Le fonds climat européen n’est pas toujours très vert
La Cour des Comptes européenne s’est penchée sur le principal outil du plan de relance européen. Une facilité de près de 700 milliards, destinée en grande partie à verdir l’économie européenne. Mais il y a 50 nuances de vert, et l’on n’y voit pas très clair.
Après un rapport très critique sur les fonds de cohésion, cet argent destiné à faire converger les économies des États membres, et après un rapport très critique sur la politique hydrogène, qui brasse beaucoup de vent, mais sans être très efficace, la Cour des Comptes européenne jette un nouveau pavé dans la mare. Il concerne cette fois l’utilisation cette fois des 648 milliards d’euros de la FRR, la « facilité pour la reprise et la résilience ». La FRR est le principal outil du plan de relance annoncé en 2020 et baptisé « Next Generation EU ».
Transition verte
« La FRR vise à inciter à investir dans l’action climatique et la transition verte. Toutefois, nos travaux d’audit ont mis en évidence des faiblesses au niveau de la conception et de la mise en œuvre, ce qui suscite des doutes quant à la réalisation de ses objectifs climatiques et environnementaux », observe la membre de la Cour des Comptes responsable du rapport, la Luxembourgeoise Joëlle Elvinger.
« La FRR dispose d’un budget total d’environ 648 milliards d’euros pour l’ensemble de la période. La facilité vise à contribuer non seulement à la réalisation des objectifs climatiques ambitieux de l’UE pour 2030 et 2050, mais aussi à l’amélioration de la durabilité environnementale. Selon la Commission européenne, les pays de l’UE devaient consacrer au moins 37 % de leurs allocations à l’action climatique. En février 2024, les États membres avaient prévu 275 milliards d’euros de dépenses pour l’action climatique dans leurs plans nationaux de relance et de résilience, dépassant ainsi l’objectif fixé », rappelle-t-elle.
« Mais en réalité, ce n’est pas très clair, ajoute-t-elle. Nous constatons que la contribution de la FRR et des plans nationaux à la transition verte a peut-être été surestimée ». Chaque État doit en effet détailler dans son plan national la manière dont il entend dépenser ce financement, identifier le coût attendu de chaque mesure proposée et évaluer dans quelle mesure ces investissements vont contribuer à la transition écologique.
Coefficients approximatifs
Un coefficient est ainsi appliqué à toutes les dépenses prévues en fonction de leur contribution au climat. Les mesures ayant un impact substantiel sur le climat ont été comptabilisées comme des mesures de dépenses climatiques à 100 %, un impact positif étant pondéré à 40 % et les mesures n’ayant pas d’impact significatif étant pondérées à 0 %. « Cependant, des coefficients climatiques uniques ont souvent été appliqués à des mesures qui comprenaient en fait un large éventail d’actions, dont toutes n’étaient pas liées au climat. Cette approche impliquait un degré élevé d’approximation, entraînant une surestimation potentielle ».
Des projets ont été assortis d’un coefficient de 100% alors qu’ils ne le méritaient pas. C’est par exemple le cas dans le financement du réseau électrique, qui n’est pas nécessairement une contribution bonne pour le climat si l’électricité est produite à partir d’énergie fossile ! De même pour les projets d’électrification des lignes ferroviaires. « Selon nos calculs, il en résulte que la contribution climatique a probablement été surestimée de 34,5 milliards d’euros. »
Cinquante nuances de vert
Joelle Elvinger souligne un autre aspect : « nous n’avons parfois trouvé aucun lien entre la mise en œuvre de certaines mesures et la transition verte. Je ne dis pas que ces mesures n’auraient pas dû être financées. Nous considérons simplement que le niveau de pertinence climatique qui leur est attribué est incorrect ». Un exemple : le Portugal a financé avec le FRR ses centres de protection civile en décrivant le projet comme « une mesure d’adaptation au changement climatique en milieu forestier ».
Et puis, un autre élément accroît encore le côté nébuleux de l’objectif poursuivi : pour calculer l’objectif de dépense à atteindre en faveur d’action pour le climat, les États membres ne produisent que des estimations, et non pas le montant réel qui a été dépensé. « En d’autres termes, les coûts réels des mesures financées par la FRR pouvant différer sensiblement des coûts estimés, il n’est pas rendu compte du montant total des fonds vraiment consacrés à l’action pour le climat », regrettent les auditeurs. Des auditeurs qui sont tombés sur plusieurs cas de surestimations. La Slovaquie par exemple a présenté un plan pour verdir 83MW de capacité de production d’électricité, mais avec seulement 30% des montants inscrits, 94% des objectifs avaient déjà été atteints.
Plus de clarté
Ce manque de clarté est embêtant, d’abord en raison des montants en jeu, et aussi parce que « contrairement aux précédents instruments de financement, la facilité voit ses fonds décaissés lorsque les jalons et les cibles sont atteints, plutôt que pour rembourser des dépenses réelles », rappelle la Cour. «La facilité pour la reprise et la résilience représente un investissement considérable à l’échelle de l’UE. Si elle est correctement mise en œuvre, elle devrait donner un coup d’accélérateur à la réalisation des ambitieux objectifs climatiques des Vingt-Sept», a déclaré Joëlle Elvinger. «Mais actuellement, la FRR est freinée par des plans très approximatifs et par des écarts entre prévisions et réalité, empêchant ainsi de connaître le véritable montant alloué à la transition verte.»
La Cour des Comptes recommande donc de renforcer les liens entre les futurs instruments et les objectifs climatiques de l’Union, mais aussi de rassembler et de publier des informations concernant l’intégralité des dépenses effectuées.
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