COP29: un pouvoir mobilisateur crucial malgré les critiques et les défis

Sultan Al Jaber, président de la COP28, prend la parole lors de l'ouverture de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique COP29 à Bakou, Azerbaïdjan, le 11 novembre 2024. REUTERS/Maxim Shemetov

La 29e Conférence de l’Onu sur le changement climatique (COP29) s’ouvre ce lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Cette grande messe de la lutte contre le réchauffement climatique au bilan souvent en demi-teinte a-t-elle encore sa raison d’être ? Eléments de réponse avec deux spécialistes belges en la matière: Michel Crucifix, physicien spécialisé en climatologie à l’UCLouvain et Jean-Pascal van Ypersele, professeur ordinaire de climatologie et de sciences de l’environnement à l’UCLouvain.

La question mérite d’être posée: est-ce que les conférences répétées de l’Onu sur le changement climatique ont encore du sens ? La 29ème du genre s’ouvre ce lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Certains observateurs critiquent d’emblée le choix du pays hôte, qui comme pour Dubaï en 2023, est un pays producteur d’énergie fossile.

Dans ce contexe, quel est encore le poids et la crédibilité d’un tel sommet?

Michel Crucifix, physicien spécialisé en climatologie à l’UCLouvain, est, depuis l’Accord de Paris de 2015, convaincu du pouvoir mobilisateur et motivant de ces sommets rassemblant des milliers de participants des quatre coins du monde et qui ont une large visibilité médiatique. “On ne saura jamais ce qu’aurait été le monde s’il n’y avait pas eu l’Accord de Paris. Mais je pense quand même qu’il y a eu un effet : ça a donné un cadre.” Il ajoute : “C’est assez paradoxal. Même si l’Accord de Paris fixait des objectifs ambitieux, voire inatteignables – limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C, voire 1,5°C si possible – il a eu un effet d’entrainement qui a fait prendre conscience de ces enjeux énormes. Surtout, une limite a été établie – le seuil de 1,5°C – qui n’était pas choisie parce qu’elle était facile à atteindre, mais parce qu’elle est essentielle pour éviter les impacts les plus graves sur le climat.”

Limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C, voire 1,5°C si possible, a eu un effet stimulant qui a fait prendre conscience de ces enjeux.

Michel Crucifix

Physicien spécialisé en climatologie à l’UCLouvain

Un cadre mobilisateur

Jean-Pascal Van Ypersele, professeur ordinaire de climatologie et de sciences de l’environnement à l’UCLouvain, est membre de la délégation belge présente à la COP29. Nous lui avons la même question avant qu’il ne s’envole vendredi matin pour Bakou. “Oui”, selon le climatologue, la COP29 a encore sa raison d’être car il y a « un besoin réel de relever le niveau d’ambition pour réduire les émissions, ce qui est absolument nécessaire pour garder la Terre habitable”. Il ajoute : “Les émissions mondiales ne sont toujours pas en diminution, même si les émissions de l’Union européenne ont baissé de manière continue, grâce à des décisions politiques. Malheureusement, l’Europe ne représente qu’une partie de la planète. Ce qu’il faudrait, c’est que l’ensemble du monde suive cette trajectoire.” 

Ce n’est pas parce que l’objectif est difficile à atteindre qu’il faut l’abandonner.

Jean-Pascal van Ypersele, professeur ordinaire de climatologie et de sciences de l’environnement à l’UCLouvain.

“Plus vous poussez le système climatique vers des températures élevées, moins on sait ce qui va se passer. Il y a toute une série de composants du système climatique qui pourraient subir des dégâts », alerte, de son côté, Michel Crucifix. La COP29 est dans ce contexte perçue comme un outil pour limiter ces impacts en poussant les Etats à des mesures de réduction, à condition de continuer à frapper sur le même clou.

Augmenter l’aide en faveur des pays les plus affectés

Les discussions de la COP29 porteront notamment sur la fixation d’un nouvel objectif de financement climatique, dès 2025, pour permettre aux pays en développement d’atténuer le réchauffement de la planète et faire face à ses conséquences. L’objectif des 100 milliards de dollars par an pour la finance climatique fixé en 2009 lors de la conférence de Copenhague, n’a pas été atteint. « Cet objectif, fixé à l’horizon 2020, n’a pas été atteint par les pays développés, malgré des artifices comptables. Aujourd’hui, l’un des enjeux majeurs de la COP29  est de concrétiser ces promesses. Il est nécessaire de les augmenter en faveur des pays les plus affectés par le changement climatique, qui sont aussi ceux qui y ont le moins contribué, dans un contexte où les priorités budgétaires sont très disputées, notamment après le Covid et les guerres en cours”, avance Jean-Pascal van Ypersele.

Donald Trump, un obstacle supplémentaire

Les changements géopolitiques importants que connait actuellement le monde est aussi un obstacle aux objectifs climatiques. L’arrivé de Donald Trump au pouvoir pourrait encore mettre des bâtons dans les roues des défenseurs d’initiatives concrètes en faveur de réduction forte des émissions de CO2. “C’est en effet une difficulté supplémentaire », estime Jean-Pascal van Ypersele. Même si Donald Trump a dans le passé déjà signé, en tant que CEO de son entreprise, une pétition pour que Barack Obama s’engage sur la question climatique, il est bien connu qu’il n’est pas partisan de l’action climatique…Il n’est pas à une contradiction près. » Un avis partagé par son confrère Michel Crucifix: “En termes de sobriété énergétique, Trump ne donne pas l’exemple, et cette réticence à s’engager rend les perspectives de changement encore plus incertaines.

2024, année la plus chaude jamais enregistrée

L’année 2024 sera « pratiquement certainement » l’année la plus chaude au niveau mondial et la première à dépasser de plus d’1,5°C les niveaux de température de l’ère pré-industrielle, a annoncé cette semaine l’observatoire européen Copernicus. Ce qui porte les températures au-delà de l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris. Dans ce contexte difficile, cet objectif de +1,5 degré est-il encore tenable pour nos deux spécialistes du climat? “Techniquement, c’est encore possible, estime l’ancien vice-président du GIEC et actuel coordinateur de la Plateforme wallonne pour le GIEC. Mais, il faudrait que les émissions décroissent énormément, ce qui est peu probable dans le contexte actuel... Cependant, l’objectif de +1,5 degré n’a pas été choisi pour être facilement atteignable, mais pour éviter une grande partie des impacts les plus graves des changements climatiques. Ce n’est pas parce que cet objectif est difficile à atteindre qu’il faut l’abandonner.”

Respecter à tout prix le seuil de 1,5°C

Pour Michel Crucifix, même si cela sera compliqué, il reste important d’essayer de respecter cette limite de 1,5°C. “Sur le moment, des climatologues ont trouvé que c’était une mauvaise idée de se donner une limite, cela donnait de faux espoirs aux gens, explique-t-il. Dix ans plus tard, ils ont changé d’avis. Le coup politique était le bon. « Chaque dixième de degré compte, et cela se voit particulièrement sur l’impact des vagues de chaleur. Par exemple, un réchauffement de 1,5°C expose déjà 500 millions de personnes à des vagues de chaleur dangereuses. À 2,5°C, c’est environ 2 milliards de personnes qui seraient en danger, notamment en Inde, cela représente une personne sur quatre dans le monde. C’est un enjeu qui va bien au-delà du simple aspect climatique : on parle de géopolitique, de migration, de survie humaine. Ces chiffres soulignent pourquoi il était pertinent de viser 1,5°C plutôt que 2°C, même si l’objectif est difficile », expose-t-il.

C’est un enjeu qui va bien au-delà du simple aspect climatique : on parle de géopolitique, de migration, de survie humaine.

Michel Crucifix

Climatologue

Les vagues de chaleur ne sont qu’un exemple parmi d’autres impacts illustre Michel Crucifix. Car, plus on pousse le système climatique vers des températures élevées, moins on contrôle ce qui se passe. “On risque des pertes massives, comme la moitié de la forêt amazonienne ou des glaciers entiers, avec des conséquences dramatiques”, alerte l’expert. Une vision qui ne se veut pas “pessimiste” pour le spécialiste louvaniste mais “de prudence scientifique”. “Le problème avec le CO₂, c’est son effet cumulatif. Chaque molécule de CO₂ reste dans l’atmosphère très longtemps. Même si on arrêtait les émissions demain, la concentration diminuerait très lentement. Le CO₂ est tellement intégré à notre mode de vie qu’il est difficile de l’abandonner rapidement”, commente-t-il.

Au final, la COP29 peut-elle aboutir à des actions concrètes ?

“Je l’espère, mais je reste sceptique, déclare Michel Crucifix. Dans les pratiques actuelles, comme en Belgique, on encourage l’électrification et les énergies renouvelables, mais en parallèle, l’augmentation des consommations numériques et la dépendance énergétique restent des freins. La solution pourrait impliquer un changement de paradigme économique, mais c’est un sujet qui dépasse mon expertise.”

“C’est prématuré de tirer des conclusions avant que la COP n’ait commencé », est d’avis, pour sa part, Jean-Pascal van Ypersele. « Malgré les défis, comme l’an dernier à Abou Dhabi, une déclaration a été adoptée pour sortir des combustibles fossiles », tient-il à rappeler. “Il ne faut pas partir pessimiste d’avance. La délégation belge et européenne feront leur possible pour faire avancer les choses.”

Un nouveau forum pour diplomatie des énergies fossiles

Le choix de ce pays exportateur d’hydrocarbures, pour accueillir l’événement annuel suscite pourtant des inquiétudes sur son entrain à encourager une sortie du pétrole, du gaz et du charbon, principaux responsables du changement climatique. Ilham Aliev, l’autoritaire président du pays, avait qualifié en avril les réserves de pétrole et gaz de son pays de “don de Dieu”.

Un rapport publié la semaine dernière par l’ONG Transparency International et le collectif Anti-corruption data collective critique plus spécifiquement les liens entre la présidence de la COP et la compagnie nationale d’hydrocarbures, la SOCAR, dont est notamment issu Moukhtar Babaïev, président de la COP29. “La COP29 risque de devenir un nouveau forum pour les contrats et la diplomatie des énergies fossiles”, au moment où “la SOCAR mène une stratégie d’expansion régionale des énergies fossiles”, met en garder le rapport.

Kiki Ritmeijer et Sarah Nasrawi, toutes deux représentantes de la jeunesse aux Nations Unies pour le développement durable des Pays-Bas, posent pour un selfie devant le lieu de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique, connue sous le nom de COP29, à Bakou, Azerbaïdjan, le 10 novembre 2024. REUTERS/Murad Sezer

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content