logique que les chefs d’entreprise soient perdus dans le labyrinthe de ces législations, lignes directrices et autres instructions. Heureusement, ils peuvent se tourner vers des experts, comme le professeur Jan Beyne, rattaché à l’Antwerp Management School. Ces dix dernières années, il a travaillé sur le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises. Jan Beyne est également cofondateur de Route 2030, une agence de conseil stratégique en matière de développement durable.

Nous parlons de la nécessité pour les entreprises de créer un impact. Qu’est-ce que cela signifie ?

JAN BEYNE. “De nombreux experts en développement durable utilisent la définition de l’Impact Institute d’Amsterdam. En bref : l’impact est la différence que vous faites dans le monde en influençant les choses qui ont de la valeur dans la société.

“Concrètement, l’impact présente donc trois caractéristiques. Premièrement, il doit y avoir un impact. Toute organisation a l’intention de travailler de manière durable ou écologique.

Mais si cela s’arrête là, à l’intention, le monde ne changera pas. Les intentions doivent donc déboucher sur un résultat mesurable. En outre, les initiatives doivent être positives et appréciées par la société et les parties prenantes : clients, investisseurs, actionnaires… Ils doivent eux aussi approuver les intentions et les résultats en matière d’impact dégagés par l’entreprise.

Enfin, une différence doit être observée. Pour analyser cette différence, les entreprises doivent se poser la question “et si” à propos de leurs produits, de leurs services ou de leur modèle d’entreprise. Que se passerait-il si nous n’offrions pas le produit X ? Que se passerait-il si nous changions le système Y ? Ou, dans le cas le plus extrême, que se passerait-il si notre entreprise n’existait plus ? Les organisations ont peur de ces questions, mais il est important de déterminer l’ampleur de l’impact d’une entreprise”.

Mais les individus ne décident-ils pas de la valeur qu’ils attribuent à quelque chose ?

BEYNE. “C’est en effet une difficulté, car la valeur a souvent une composante subjective. Cependant, les défis que nous devons relever en tant que société – la santé, le bien-être ou la liberté d’expression – sont soutenus par la grande majorité de la population. Cela se reflète dans les organisations : l’objectif supérieur d’une entreprise, à savoir avoir un impact, devient un intérêt collectif pour l’ensemble de l’organisation et, par extension, pour l’ensemble de la société.”

Comment une entreprise peut-elle susciter l’appréciation, même s’il s’agit d’une expérience subjective ?

BEYNE. “Les organisations ont un impact direct et indirect. L’impact direct, c’est lorsque quelqu’un me demande un service durable et que je lui apporte une solution ou les outils pour y arriver, pour résoudre son problème.

“La même solution peut également avoir un impact indirect. Par exemple, j’ai offert un produit ou un service durable, mais pour y arriver j’ai extrait des ressources nuisibles à l’environnement ou les droits de l’Homme n’ont pas été respectés. Cet impact indirect n’est pas ressenti ou connu par l’autre partie. Si je fais remarquer qu’en face de ma belle solution, il y avait quelque chose de laid, mon interlocuteur y réfléchira la prochaine fois.

“Les effets indirects de nos actions ne sont pas encore suffisamment pris en compte dans la chaîne de valeur. C’est là toute la difficulté du débat sur la durabilité : il est tellement complexe, global et systémique. Tout est lié. La création de valeur par une entreprise peut ou doit s’étendre à l’ensemble de la chaîne de valeur.

L’ensemble de la chaîne de valeur est crucial dans les nouvelles législations.

BEYNE. “Les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr) de la directive européenne sur les rapports de durabilité – la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)) – exigent des entreprises qu’elles prennent conscience de leur impact sur les personnes et le climat. Pour ce faire, les organisations doivent avoir une meilleure vue d’ensemble de la chaîne, de la matière première au produit fini. Les autorités compétentes en assureront le suivi. Les entreprises devraient donc également poser la question du “et si” à leurs fournisseurs”.

Les entreprises, qui obtiennent à cette question une réponse dénudée de sens, devraient-elles tout simplement abandonner ?

BEYNE. “Ces entreprises peuvent encore apporter de la valeur aux clients, aux employés et aux parties prenantes. L’absence de réponse convaincante peut signifier que l’entreprise doit repenser sa stratégie et ses objectifs, afin d’avoir un impact plus clair. Elle peut signaler qu’elle doit innover, se repositionner ou se concentrer davantage sur la satisfaction d’un besoin spécifique sur le marché ou dans la société. Ainsi, au lieu d’abandonner purement et simplement, l’entreprise peut y voir une occasion d’évoluer.”

Que se passe-t-il si une entreprise fait le mauvais choix ? Si l’on fait abstraction de la question de l’héritage de Van Hool, le constructeur d’autobus a voulu marquer les esprits en commercialisant des véhicules à hydrogène, alors que les clients ont opté pour des véhicules électriques.

BEYNE. Il ne serait pas tout à fait exact de dire que Van Hool a commis l’erreur du “premier arrivé”, c’est-à-dire prendre un risque associé au choix d’une nouvelle technologie. L’hydrogène est considéré comme un carburant prometteur pour les véhicules, mais l’adoption d’une nouvelle technologie est influencée par des facteurs tels que l’infrastructure, le coût, la disponibilité de l’hydrogène et la politique gouvernementale. Si les conditions ne sont pas favorables, cela peut freiner le choix de commander ce type de véhicules. Par conséquent, je parlerais plutôt d’un mauvais choix stratégique effectué sur la base des informations et des circonstances du moment. Van Hool aurait peut-être dû se poser la question plus tôt : et si nous faisions fausse route ? Le constructeur d’autobus aurait peut-être alors pu choisir une autre solution ou aurait eu le temps de se ressaisir. Face à des décisions aussi risquées, les entreprises choisissent souvent de se diversifier et de répartir les risques.

L’amalgame de directives et de législations a-t-il créé une lassitude chez les chefs d’entreprise en matière de développement durable ?

BEYNE. “Effectivement les chefs d’entreprise peuvent être fatigués par le bombardement constant de directives et de lois sur le développement durable. La pléthore de règles et de réglementations, ainsi que les changements constants, en matière de développement durable, peuvent être accablants, en particulier pour les petites entreprises disposant de ressources limitées.

“La lassitude face au développement durable peut entraîner une baisse de motivation. Cependant, il est important de reconnaître que la durabilité ne consiste pas seulement à se conformer aux lois et réglementations, mais aussi à s’efforcer de s’améliorer continuellement et d’avoir un impact positif sur la société et l’environnement. C’est pourquoi il est également important de leur tendre une carotte de temps en temps, par le biais de subventions ou d’autres moyens de soutien.

Il est indéniable que les entreprises font beaucoup d’efforts pour avoir un impact. Où les choses se passent-elles encore mal ?

BEYNE. “La plupart des entreprises optent pour ce que l’on appelle les objectifs de « seuil de rentabilité ». Elles réduisent leur potentiel impact négatif, par exemple en installant des panneaux solaires ou en collectant l’eau de pluie. L’étape suivante, plus importante, consiste à accroître leur impact positif. C’est là que réside la difficulté pour de nombreuses organisations.

“Par exemple, une banque belge a publié son premier rapport sur le développement durable il y a longtemps. Il s’agissait d’un rapport agréable et complet, qui mentionnait qu’une certaine quantité de papier avait été économisée parce que les employés imprimaient moins. C’est une toute petite action qui permet de réduire l’impact négatif sur l’environnement. Chaque année, je demande à mes étudiants : où cette banque peut-elle vraiment avoir un impact ? En investissant dans des technologies durables et moins dans des activités non durables. Ou en aidant les personnes qui n’ont pas de compte en banque à en ouvrir un, créant ainsi des opportunités. Il est plus facile de calculer en pourcentage les économies d’énergie ou de papier réalisées que de mesurer l’impact environnemental ou social positif. Pour cela, les entreprises disposeront, je l’espère, d’outils supplémentaires dans les années à venir”.

Une tâche pour le responsable du développement durable ?

BEYNE. “Beaucoup d’entreprises ont un coordinateur de la durabilité, mais il y a une très grande différence entre la désignation d’un responsable et l’élaboration d’un plan stratégique soutenu par l’ensemble de l’organisation”, explique-t-il.

“D’où mon constat quelque peu audacieux: fini le responsable du développement durable. Aujourd’hui, il faut une équipe de développement durable, issue de la direction. Le CEO et le directeur financier auront même un rôle crucial à jouer, car la législation exige également des résultats financiers. Dans les grandes entreprises, c’est déjà un peu plus facile que dans les PME. Ces dernières sont souvent désemparées, car la plupart d’entre elles n’ont ni la place ni les moyens de mettre sur pied une équipe entière, puis un plan de développement durable.

Avez-vous des conseils à donner aux entreprises ?

BEYNE. “Posez des questions quant à l’empreinte carbone d’une entreprise. Pour établir une empreinte d’impact, ces questions sont, par exemple : où passe mon argent, l’institution investit-elle dans des choses que je soutiens ? Vous n’êtes pas obligé de le faire seul en tant qu’organisation, mais vous pouvez également examiner l’écosystème pour voir si les partenaires commerciaux imposent les mêmes conditions à d’autres.

“Commencez par une mesure de référence. Que faisons-nous déjà ? Dressez la carte de ces initiatives, puis de l’ensemble de votre chaîne de valeur. Formulez ensuite les intentions de l’entreprise et mettez en place une équipe capable de les traduire en actions concrètes.

“Cela peut être un exercice complexe. Beaucoup d’organisations pensent qu’elles doivent immédiatement procéder à des interventions majeures. N’oubliez pas que l’élaboration d’une politique de développement durable est un marathon, pas un sprint de 100 mètres. 2030 n’est pas un avenir lointain, mais nous avons encore cinq bonnes années devant nous”.

Ces cinq années donnent également aux entreprises le temps d’affiner les processus et les changements en cours de route.

BEYNE. “L’objectif ultime est de créer un impact positif. Bien sûr, dans l’intervalle, il est possible de peaufiner et d’améliorer continuellement le processus. L’objectif est de ne pas intervenir trop tard, ce qui entraînerait l’échec de l’entreprise. L’impact et le profit peuvent aller de pair. Cela permet à une entreprise de continuer d’offrir des produits et des services qui peuvent rendre la société plus durable. Personne ne profite de la faillite d’une entreprise, car il n’est pas viable de mettre des centaines d’employés à la rue. Cela fait aussi partie d’une vision qui a de l’impact”.

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