Qu’a fait Keyrock de ses 72 millions de dollars ?
Création d’un desk options, accélérateur de start up,… Un an et demi après son importante levée de fonds, le patron de Keyrock, la société belge active comme teneur de marché dans le monde des cryptos, nous explique la croissance de sa société.
En octobre 2022, Keyrock bouclait une levée de fonds de 72 millions de dollars, la plus importante opération de ce type pour d’une société belge active dans les cryptos. Quinze mois plus tard, nous avons voulu savoir où en était cette société bruxelloise qui emploie une centaine de personnes, en compagnie de son CEO, Kevin de Patoul.
Votre métier de base, c’est d’être market maker. En quoi cela consiste-t-il ?
C’est un rôle identique à celui de market maker, teneur de marché, dans les marchés financiers traditionnels. C’est quelqu’un qui donne des prix à l’achat ou à la vente sur des titres (obligations, actions…) pour s’assurer que le marché soit le plus liquide, le plus efficient, le moins volatil possible. Le concept est le même pour ce qui concerne les crypto monnaies, même s’il existe certaines particularités liées aux actifs digitaux.
Quelles sont-elles ?
La première est qu’il existe beaucoup plus de bourses qui traitent des cryptos actifs que de marchés qui traitent des actifs traditionnels. Dans les marchés traditionnels, il arrive que les actions de certaines sociétés soient cotées sur plusieurs bourses, mais c’est plutôt l’exception. Dans les cryptos, c’est la règle : on peut traiter le bitcoin sur des centaines de marchés qui affichent des prix différents, reposent sur des technologies différentes et des juridictions différentes.
L’infrastructure de marché est également différente de celle des marchés traditionnels. En cryptos, les traders se connectent directement aux « exchanges » (les plateformes d’échanges, NDLR). Les réalités opérationnelles sont très différentes également : il y a des plateformes d’échanges centralisées (où un organisme gère la plateforme, NDLR), des plateformes décentralisées (où aucun intermédiaire ne gère les transactions). Et puis, cerise sur le gâteau, les cryptos sont des actifs beaucoup plus volatils que ce qu’on peut voir sur le marché traditionnel. Et c’est un vrai défi technologique, comparé à un market maker de telle ou telle action cotée sur Euronext. Il doit juste se connecter à Euronext où se trouve l’action et l’information dont il a besoin, et c’est terminé. Nous, en revanche, nous devons avoir accès à des sources de prix beaucoup plus diversifiées.
Comment fait-on alors pour « tenir un marché » avec tant d’actifs différents qui se traitent sur tant de marchés différents ?
Il faut le regarder actif par actif. Pour le Bitcoin, nous avons intégré plus de 90 marchés, centralisés ou décentralisés, qui nous permettent d’avoir une information sur le prix et de tenir un marché là où on décide de le faire. Mais avec ce type d’actifs, contrairement aux actifs traditionnels, les variables de risque sont différentes. Le bitcoin est beaucoup plus volatil ce qui influence les spreads (l’écart entre le prix offert à la vente et le prix offert à l’achat) que nous allons pouvoir tenir. Cela influence aussi la rapidité avec laquelle nous adaptons nos ordres et le capital nécessaire. Mais fondamentalement, la logique est la même que celle d’un teneur de marché dans les actifs traditionnels : nous devons avoir accès à un maximum d’informations, de prix, de volumes, pour pouvoir tenir le marché de la manière la plus compétitive possible.
Êtes-vous rémunérés par un client qui veut que vous organisiez le marché de sa cryptomonnaie ou par le marché lui-même, en prenant votre marge entre le prix de vente et le prix d’achat ?
Nous pouvons avoir les deux modèles. Certaines entreprises, qui créent leur crypto, vont donc nous demander d’être market maker sur une plateforme pour garantir une certaine liquidité, et le marché le plus stable et le plus efficient possible pour les investisseurs. Mais nous pouvons avoir aussi comme clients les plateformes d’échanges elles-mêmes qui vont nous donner des incitants pour être actifs, fournir de la liquidité et offrir un meilleur marché à leurs clients.
A quoi a servi cette levée de fonds de 72 millions de dollars ?
Elle nous a permis de continuer d’investir dans cette activité de fournisseur de liquidités qui est notre cœur de métier, et de continuer à mettre notre technologie la plus à jour possible. Cela nous a aussi permis d’ouvrir de nouvelles « business lines », principalement un desk « over-the-counter » (de gré à gré) qui fournit de la liquidité à de grandes institutions qui veulent rentrer ou sortir de positions importantes en actifs digitaux et qui, plutôt que le faire individuellement sur chacune des plateformes d’échanges, vont le faire par notre intermédiaire, sachant que nous avons de notre côté accès à l’ensemble des plateformes. Nous pouvons donc leur fournir le meilleur prix possible pour ces transactions. Cette activité de gré à gré est effectuée via notre entité suisse pour laquelle nous avons obtenu un agrément des autorités qui s’assurent que nous obéissons aux standards contre le blanchiment.
Dans une deuxième étape, nous allons développer notre activité de pourvoyeur de liquidités sur le marché des options. Après un an et demi d’investissement, nous venons d’annoncer, il y a moins d’un mois, le lancement un desk pour le marché des options. Cet argent frais va donc nous permettre de développer nos quatre activités principales, de teneur de marché et de gré à gré, dans le marché spot (le marché au comptant) et le marché des options.
Et vous avez une dernière activité, c’est celle de venture capitalist.
Oui, mais ce n’est pas notre cœur de métier. Nous n’avons pas de fonds d’investissement spécialement dédié par exemple. Nous effectuons en direct des investissements en seed capital, pour aider des sociétés dans les premiers stades de leur développement. Nous investissons dans des sociétés qui ont une vision alignée avec la nôtre. Nous pensons que les actifs digitaux seront à terme plus intéressants que les actifs traditionnels parce qu’ils ont une meilleure liquidité et sont plus faciles à échanger. Beaucoup de ces startups, si elles se développent, vont à un moment donné vouloir créer un token (un jeton numérique, NDLR) et vont vouloir que ce token puisse être échangé. Elles auront besoin d’un market maker. Nous investissons donc dans des projets complémentaires aux nôtres. Dans cette même logique, nous avons créé un accélérateur : l’an dernier, huit startups sont venues à Bruxelles pour partager notre expérience, pour supporter l’innovation pour un marché dans lequel nous croyons.
Votre objectif pour cette année ?
Il est vraiment de développer notre croissance dans notre cœur de métier, dans nos quatre business lines. Et puis après, si on veut regarder plus loin, il sera de continuer à développer des produits et des services qui nous permettront de servir nos clients institutionnels sur les actifs digitaux de manière de plus en plus complète, en sachant que notre cœur de métier restera toujours le pricing et l’exécution. C’est vraiment là que se situe notre force, et c’est là-dessus que nous nous concentrons.
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