Que signifie la taxe sur les plus-values pour vos gains en crypto?

Le gouvernement De Wever veut introduire une taxe sur les plus-values de 10 % sur les actifs financiers, y compris les cryptomonnaies. La manière dont cette taxe sera précisément mise en œuvre reste floue. L’avocat spécialisé en crypto Thomas Spaas et le fiscaliste Jo Matthieu (Edmond de Rothschild) précisent où se situent les zones grises.

Bien que les grandes lignes de la taxe soient déjà définies, de nombreuses incertitudes subsistent quant à son application exacte, notamment concernant les transactions entre cryptomonnaies et la relation entre cette nouvelle taxe et les catégories fiscales existantes. Cela soulève de nombreuses questions, dont la plus importante est peut-être cela : Que change concrètement l’introduction de la taxe sur les plus-values pour les investisseurs en cryptomonnaies ?

Thomas Spaas : « Selon la loi, les investissements en cryptomonnaies devaient déjà être traités de la même manière que les actions et autres actifs financiers. Bien que la Cour constitutionnelle l’ait implicitement confirmé en 2022, cela n’a pas conduit à une harmonisation complète entre les actions et les cryptos. En pratique, le fisc se montrait plus strict envers les cryptomonnaies que pour les actions, estimant plus facilement qu’il s’agissait de spéculation. Pour éviter de longues discussions avec le fisc, de nombreux investisseurs en cryptomonnaies déclaraient déjà une partie de leurs gains comme revenus des revenus spéculatifs en les inscrivant sous régime divers qui est taxé à 33 %.  Avec l’introduction de la nouvelle taxe sur les plus-values, les investisseurs en actions seront désormais confrontés aux mêmes problématiques que celles auxquelles les investisseurs en cryptomonnaies font face depuis longtemps. »

Jo Matthieu : « L’accord gouvernemental précise que les gains historiques ne seront pas touchés. La date clé de référence est l’entrée en vigueur de la loi. La valeur des actifs à ce moment-là sera prise comme base. Pour les actions cotées en bourse, c’est facile à établir, mais pour les actifs non cotés et les cryptomonnaies, cela peut poser un problème. »

Comment la cryptomonnaie est-elle taxée ?

Thomas Spaas : « En théorie, le traitement fiscal des actions et des cryptomonnaies était identique. En pratique, les cryptos étaient souvent traitées plus sévèrement. Les investisseurs en cryptos étaient plus rapidement soumis à la taxe de 33 % sur les plus-values spéculatives. La nouvelle réglementation ne change pas fondamentalement cela. La question est de savoir comment cette taxe sur les plus-values s’articule avec les catégories existantes. La spéculation restera-t-elle taxée à 33 %, tandis que le taux de 10 % ne s’appliquera qu’aux investissements à long terme ? La réponse à cette question n’est pas encore claire. »

Jo Matthieu : « Les revenus issus du bitcoin peuvent entrer dans trois catégories fiscales. La première est celle des revenus professionnels. Si une personne pratique le trading de bitcoins de manière suffisamment organisée, cela peut être considéré comme une activité professionnelle et être imposé de manière progressive comme un revenu professionnel. Si le bitcoin ne relève pas des revenus professionnels, on examine la seconde catégorie, celle des revenus mobiliers. Cependant, le bitcoin n’entre pas dans cette catégorie, car il ne génère pas de dividendes ou d’intérêts imposables. La troisième catégorie est celle des revenus divers. Si le trading de bitcoins est considéré comme spéculatif, les bénéfices sont imposés dans cette catégorie au taux de 33 %. L’avantage de cette classification est que les coûts et les pertes peuvent être déduits, ce qui n’est pas le cas pour les dividendes ou les intérêts. »

Thomas Spaas : « Pour les actifs courants, comme les actions cotées ou les cryptomonnaies comme le bitcoin et l’ether, la détermination de la valeur est simple grâce à un prix de marché constant. Cependant, comme pour les actions, certaines cryptomonnaies sont moins fréquemment échangées, notamment celles émises lors d’une Initial Coin Offering (ICO) ou d’une Token Sale. Cela pose des questions complexes d’évaluation. Avec les actions, on peut se référer à la valeur sous-jacente d’une entreprise. Avec les cryptos, c’est souvent impossible, car de nombreux projets sont encore en phase précoce et reposent uniquement sur la confiance. Cela rend l’évaluation objective des plus-values particulièrement difficile. »

Quand est-on taxé ?

Jo Matthieu : « Une question cruciale est de savoir si la taxe s’applique uniquement lorsque les cryptomonnaies sont converties en euros ou également lors de transactions entre différentes cryptomonnaies. »

Thomas Spaas : « Aux États-Unis, chaque transaction individuelle est examinée pour déterminer la plus-value, ce qui entraîne d’énormes complications administratives. Si la Belgique suit ce modèle, cela représentera une lourde charge pour les investisseurs. La Cour de cassation s’est prononcée en 2018 sur les revenus spéculatifs et leur interprétation fiscale, préconisant une approche pragmatique. En théorie, cela signifie que les gains en cryptomonnaies ne devraient être imposables qu’au moment de leur conversion en euros, mais il n’est pas encore clair si le fisc belge adoptera cette interprétation. »

A quel point la partie administrative sera-t-elle complexe ?

Thomas Spaas : « Il est faux de penser que les investisseurs veulent éviter les impôts à tout prix. La plupart souhaitent simplement des règles claires et des procédures applicables. Si le système devient trop complexe, certains investisseurs pourraient, par désespoir, demander une régularisation fiscale, en payant un montant forfaitaire pour être en règle. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Sous l’ancien régime fiscal, nous avons déjà vu des investisseurs en cryptomonnaies opter pour une régularisation par incertitude, même s’ils auraient théoriquement pu bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux. Si la loi n’est pas bien élaborée, cela se reproduira. »

Jo Matthieu : « Il y a actuellement trop d’incertitude sur le régime fiscal. Un point de discussion important concerne la qualification fiscale de la plus-value : est-ce un revenu professionnel, une gestion prudente non imposable, ou relève-t-elle des revenus divers en tant que revenu spéculatif ? Le gouvernement souhaite avant tout clarifier ces aspects et le moment où la taxation s’applique précisément. Je pense par ailleurs qu’il pourrait être plus avantageux pour les investisseurs en cryptomonnaies de relever du nouveau régime fiscal. Il leur apporte de la sécurité et un taux de 10 % au lieu des 33 % habituels sur les revenus divers. Si j’étais moi-même investisseur en cryptomonnaies, je préférerais payer 10 % plutôt que de risquer une taxation plus élevée. »

Le gouvernement a-t-il ainsi introduit un impôt « moderne » ?

Thomas Spaas : « On pense être moderne en introduisant une taxe sur les plus-values, mais on part d’un modèle du XIXe siècle où l’évaluation des actifs était simple. Ce n’est plus le cas dans l’économie actuelle. L’époque où les investisseurs conservaient longtemps une même action ou cryptomonnaie est en grande partie révolue. La réalité est que de nombreux investisseurs passent d’un actif à l’autre. Si l’on doit désormais calculer une plus-value pour chaque transaction, on risque de mettre en place un système ingérable dans la pratique. »

Jo Matthieu : « À l’heure actuelle, de nombreux investisseurs adoptent encore une stratégie buy-and-hold, car c’est un critère pour être considéré comme une gestion prudente non imposable. Avec l’introduction de la taxe sur les plus-values, ils pourraient être incités à effectuer davantage de transactions, car l’incitation à conserver leurs actifs à long terme sera réduite. Je m’attends à ce que les investisseurs prennent plus rapidement leurs bénéfices et passent souvent d’une cryptomonnaie à une autre. »

Les banques belges vont-elles renforcer leurs contrôles sur les transactions en cryptomonnaies ?

Jo Matthieu : « Oui, les banques appliquent déjà des contrôles stricts dans le cadre de la prévention du blanchiment d’argent. Avec l’introduction de la taxe sur les plus-values, il y aura encore plus de contrôles, indépendamment de l’impôt lui-même. Il existe des initiatives européennes et des règles de conformité qui obligent les banques à mieux surveiller les transactions. Cependant, les banques ne disposent pas de l’expertise requise et devront probablement sous-traiter cela à des entreprises spécialisées. »

Y a-t-il un vent de panique parmi les investisseurs en cryptomonnaies ?

Thomas Spaas : « Non, la plupart des investisseurs en cryptomonnaies étaient déjà confrontés à une forme de taxation des plus-values, notamment via le régime spéculatif à 33 %. L’espoir est que la nouvelle législation apporte davantage de sécurité juridique, mais tant que les textes définitifs ne sont pas établis, il faut rester prudent.

Jo Matthieu : « Ceux qui souhaitaient quitter la Belgique pour des raisons fiscales l’ont probablement déjà fait. Je ne m’attends pas à un exode massif des investisseurs en cryptomonnaies. »

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