Le cidre est le nouveau cava: les brasseurs belges défient le marché

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Myrte De Decker Journaliste TrendsStyle.be

De plus en plus de brasseurs amateurs se lancent dans le cidre. Cette boisson alcoolisée à base de pommes était tombée en désuétude ces dernières décennies. Elle ne demande qu’à séduire à nouveau nos papilles. “Les meilleures pommes à cidre ne sont pas les pommes parfaites du magasin. Ce sont celles qui sont très cabossées et brunes”, explique un brasseur.

Lorsque les températures se font estivales, c’est le temps des apéros en terrasses. Et on observe que le petit verre de rosé frais ou la bière accompagnée de son auréole de mousse cèdent de plus en plus souvent la place à un cidre. Du clair au foncé, du sucré au puissant : le cidre est de retour grâce à quelques fervents adeptes qui ont su faire revivre cette boisson quelque peu oubliée. Et lorsque l’horeca s’y met aussi, on sait que c’est parti pour durer.

“Nos produits sont utilisés dans les restaurants Willem Hiele, The Jane et August, entre autres”, explique Toon Vandenbranden d’Ottercider. “Et le chef Bart de Pooter (de l’ancien restaurant deux étoiles Pastorale, ndlr) a récemment réalisé un pairing avec nos produits dans son nouvel établissement WILDN. Il a préparé des asperges avec notre vinaigre de pomme et le sommelier a recommandé notre cidre pour l’accompagner.

Il y a six ans, M. Vandenbranden et son épouse Laura Bernaers ont lancé le vinaigre de cidre de pomme après avoir remporté le concours du produit régional de Zwijndrecht. Après un lancement réussi, le cidre de pomme a suivi à la saison suivante. “Ce cidre est en fait la base du vinaigre”, explique M. Vandenbranden. “Nous aurions aimé nous lancer plus tôt, mais nous appréhendions un peu les droits d’accises (rires). En attendant un peu, notre cidre s’est amélioré. Il a maintenant un goût plus complexe, car nous avons pris le temps d’expérimenter d’autres variétés de pommes.

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Le résultat est un mélange d’au moins trois variétés de pommes à hautes tiges. Celles-ci sont broyées et pressées en jus frais, qui doit ensuite fermenter. Lors de la première fermentation, tout le sucre est transformé en alcool. Vandenbranden a opté pour une fermentation spontanée : il n’ajoute pas de levure commerciale au processus, mais la laisse agir le plus lentement possible sur la peau des pommes. Après quelques mois, une seconde fermentation en bouteille suit. Elle permet au cidre de mûrir davantage et de lui donner une bulle pétillante. Ensuite tout est question de savoir quel cidre on souhaite élaborer. Le cidre frais et fruité est refermenté après six mois de maturation. Le cidre plus complexe est, quant à lui, d’abord mis en fût de chêne.

Pas de règles

Le cidre est une boisson qui se situe entre le vin et la bière. Le regain d’intérêt qu’il suscite va de pair avec l’intérêt croissant pour les bières dites artisanales et les petites brasseries locales. La plupart des cidreries s’inscrivent dans cette lignée et constituent un hobby pour des passionnés qui en font aujourd’hui une activité secondaire.

Le cidre, également connu sous le nom de vin de pomme, est donc un produit assez basique. Il s’agit de jus de pommes alcoolisé. La Belgique, contrairement à d’autres pays d’Europe occidentale, n’impose guère de règles de production ou de transformation. L’appellation “cidre” n’est pas non plus protégée. Cela permet aux grands producteurs commerciaux, qui travaillent avec du concentré de pommes, d’indiquer sur leur emballage qu’il s’agit de cidre. Dans un souci de rationalisation de la qualité, certains grands producteurs de cidre se sont regroupés au sein de l’Association européenne du cidre et des vins de fruits (European cider and fruit wine association – AICV). Cet organisme précise que le cidre doit être issu d’une fermentation complète ou fractionnée de jus de pomme, de concentré de jus de pomme ou d’un mélange des deux. Selon la directive, la teneur en alcool se situe entre 1,2 % et 8,5 % et ne peut être obtenue que par la fermentation. L’ajout d’alcool distillé n’est donc pas autorisé.

Konings NV est la seule brasserie belge de l’AICV. C’est aussi la plus grande usine européenne de cidre. Avec Stella Artois Cidre, AB InBev sert également les amateurs, mais cette production est uniquement destinée à l’exportation. Enfin, la Cidrerie Stassen, rachetée par le géant néerlandais de la bière Heineken en 2012, produit du cidre à grande échelle en Belgique.

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Outsiders

Demandez aux petits producteurs de cidre ce qui fait le charme de leur produit et ils vous répondront généralement “la polyvalence”, “le caractère local”, “les variétés excentriques” et “le pomiculteur”. La durabilité, l’écologie, la résilience et la proximité sont des valeurs particulièrement appréciées par la communauté.

Il en va de même pour Radboud Reijn, Wouter Kenis, Maciej Kaczmarek et Fabian Molleman de la brasserie Wolf&Fox, des amis rugbymen gantois. Ils souhaitaient aider les producteurs de pommes et de poires touchés par le boycott commercial de la Russie à l’encontre de l’Occident. “Environ 120 000 tonnes de pommes n’ont pas pu être vendues à l’époque”, explique Fabian Molleman. “Ce furent de véritables tragédies. Nous donnons aux producteurs un prix équitable et, en retour, nous pouvons partager leur expertise, leur vision et leurs contacts pour travailler avec d’autres producteurs.” C’est ainsi que sont nés le cidre et le poiré, un cidre contenant au moins 51 % de poires.

Les cidres de Wolf&Fox se situent à la croisée des styles irlandais et normand/breton. Irlandais parce qu’ils travaillent principalement sur la combinaison d’arômes issus de différentes variétés de pommes. Français parce que les fabricants osent aussi ajouter de la levure, donnant ainsi un coup de main à la nature. “Lors de la fermentation naturelle du jus, des bactéries indésirables peuvent également prendre le contrôle de la fermentation et tuer tout le lot”, explique M. Molleman. “Nous essayons d’éviter cela en optant pour la pasteurisation du jus et en choisissant nous-mêmes les bonnes levures en fonction des arômes que nous voulons obtenir. En tant que pays de la bière, la Belgique possède des connaissances approfondies sur les levures que nous pouvons appliquer à notre processus de production. Et un jour, nous aimerions aussi essayer la fermentation spontanée”.

Wolf&Fox travaille avec des variétés de pommes plus commerciales, comme la jonagold ou la renet. Il ne s’agit pas des belles pommes des supermarchés, mais plutôt des rebus. Ces “classes C” représentent environ 40 % de la récolte d’un pommier et seraient sinon perdues. “Les meilleures pommes à cidre ne sont pas celles qui sont parfaites, mais celles qui sont très cabossées, brunes, amères et à la peau dure. »

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Marché en croissance

Il y a fort à parier que lorsque vous évoquez le cidre, vous pensez immédiatement au monde anglo-saxon ou aux paysans irlandais récoltants en état d’ébriété les pommes de terres dans les champs.

Pourtant, les premières sources sur le cidre datent d’avant notre ère. Des vestiges archéologiques remontant à 3 000 ans avant notre ère attestent que les Grecs, les Romains et les Celtes étaient des adeptes de cette boisson. Pendant des milliers d’années, le breuvage a survécu dans nos régions jusqu’à ce que les vergers de pommiers soient réduits en miettes lors des Première et Seconde Guerres mondiales. Plus tard, les producteurs de fruits restants ont été rachetés pour convertir leurs pâturages en terres arables. Les cidriers ont disparu en même temps que les arbres fruitiers.

Les données GlobalData recueillies par l’AICV montrent que 24,71 millions d’hectolitres de cidre seront produits en 2021. Près de la moitié (48,3 %) de cette production est destinée à l’Europe occidentale, suivie de l’Afrique et de l’Amérique du Nord. Sans surprise, le Royaume-Uni est le détenteur du record avec près de 7,6 millions d’hectolitres de cidre. La Belgique reste pour l’instant un acteur mineur avec seulement 37 000 hectolitres.

Le cidre Otter peut produire environ 3 000 bouteilles par an. Les pommes proviennent du verger du château d’Alden Biesen à Bilzen. M. Vandenbranden s’intéresse également au verger standard de la commune de Beveren, en Flandre orientale, qui compte plus de 200 arbres. “Idéalement, nous pourrions produire jusqu’à 5 000 bouteilles dans notre atelier de Zwijndrecht, avec une qualité constante, voire supérieure. Si l’on veut produire plus, nous devrons déménager dans un endroit plus grand.” Le cidrier tente également de se diversifier en proposant un rosé aux cerises et des éditions limitées vieillies dans des fûts de chêne du Château d’Opleeuw, le célèbre vigneron belge.

Wolf&Fox produit 7 000 litres de cidre, réalisés dans plusieurs brasseries. “L’objectif est de déménager dans notre propre atelier, mais nous voulions d’abord nous concentrer sur le produit et la qualité”, a déclaré M. Molleman. “Nous sommes tout à fait ouverts à une collaboration avec de plus grandes brasseries qui peuvent nous donner encore plus de possibilités. Nous pouvons combiner les saveurs et rendre notre produit tendance, mais il nous manque peut-être un peu de maturité dans le processus de production et les canaux de vente. »

Cidreries à surveiller

Cidre Ruwet, à Geraardsbergen, a récemment été repris par trois amis. Ils font souffler un vent nouveau sur la brasserie. Depuis 2020, Lievegem est également sur la carte grâce au cidre Le Jerome. Les pommes proviennent de leur propre verger à Bellem. Melanie et Rutger de DRUUGcider de Gand ont cherché une solution pour les pommes qui pourrissaient dans le jardin. Il en est résulté deux cidres et deux poirés que l’on peut trouver localement. Le Rouge de Zevergem produit des jus et des huiles à base de pommes en plus du cidre. À Pottes, de l’autre côté de la frontière linguistique, Jorre Vanhemmens, copropriétaire de De Mederie, produit également du cidre. Mathieu, de Pellicle Vergistingen, est quant à lui spécialisé dans le lambic, le cidre et le vin.

Brasseur amateur

Ken Lodewijckx est la preuve que tous les passionnés ne veulent pas devenir des vendeurs. Ce Campinois produit du lambic sous le nom de Debris Hill pour son propre usage. Depuis peu, il s’aventure aussi de temps en temps dans le cidre. “Il est trop court pour comparer la fabrication du cidre à celle du lambic, mais les deux subissent un processus de fermentation. J’étais de toute façon familiarisé avec cela”, explique ce passionné de bière. “J’aime jouer avec ces saveurs. Lorsque j’achète du lambic, j’aime y ajouter des fruits. Il en va de même pour mes cidres. Je n’achète pas de pommes au supermarché, mais je vais chez les producteurs locaux pour me surprendre”.

Ce n’est pas toujours un franc succès. Selon Lodewijckx, seul un tiers de ses brassins est buvable. “Je ne peux pas produire chez moi dans des conditions contrôlées”, explique-t-il. “Mais cela n’enlève rien au fait que c’est amusant. Cela reste un hobby après tout. »

Pourtant, lui aussi voit l’intérêt. “Je pense que le succès des vins naturels y est pour quelque chose. Par ailleurs, beaucoup considèrent le cidre comme une boisson sucrée. Grâce aux entreprises qui capitalisent sur les nouvelles saveurs, les clients découvrent qu’il n’en est pas forcément ainsi”.

Union belge

L’avenir des cidriers belges est prometteur. M. Vandenbranden a récemment vu son cidre Ottercider être servi comme apéritif lors d’un mariage, à la place du champagne. “Il faut espérer que nous parviendrons à convaincre tout le monde qu’il s’agit d’une alternative valable”, déclare-t-il.

Des initiatives sont également prises au sein de l’industrie. Certains représentants se concentrent spécifiquement sur le cidre, en particulier les représentants néerlandais. Par exemple, les boissons de Wolf&Fox ont été vendues lors du festival de musique Best Kept Secret au Beekse Bergen. À Gand, ils ont eux-mêmes invité tous les collègues régionaux au Gent Cider Fest. Le Live Festival d’Anvers dispose également depuis peu d’un bar à cidre.

L’idée d’unir les forces dans une union belge, à l’instar de l’union européenne, est-elle envisageable ? “Ce ne serait pas une mauvaise chose”, répond M. Vandenbranden, qui note que la Flandre est déjà une région en soi. “Nous aurons besoin les uns des autres pour devenir plus grands. J’ai hâte de rencontrer mes collègues. »

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