Les premiers essais pour le tour du monde à l’hydrogène sont en vue. Une façon de défendre une énergie sous pression. “Il ne faut pas se décourager”, clame Bertrand Piccard. Mais l’homme soutient aussi les entreprises pour la transition, milliards européens à la clé. Et il prolonge une tradition familiale racontée dans un album de bande dessinée. Rencontre passionnée.
Bertrand Piccard multiplie les casquettes : explorateur, ambassadeur, entrepreneur et désormais… personnage de bande dessinée. Quand on le rencontre à Bruxelles, l’homme des tours du monde improbables (en ballon, à l’énergie solaire, bientôt à l’hydrogène) vient de décerner les prix du Pionneers Forum de sa Fondation Solar Impulse pour la transition écologique. Les chefs d’entreprise se pressent pour se prendre en photo avec lui. Une star.
Voilà, désormais, Bertrand Piccard en personnage de BD dans le grand récit de son histoire familiale racontée par Jean-Yves Duhoo (Un, deux, trois Piccard, éd. Dargaud). “Je ne suis qu’un figurant, sourit-il. J’ai été enthousiasmé de découvrir en images ce que me racontait mon père sur mon grand-père.” Auguste, physicien et inventeur, avait ouvert la voie, au début du 20e siècle, à l’aviation moderne et à l’exploration des fonds marins. Hergé s’était inspiré de son profil pour créer le professeur Tournesol.
“Ce qui est beau dans ce livre, s’émeut Bertrand Piccard, ce sont les liens faits entre les générations et les valeurs transmises : protection de l’environnement, esprit de pionnier, exploration et persévérance dans l’adversité.” Une tradition qu’il perpétue de son côté.
Tour du monde à l’hydrogène
L’explorateur suisse, aux racines belges, prépare le tour du monde à l’hydrogène. La construction de l’avion, avec des matériaux hyper légers, avance à bon rythme aux Sables d’Olonne. L’impatience grandit. “Le baptême de l’avion doit avoir lieu au printemps prochain, nous dit-il. Le premier vol test est prévu pour l’été prochain.”
Comme pour les grandes découvertes, l’agenda est progressif. “Au début, on roulera au sol avec l’avion. Puis, des pilotes d’essai effectueront des petits sauts de puce. Si cela fonctionne bien, nous analyserons toutes les données de vol, puis ils feront des voyages plus hauts, en altitude de croisière à 3.000 mètres. Alors, viendra le temps de transmettre les commandes à Raphaël Dinelli et moi-même, j’espère à la fin de l’année prochaine. Comme cela n’a jamais été fait, il n’y a pas de certitude, il y a de l’espoir. Il faut rester émotionnellement stable face aux bonnes comme aux mauvaises nouvelles.”
Syensqo est le partenaire technologique privilégié de cette aventure. “Leur soutien se poursuivra en dépit du départ annoncé d’Ilham Kadri (qui quittera son poste de CEO en janvier prochain, ndlr), rassure Bertrand Piccard. Nous disposons de conseils précieux, des matériaux pointus pour la fibre de carbone, les composites, les adhésifs et la membrane pour le combustible.”
“Rendre l’hydrogène désirable”
Malmené sur le plan économique en Europe, l’hydrogène reste-t-il un choix judicieux ? “Le but, c’est bien de rendre l’industrie de l’hydrogène désirable, dit-il. Aujourd’hui, on n’avance pas assez vite parce que l’offre attend d’avoir plus de demande, et la demande attend qu’il y ait plus d’offre. C’est le problème de la poule et de l’œuf. Cela stagne.
L’Europe a beaucoup espéré dans l’hydrogène vert, mais elle se rend compte que cela ne vient pas tout seul. Il y a une forme de découragement alors que cela avance rapidement en Chine ou en Inde. Nous devons atteindre une masse critique pour que l’hydrogène parvienne au stade de l’industrialisation. C’est ce qui est arrivé pour le photovoltaïque qui était 40 fois plus cher il y a 20 ans, mais aussi pour les téléphones portables qui coutaient 15.000 euros et avaient la taille d’une valise. Notre but, c’est de montrer que cela fonctionne et de pousser cette industrie vers l’avant. Il faut des pionniers!”
“Notre but, c’est de montrer que l’hydrogène fonctionne et de tirer cette industrie vers le haut. Il faut des pionniers !”
1.700 solutions et…

© PG
L’explorateur est aussi un entrepreneur et un avocat positif pour la cause climatique, la Fondation Solar Impulse étant son bras armé. “Nous recherchons des solutions permettant de changer le narratif de la protection de l’environnement, dit-il. Cela aussi, c’est de l’exploration. Comment motiver des gens qui n’ont pas d’intérêt pour l’action climatique, voire qui y sont opposés, en montrant qu’il y a des réponses attrayantes pour l’économie et les entreprises. Nous en sommes à près de 1.700 solutions.” Cela va du photovoltaïque adapté à l’agriculture jusqu’à des substituts pour le plastique.
Les temps hostiles que le monde rencontre en ce moment rendent-ils la tâche plus délicate ? “Nous devons vraiment faire passer le message que ce ne sont pas des subventions que l’on cherche. On ne fait pas l’aumône, on veut que les entreprises essaient ces solutions et comprennent que c’est économiquement rentable. Si l’on met l’efficience au cœur du développement économique, on gaspillera moins d’énergie, de matière et de déchets : on économisera de l’argent. On fait mieux avec moins et la marge bénéficiaire sera plus importante.”
…un programme à 17,5 milliards
Dans cette démarche, Bertrand Piccard et son équipe travaillent en partenariat avec la Banque européenne d’investissements (BEI), dans le cadre d’un programme de 17,5 milliards d’euros initié avec la Commission européenne, et destiné à aider les PME à mettre en œuvre ces mesures d’efficacité énergétique.
“C’est un projet que je leur ai proposé, raconte Bertrand Piccard. Beaucoup de solutions sont pleines de promesses, mais il leur faut un investissement initial, ce qui n’est pas toujours facile. Ce fonds permettrait de financer l’investissement de la solution chez le client, qui rembourse grâce aux économies réalisées via celle-ci. L’idée consiste à soutenir 350.000 PME !”
Les 1.700 solutions pourraient alors voir leur impact démultiplié. “C’est une façon de donner tout leur potentiel aux solutions efficientes, insiste Bertrand Piccard. Tout le monde dit que l’énergie est trop chère en Europe, mais elle l’est aussi parce qu’on la gaspille. Pourquoi, par exemple, ne pas mieux utiliser l’énergie gigantesque des data centers pour chauffer les villes ? Toutes ces solutions permettront à l’industrie européenne d’être plus compétitive, plus rentable, plus souveraine.”
Il prône ainsi la création d’un cycle vertueux.
COP30
Bertrand Piccard continue son œuvre d’ambassadeur en vue de la prochaine COP30, qui aura lieu en novembre à Belém, au Brésil. “J’essaie d’influencer les solutions dans le bon sens, sourit-il. Nous y annoncerons le développement de cet instrument financier, avec le but de promouvoir encore et toujours ce nouveau narratif.”
L’explorateur regarde les dessins de sa famille dans la BD qui lui est consacrée. Il se montre songeur. “Les pionniers doivent faire preuve de ténacité. Les politiques, eux, ont trop souvent une vision à court terme limitée à leur mandat. L’explorateur, lui, se donne le temps d’une vie pour changer les choses.”