Des billets d’euros et de dollars arrivent toujours en Russie, malgré les sanctions
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les exportations de billets d’euros et de dollars sont interdites. Mais du cash d’une valeur totale de 2,3 milliards de dollars a tout de même trouvé son chemin vers la Russie. Comment cela se fait-il ?
Il y a deux ans et demi, la Russie a envahi l’Ukraine. L’Occident a réagi en fournissant des armes à Kiev et en émettant des sanctions économiques pour affaiblir le trésor de guerre du Kremlin. Une d’entre elles était l’interdiction d’exportation de billets d’euros et de dollars vers la Russie. Mais ces flux ne se sont pas arrêtés.
Des billets d’une valeur totale de 2,3 milliards de dollars y ont été acheminés entre mars 2022 et décembre 2023, rapporte Reuters, sur base de documents des douanes russes obtenues via un fournisseur. La Turquie et les Emirats Arabes Unis, qui n’ont pas pris ce type de sanction, ont par exemple servi de porte d’entrée vers la Russie pour ces billets. Mais pour la moitié des importations, l’origine n’est pas indiquée. La Commission européenne indique de son côté que si elle apprend ou suspecte que des sanctions sont contournées via des pays tiers, elle se met en contact avec ces pays.
Même si le yuan est devenu la première monnaie d’échange, les Russes aiment toujours avoir des dollars sous la main, explique Dmitry Polevoy, investisseur en chef auprès de la compagnie russe Astra Asset Management. Ils utilisent le billet vert par exemple lorsqu’ils vont en vacances, pour importer des biens ou pour épargner, et le trouvent toujours fiable.
Gros pic avant l’invasion
2,3 milliards, cela peut peut-être paraître beaucoup, mais ce n’est rien comparé au pic d’importations de billets qui a eu lieu dans les quatre mois avant l’invasion. Entre novembre 2021 et février 2022, 18,9 milliards de dollars de billets sont entrés dans le pays, dont plus de 6 milliards rien qu’en février. Durant les quatre mois avant cette période, les imports avaient chuté à 17 millions de dollars par mois, et entre mi-2020 et mi-2021, les importations moyennes étaient de 1,5 à 2 milliards, par mois. Entre l’invasion et fin 2023, la moyenne est de 100 millions de dollars par mois.
Daniel Pickard, expert du commerce et de la sécurité auprès du cabinet d’avocats américain Buchanan Ingersoll & Rooney, explique que ce pic veut dire que certains Russes s’attendaient à l’invasion et aux sanctions, et ont voulu assurer leurs arrières. Il ajoute que les flux de billets de banque sans doute beaucoup plus importants que ce que montrent les données.
Duty-free…
Aero-Trade se distingue comme le plus gros importateur, dans les données douanières. C’est une société qui propose des services de shopping en duty-free et à bord d’avions. Elle a déclaré des importations d’une valeur totale de 1,5 milliard de dollars, soit près de la moitié du total. Aero-Trade a déclaré 73 paquets de 20 millions de dollars ou d’euros, ce qui fait en moyenne plus de trois livraisons par mois, sur la période donnée.
Dans ses déclarations, la société a indiqué qu’il s’agit d’échanges ou de revenus du commerce à bord. Elle y est également notée comme “déclarant” ; c’est-à-dire la personne ou l’entité qui remplit la documentation. Les clients pour lesquels elle achemine ces montagnes de cash ne sont pour la plupart pas connus, ni l’origine ou la destination finale des billets. Artem Martynyuk, CEO d’Aero-Trade, indique qu’il doute de l’authenticité des données et que la société n’est pas active dans l’importation de devises fortes.
La succursale russe d’Yves Rocher aurait réceptionné une des piles de 20 millions de dollars, selon les données. Le groupe français de produits de soins répond qu’il n’a pas de liens avec Aero-Trade, qu’il n’a pas demandé à recevoir d’importation de liquidités et qu’il se conforme à la loi et n’essaie pas de contourner les sanctions.
…et or
Autrement, un quart des billets importés (580 millions de dollars) est revenu aux banques russes. En échange, elles ont vendu des métaux précieux, pour environ la même somme. Vitabank par exemple a importé 64,8 millions de dollars en billets, depuis l’entreprise d’échange d’or turque Demas Kuyumculuk. En retour, elle lui a fourni de l’or et de l’argent d’une valeur 59,5 millions de dollars.
Une personne proche des activités de Demas confirme ces échanges et indique qu’il y en a également eu avec deux autres banques russes. Elle ajoute qu’envoyer des billets, en transitant via les Emirats, était la seule manière possible et légale d’honorer des contrats signés avec des fournisseurs d’or russes avant les sanctions, comme les virements ne sont plus possibles suite à l’exclusion de la Russie de Swift. Les contrats se sont terminés il y a environ un an et il n’y a plus eu d’échanges depuis, selon la source, qui indique de Demas n’a jamais fait affaire avec un fournisseur sanctionné.
D’autres importateurs de cash sont des entités de Rostec, un conglomérat militaire et industriel qui appartient à l’Etat russe, mais il n’y a pas plus d’informations sur ce point.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici