Espagne: l’inquiétante progression des terres “sans vie”

Spain, Castile and Leon, Casasola, view of the Sierra de Gredos (aerial view) (Photo by LEROY Francis / hemis.fr / hemis.fr / Hemis via AFP)

Des sols arides, sans micro-organismes, sans vie : en Espagne, les sécheresses à répétition et la surexploitation industrielle ou agricole font craindre une progression irréversible des “terres stériles”, capable de transformer le “potager de l’Europe” en territoire inhospitalier.

“Ici, avant, il y avait une forêt de chênes verts (…) Aujourd’hui, c’est un paysage inerte”, lâche Gabriel del Barrio, baskets poussiéreuses et chapeau en toile sur la tête, en désignant une colline aux pentes ravinées où ne subsistent que des arbustes rabougris.

Chercheur à la Station expérimentale des zones arides (Eeza) d’Almeria, en Andalousie, ce spécialiste de la désertification observe au quotidien les paysages se dégrader dans cette région méridionale. Non sans une pointe d’appréhension.

“L’Espagne ne va pas devenir un désert, avec des dunes comme dans le Sahara, c’est morphologiquement impossible”, dit-il. Mais la désertification, marquée par une intense “dégradation des sols”, n’en est pas moins “préoccupante”, insiste le sexagénaire.

Le réchauffement en cause

Sur le banc des accusés : le réchauffement climatique, à l’origine d’une hausse des températures favorisant l’évaporation de l’eau et la multiplication des incendies ravageurs, mais aussi et surtout l’activité humaine – et notamment l’agriculture intensive.

Malgré son climat ultrasec, la province d’Almeria s’est transformée au fil des ans en “potager de l’Europe”, en développant d’immenses cultures sous serres : une zone connue comme la “mer de plastique”, d’où sortent hiver comme été des milliers de tonnes de tomates, poivrons et concombres.

Or, ces 40.000 hectares, irrigués grâce à une nappe phréatique plurimillénaire, aggravent le problème “en épuisant les aquifères”, explique Gabriel del Barrio.  

Situation complexe

Quoi qu’extrême, ce cas de figure n’est pas une exception en Espagne. Selon la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, 75% du territoire espagnol est aujourd’hui soumis à un climat pouvant mener à la désertification. Ce qui en fait le pays d’Europe le plus touché par ce problème.

“Cela nous place dans une situation complexe, où la combinaison de températures extrêmes, de sécheresses et d’autres facteurs aggrave le risque d’érosion, de perte de qualité des sols”, a mis en garde récemment la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera.

Selon le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol (CSIC), dont dépend l’Eeza, la dégradation active des terres a triplé au cours des dix dernières années. Un phénomène d’autant plus problématique qu’il est souvent “irréversible à l’échelle humaine”, insiste cet organisme.

Incapacité des sols à retenir l’eau et les matières organiques, à supporter les cultures et le bétail… Pour l’Espagne, qui a fait de l’agriculture un pilier économique, avec près de 60 milliards d’euros d’exportations par an, cette situation a de quoi inquiéter.

“L’érosion des sols est aujourd’hui le principal problème de la plupart des agriculteurs en Espagne”, estime ainsi l’Union des petits agriculteurs (UPA), qui évoque une situation “grave” pouvant avoir un “coût économique” important.  

Travail de longue haleine

En Andalousie, cette situation a convaincu certains de se retrousser les manches. “Il faut agir à notre niveau quand c’est possible” et ne pas “céder à la fatalité”, exhorte Juan Antonio Merlos, propriétaire d’une ferme d’amandiers de 100 hectares sur les hauteurs de Velez-Blanco, au nord d’Almeria.

Avec une poignée d’agriculteurs réunis au sein de l’association AlVelAl, ce quadragénaire a mis en place de nouvelles pratiques, dites “régénératrices”, en reprenant voilà trois ans la ferme de ses parents, aujourd’hui convertie à l’agriculture biologique. En espérant “freiner l’érosion” en cours dans la région.

Parmi ces pratiques : l’utilisation de fumier à la place des engrais chimiques, l’abandon des pesticides “qui tuent les insectes”, un recours limité au labour “qui abîme les sols” et l’utilisation d’un couvert végétal fait de céréales et de légumineuses pour conserver l’humidité quand tombent les rares pluies.

“C’est un travail de longue haleine”, basé sur des techniques “connues de longue date”, détaille Juan Antonio Merlos, en examinant des brins d’orge plantés au pied de ses amandiers.

Ce qui ne l’empêche pas d’être optimiste. “En théorie, il faut sept ans pour voir les résultats de l’agriculture régénératrice. Mais je commence déjà à noter un changement dans le comportement de la terre et des insectes”, assure-t-il.

Au-delà de ces nouvelles pratiques, les associations écologistes plaident, de leur côté, pour un changement de modèle, avec une réduction des surfaces irriguées et le recours à des cultures moins gourmandes en eau. “Il faut adapter nos demandes aux ressources réellement disponibles”, insiste le Fonds mondial pour la Nature (WWF).

Une analyse partagée, avec une nuance, par Gabriel del Barrio. “Il faut trouver un équilibre” pour satisfaire les besoins alimentaires sans mettre les sols en péril, estime le chercheur. Qui appelle à “gérer les sols de la façon la plus durable possible”, pour éviter d’avoir des terres “sans vie”.

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