Comment sont recyclés les missiles nucléaires ?

Photo datée du 10 Décembre 2007 à Biscarrosse, du hall de montage des cibles de missile du C.E.L.M , appartenant à la DGA (Direction Générale de l'Armement). Le C.E.L.M (Centre d'essais de Lancement de Missiles) teste actuellement le missile tactique M51, élaboré pour équiper les sous-marins de la force de dissuasion française. (Photo by JEAN-PIERRE MULLER/AFP via Getty Images) © Getty Images

Que faire des missiles nucléaires français, dont la finalité est de ne pas être utilisés, une fois arrivés en fin de vie ? Si leur charge atomique est recyclée, leur poudre propulsive, jadis brûlée, finit désormais dans une station d’épuration ad hoc.

A Saint-Médard-en-Jalles (sud-ouest), Arianegroup construit les missiles M51 qui équipent les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) puis les démantèle des années plus tard.

Sur le site qui a abrité une poudrerie royale dès le XVIIe siècle, le concepteur des fusées Ariane fabrique également et charge le propergol, le carburant solide qui permet de propulser le missile dans l’espace et d’envoyer ses têtes nucléaires à près de 10.000 kilomètres.

Depuis l’entrée en service des SNLE en 1972, aucun missile n’a été tiré autrement que pour des tests destinés à assoir la crédibilité de la force de dissuasion nucléaire française.

“Il fut un temps où les missiles en fin de vie étaient tirés sommairement au banc” pour brûler leur propergol, explique Philippe Clar, directeur des programmes de défense d’Arianegroup. Cela dégageait des gaz toxiques contenant de l’acide chlorhydrique.

“Là, on reprend les missiles de retour de dotation et on fait le processus inverse, on les démantèle”, ajoute-t-il.

Si le secret est la règle pour tout ce qui touche à la dissuasion, la France a levé un coin du voile en annonçant qu’elle comptait un total de “moins de 300 têtes nucléaires”. Celles-ci sont placées sur 54 missiles aéroportés ASMP-A et les 3 lots de 16 missiles à têtes multiples M51 qui équipent les quatre SNLE.

Depuis l’arrêt de la production de plutonium dans l’usine de Marcoule en 1992 et d’uranium hautement enrichi dans celle de Pierrelatte, dans le sud-est, quatre ans plus tard, les matières fissiles des têtes nucléaires sont réutilisées.

“La durée de vie d’un missile, c’est une trentaine d’années” mais il faut renouveler son propergol en cours de route, détaille Philippe Clar. Arianegroup a “quasiment fini le démantèlement des missiles M45 de retour de dotation, et on va commencer les M51”, selon lui.

“Sel de cuisine”

Ces missiles finissent donc leur vie à Saint-Médard dans une installation de traitement biologique baptisée Licorne (Ligne industrielle de collecte des objets pyrotechniques et de réduction naturelle des effluents) inaugurée en 2014.

L’enveloppe des trois étages du missile est d’abord découpée, puis le propergol vidangé à l’aide d’un jet à haute pression.

“Ce n’est en fait pas une poudre, ça ressemble à une gomme composée à plus de 70% de perchlorate d’ammonium mais aussi d’aluminium et d’un liant polymérique”, explique Marie Gaudré, directrice du site.

Le carburant, qui est le même que celui utilisé dans les boosters d’Ariane 5 et 6, subit ensuite deux broyages successifs pour arriver à des fragments d’1 mm qui sont placés dans un macérateur d’eau chaude, permettant de séparer le perchlorate, très soluble, de l’aluminium. Ce dernier est ensuite recyclé.

Dans un bassin de 1.000 m3, le perchlorate d’ammonium est ensuite mélangé à des bactéries qui “cassent les molécules d’ammonium”. Puis, le perchlorate est lui-même mangé par d’autres bactéries dans un autre bassin. “Cela devient du NaCl, du sel de cuisine”, détaille Marie Gaudré.

“On détruit 99,99% du perchlorate par les bactéries, c’est une station d’épuration sophistiquée”, s’enthousiasme-t-elle.

Le nombre de missiles traités chaque année n’est pas communiqué. Mais la quantité de propergol est imposante: un missile M45 pèse 35 tonnes, un M51 54 tonnes, dont “75 à 80%” de perchlorate d’ammonium.

Pour Philippe Clar, ce “traitement biologique” répond au durcissement des réglementations environnementales, mais “c’est un élément de la pérennité de notre dissuasion”.

Partner Content