“Il ne suffit pas de dire que nous voulons une agriculture durable, nous devons en faire une réussite économique”

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Alors que les agriculteurs sont soumis à de multiples pressions (prix de vente trop bas, agriculture plus durable), un nouveau modèle de revenu, en provenance des Pays-Bas, pourrait bien leur donner un coup de pouce. Cette méthode permet aux agriculteurs, pratiquant une agriculture régénératrice, de prospérer à la fois sur le plan écologique et financier.

Économètre de formation, Bart van Beuzekom connaît mieux que quiconque le monde des produits financiers et des statistiques. Chez BlackRock, il a travaillé sur des instruments financiers toxiques tels que les CDO (collateralized debt obligation, soit un titre de créance collatéralisé), des produits de crédit constitués d’un ensemble de dettes diverses. Il a rapidement compris que le système était intrinsèquement défectueux. « Il est apparu clairement que l’ensemble du système reposait sur le sceau et la règle de la Banque centrale européenne », se souvient-il. « Il s’est avéré qu’un mécanisme, dont tout le monde sait qu’il ne fonctionne pas, ne fonctionne effectivement pas. » Cette prise de conscience l’a amené à quitter le secteur de la finance pour se concentrer sur un domaine qui lui semblait avoir plus d’impact positif: l’agriculture régénératrice.

« L’agriculture régénératrice se concentre sur la qualité des sols, la rotation et le choix des cultures jouant ainsi un rôle crucial », explique Koen Willekens, chercheur à l’ILVO (l’Institut flamand de recherche pour l’agriculture, la pêche et l’alimentation). « Il s’agit d’une approche circulaire de l’agriculture, qui vise à conserver au maximum les nutriments au sein du système et à réduire les intrants externes, tels que les engrais et les produits phytopharmaceutiques. En outre, l’agriculture régénérative vise à accroître la résistance du système aux maladies et aux parasites. »

Une source de revenus supplémentaire

Son intérêt pour l’agriculture régénératrice est né d’un projet de crowdfunding pour une ferme en Amazonie – et du court métrage « Life in syntropy », qui montre la ferme modèle qu’ils allaient imiter – où il a vu les avantages de ces méthodes agricoles qui améliorent la santé des sols. « Dans cette ferme modèle, ils ont transformé 500 hectares de désert en forêt tropicale. Le système a produit trois fois plus de cacao que son voisin, ainsi que des bananes, du bois et d’autres cultures. La biodiversité s’est considérablement accrue, une grande quantité de carbone a été stockée et là où il n’y avait pas d’eau, sept ruisseaux coulent maintenant. La ferme a même fourni de l’eau à ses voisins. Pourquoi tout le monde ne fait-il pas cela ?

Bart Van Beuzekom a donc abandonné son emploi dans une multinationale néerlandaise à Rio de Janeiro, et est rentré aux Pays-Bas afin d’utiliser ses connaissances pour développer un modèle d’entreprise à destination de l’agriculture régénératrice. Il a loué des terres à Waddinxveen et au Portugal et a expérimenté la culture des noix et des céréales.

« Le type de culture choisi n’a pas vraiment d’importance », explique Van Beuzekom, fort de son expérience. « Que vous choisissiez de planter des poiriers et des pommiers, de faire paître votre bétail d’une autre manière, d’utiliser des cultures de couverture, ou de pratiquer une autre forme d’agriculture, comme les cultures arables ou l’agriculture urbaine, tout est possible. Par exemple, si vous aimez les prunes et que vos amis veulent toujours vous en acheter, plantez des prunes. Veillez simplement à ce qu’il y ait différentes plantes en dessous et au-dessus de vos pruniers afin de favoriser la biodiversité, qui contribue à son tour à retenir l’eau, voire à y en ajouter. Utilisez les techniques d’agriculture régénérative qui conviennent à votre situation, mais faites surtout ce qui vous convient. »

Les entreprises, qui cherchent à compenser leurs émissions de carbone, achètent des « crédits » certifiés sur le marché du carbone auprès d’agriculteurs comme Bart Van Beuzekom. Ces agriculteurs les utilisent alors pour être rémunérés de leurs efforts écologiques. Cela c’est la théorie car le Néerlandais a remarqué que le marché du carbone est souvent inaccessible aux petits agriculteurs. Les raisons ? Le coût élevé de la certification et de la taille minimale que les certificateurs exigent de leurs exploitations. Pour remédier à ce problème, il a lancé cette année la plateforme Scature. Scature, pour « échelle » (schaal) et « nature » (natuur), aide les petits agriculteurs à certifier leur stockage de carbone et les met en relation avec des entreprises désireuses d’acheter leurs crédits, leur offrant ainsi une source de revenus supplémentaire.

La nature comme ennemie

« L’agriculture régénérative met l’accent sur la préservation et l’amélioration de la qualité du sol, de l’écosystème et de tous les organismes qui y vivent, y compris les bactéries, les champignons et les nutriments », explique Xavier Gellynck (UGent), économiste de l’agriculture et de l’alimentation. « Dans l’agriculture conventionnelle, on raisonne trop souvent à court terme et on utilise des produits chimiques pour résoudre les problèmes. »

Qui oserait être contre la santé des sols et la biodiversité ? « Il ne faut pas croire que la nature résoudra automatiquement tous nos problèmes », affirme Xavier Gellynck. « C’est une erreur. Dis de manière quelque peu provocatrice, la nature peut être une ennemie plutôt qu’une amie lorsqu’il s’agit de production alimentaire. Si nous laissons la nature suivre son cours, je crains que nous ne soyons confrontés à des pénuries alimentaires, car la nature produit souvent des cultures qui ne nous sont d’aucune utilité. Il s’agit généralement de mauvaises herbes et d’autres plantes qui ne contribuent pas à notre approvisionnement alimentaire ».

C’est pourquoi nous devons manipuler la nature et ses ressources, explique l’économiste agricole. « Je préfère ne pas utiliser le mot « manipuler » car il a une connotation négative. Mais nous devons reconnaître que l’agriculture a toujours été une lutte pour domestiquer des cultures comme le blé. Il a fallu des milliers, voire des centaines de milliers d’années pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui. L’optimum en termes de qualité du sol peut être différent de l’optimum économique », souligne M. Gellynck.

Pour Koen Willekens, chercheur à l’Institut de recherche sur l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO), le fait que l’agriculture ait toujours misé sur une productivité maximale, « souvent avec des intrants importants comme les engrais et les produits phytosanitaires », n’est pas une raison pour qu’elle continue à le faire. « Cela a conduit à des problèmes tels que des résidus de pesticides et au lessivage des nitrates, en particulier en Flandre», souligne M. Willekens. « L’accent est mis désormais sur des systèmes moins dépendants des intrants externes. L’agriculture régénératrice peut être économiquement bénéfique en réduisant le besoin de ces intrants et en améliorant la qualité du sol. L’agriculteur peut obtenir ainsi de meilleurs résultats, même si les rendements sont légèrement inférieurs.

HAK

L’Union européenne considère l’agriculture régénératrice comme une stratégie clé pour lutter contre les effets désastreux du réchauffement climatique et offre des subventions pour soutenir la transition. « Ces pratiques agricoles connaissent un regain d’intérêt évident », note Nele Jacobs, porte-parole de l’ILVO. « Les réglementations européennes exercent une pression descendante sur les entreprises alimentaires pour qu’elles garantissent la durabilité de leur chaîne d’approvisionnement, ce qui favorise l’agriculture régénératrice. »

« On assiste à une évolution des méthodes agricoles, celles-ci évoluent lentement vers l’agriculture régénératrice », observe également Koen Willekens. « Cette transition n’est pas un changement soudain, mais plutôt un processus qui se déroule en plusieurs étapes. Ces étapes comprennent des choix en matière de travail des sols, de sélection des cultures et de pratiques de fertilisation.

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« Nous nous trouvons actuellement dans une phase d’essais et d’erreurs dans la transition vers l’agriculture régénératrice », poursuit M. Willekens, « impliquant à la fois des recherches et des expériences sur le terrain. Bien que de nombreux progrès aient déjà été réalisés sur tous les aspects d’une gestion des sols plus intelligente, en particulier la fertilisation, le travail du sol et le choix des cultures, des recherches supplémentaires sont encore nécessaires pour affiner les nouvelles techniques et les combinaisons de cultures. »

« Certaines exploitations ont déjà mis en œuvre avec succès des pratiques régénératrices et en tirent profit », souligne-t-il encore. « D’autres sont pris entre le mouvement des agriculteurs et la pression des entreprises alimentaires et des réglementations européennes, qui exigent que la chaîne d’approvisionnement devienne plus durable et socialement responsable. Des exemples tels que HAK aux Pays-Bas, qui opte pour des légumes 100 % biologiques, et des initiatives telles que la Maison de l’agroécologie en Belgique, témoignent d’un intérêt croissant pour ces formes durables d’agriculture. »

La technologie joue un rôle crucial dans le soutien des nouvelles pratiques agricoles durables. Selon M. Willekens, la qualité des sols doit être examinée sous l’angle chimique (éléments nutritifs), biologique (biodiversité) et physique (structure du sol). « Les progrès dans ces domaines passent par la diversification des cultures et l’utilisation de cultures mixtes et de cultures de couverture afin de rendre l’écosystème plus résistant et de réduire les intrants externes », explique-t-il.

Un tiers de l’agriculture régénératrice

« Nous devons rendre l’agriculture durable financièrement viable grâce au marché du carbone, mais cela commence par avoir confiance en nos méthodes », explique Bart Van Beuzekom. « Notre approche est simple : nous pouvons mesurer exactement la quantité de carbone présente dans le sol, à la fois en surface grâce à des données satellitaires et en profondeur grâce à des échantillons de sol. Cela nous permet de savoir réellement quelle quantité de carbone est extraite de l’air, sans dépendre de modèles complexes qui souvent ne fonctionnent pas. Malheureusement, le marché du carbone est habitué à des rapports détaillés de plusieurs centaines de pages, ce qui n’est pas pratique pour les petits agriculteurs qui gagnent à peine leur vie. L’argent devrait aller aux agriculteurs qui possèdent moins de cinq hectares de terre et qui sont responsables d’environ 80 % de notre alimentation. Ils ont besoin de notre soutien.

« L’agriculture régénératrice est un investissement au cours des premières années », souligne le co-fondateur de Scature. « Vous engagez des frais parce que vous accumulez des connaissances en expérimentant. Si quelque chose ne va pas, c’est l’agriculteur qui en supporte le coût. Les crédits carbone donnent aux agriculteurs une marge de manœuvre financière qui leur permet d’entreprendre ces expériences et d’améliorer leurs méthodes. Cela peut aider les agriculteurs à devenir plus durables sans leur faire courir de risque financier.

« Mon objectif est de rendre un tiers de l’agriculture régénérative d’ici à 2030 », conclut M. Van Beuzekom. « Ce n’est pas une tâche facile, mais si nous voulons atteindre les objectifs de Paris, c’est nécessaire. Les solutions existent déjà, il suffit de les appliquer. Il s’agit de raconter des histoires positives et de montrer qu’un secteur agricole durable est non seulement possible, mais nécessaire. Le retour aux anciennes méthodes agricoles n’est pas une option ».

M. Gellynck conclut : « Il ne suffit pas de dire que nous voulons une agriculture durable, nous devons en faire une réussite économique. »

Laurens Bouckaert

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