Nicolas Priem et Michiel Lescrauwaet (Tioga Capital): “2025 sera le point de bascule pour la blockchain”
Les fondateurs du fonds de capital-risque Tioga Capital, Nicolas Priem et Michiel Lescrauwaet, finalisent la seconde clôture de leur deuxième fonds. Ils estiment que les jeunes adultes joueront un rôle clé dans l’adoption massive des cryptomonnaies et de la blockchain. “À mesure que de plus en plus de personnes utiliseront des applications crypto, elles remplaceront les applis bancaires actuelles.”
Tioga Capital, un fonds de capital-risque dirigé par des Belges à Lisbonne, Londres et Bruxelles, a levé en décembre 40 millions d’euros auprès d’investisseurs existants, notamment des institutions comme PMV, des family offices comme celui de la famille De Clerck et Marc Coucke, ainsi que des entrepreneurs technologiques à succès. Le fonds cherche à lever 35 millions d’euros supplémentaires pour sa deuxième clôture, auprès de nouveaux investisseurs.
Le premier fonds de Tioga, lancé en 2020, d’un montant de 65 millions d’euros, a été investi dans 28 entreprises spécialisées dans le Web 3.0 et, en particulier, dans la technologie blockchain. Selon Nicolas Priem et Michiel Lescrauwaet, Tioga figure parmi les 10% des fonds les plus performants au monde dans ce domaine, selon un classement international. Parmi les 28 entreprises financées figurent des start-up belges comme Venly et PV01.
Le Web 3.0 est un ensemble de technologies qui transforment l’internet, comprenant des domaines comme la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle (IA) et la blockchain. Cette technologie permet d’enregistrer et d’échanger des actifs et des données de manière sécurisée et transparente. La blockchain est utilisée notamment pour les cryptomonnaies comme le bitcoin, qui a récemment atteint des sommets. Cependant, les cryptomonnaies ne sont qu’une des nombreuses applications de la blockchain.
“De plus en plus de jeunes adultes investissent parce qu’ils constatent que leur salaire seul ne suffit pas, déclare Michiel Lescrauwaet. Aujourd’hui, acheter une maison est deux fois plus difficile qu’il y a 50 ans. Beaucoup cherchent donc des revenus supplémentaires et une diversification de leurs actifs. 48% des milléniaux (nés entre 1981 et 1996) possèdent des cryptos, contre seulement 8% des babyboomers (nés entre 1946 et 1964).”
TRENDS-TENDANCES. Comment déterminez-vous dans quelles entreprises investir ?
NICOLAS PRIEM. Le fondateur est la variable la plus importante pour le succès d’une entreprise. Nous réfléchissons beaucoup à la question : qu’est-ce qui rend un fondateur performant ? Y a-t-il des traits de caractère qui reviennent fréquemment ? Quelle est l’influence de son expérience de vie ? Nous nous distinguons des autres fonds en passant beaucoup de temps avec les fondateurs dans lesquels nous envisageons d’investir. Nous voulons comprendre leur histoire personnelle, car ce sont souvent leurs caractéristiques individuelles qui déterminent leur succès. L’un des traits que nous recherchons est une obsession pour ce qu’ils font. On peut mesurer cela en vérifiant s’ils ont atteint un haut niveau dans un domaine comme la musique ou le sport, ou encore en obtenant un doctorat. Souvent, les fondateurs qui réussissent ont traversé des épreuves ou des traumatismes, qu’ils ont dû surmonter. La manière dont on gère les difficultés est cruciale.
MICHIEL LESCRAUWAET. Ces conversations sont souvent profondes et émotionnelles, elles peuvent aborder des sujets inattendus et incluent des questions atypiques. Nous demandons, par exemple, si un fondateur a déjà eu un conflit avec un cofondateur. Ces conflits sont l’une des principales causes d’échec des start-up. Nous posons également des questions sur la manière dont ils ont gagné leur premier argent en tant qu’enfant. Les entrepreneurs les plus performants étaient souvent déjà actifs à l’âge de 10 ou 12 ans.
Étiez-vous aussi entreprenants dans votre jeunesse ?
N.P. À 13 ans, j’assemblais des ordinateurs pour ma famille à partir de pièces détachées, ce qui coûtait moitié moins cher. Plus tard, à l’université, j’ai financé mes voyages avec une entreprise d’organisation de team buildings.
M.L. Quant à moi, à12 ans, j’ai lu une biographie de Warren Buffett et appris à cultiver des fraises pour les vendre à un prix élevé en début de saison. À 14 ans, j’ai ouvert un compte d’investissement. À 17 ans, j’ai découvert le bitcoin.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
M.L. Juste avant la création de Tioga. En 2018, j’avais lancé Adamant Capital, un fonds de bitcoin basé aux États-Unis. J’ai levé des fonds auprès d’investisseurs américains et belges, et c’est ainsi que j’ai rencontré Nicolas. Adamant s’est arrêté après un an et demi, mais certains des plus grands investisseurs nous ont suivis dans l’aventure Tioga en 2020.
N.P. J’ai travaillé comme consultant chez Bain & Company en Europe, puis aux États-Unis. C’est là que j’ai découvert le bitcoin en 2016, bien après Michiel. À cette époque, mon identité a été volée, ce qui m’a fait réaliser que je n’avais aucune souveraineté sur mon capital. Cela m’a poussé à m’intéresser à la technologie derrière cette cryptomonnaie.
Pourquoi 2025 sera-t-elle une année importante pour la blockchain ?
M.L. Il est désormais clair que l’infrastructure est enfin prête pour un usage de la blockchain à grande échelle. Aujourd’hui, des milliers de transactions par seconde sont possibles, alors qu’il fallait encore entre 20 et 30 secondes pour ce volume il y a quatre ans. Nous attendons les premières applications réussies en 2025. Cela peut être comparé au passage du téléphone portable au smartphone. À l’époque de Nokia, un SMS coûtait 20 centimes, ce qui limitait le nombre de messages envoyés chaque semaine.
Aujourd’hui, nous envoyons gratuitement des messages via des applications comme WhatsApp. Tout le monde fait partie de dizaines de groupes, où des centaines de messages sont échangés chaque jour. Avec la blockchain, nous sommes à un point de bascule similaire. Nous voyons de nouvelles applications qui pourraient être adoptées massivement. Un exemple est Phantom Wallet (une application pour échanger des cryptomonnaies et des NFT, ndlr). Phantom se classe désormais plus haut que des applications comme Instagram et WhatsApp dans l’App Store.
N.P. Un autre exemple est celui des Real World Assets (actifs physiques transformés en propriétés numériques, ndlr). Cela représente une amélioration du système financier actuel, où des fonctions bancaires traditionnelles sont intégrées à la blockchain. Les stablecoins en sont un exemple connu : il s’agit simplement d’une représentation numérique d’une monnaie comme l’euro ou le dollar, intégrée à la blockchain. Cela génère des gains d’efficacité. Je pense que 2025 sera le point de basculement où cela ne se limitera plus aux monnaies, mais s’étendra à d’autres classes d’actifs, comme les obligations d’État ou les titres. Nous constatons ces progrès grâce à une réglementation plus claire, comme le règlement MiCa (Markets in Crypto-Assets), qui offre une sécurité juridique et une meilleure protection des consommateurs et investisseurs dans l’UE. De plus, les institutions commencent à utiliser davantage cette technologie.
“Je ne serais pas surpris que la fintech Revolut devienne la plus grande banque du monde d’ici 10 ans. Et les applications cryptos deviendront encore plus puissantes.” – Michiel Lescrauwaet
Vous attendez également avec impatience l’émergence des agents d’IA, un nouveau type d’applications sur les modèles linguistiques d’IA comme ChatGPT. Qu’est-ce qui se profile à l’horizon ?
M.L. Imaginez arriver à Bruxelles et demander à ChatGPT de vous donner des options d’hôtels à réserver. Aujourd’hui, cet agent IA ne peut pas effectuer la réservation par lui-même, car il lui faudrait un compte bancaire. Mais quelle banque accepte un agent IA ? À la place, vous pouvez donner un portefeuille crypto à cet agent IA.
Nous voyons cela commencer à se produire. Il existe déjà des transactions entre agents IA. Par exemple, un agent incapable.de générer des images paiera un autre agent pour le faire. Cela crée une nouvelle économie entre ces agents IA, mais une infrastructure de paiement est nécessaire pour que cela fonctionne de manière rapide, efficace et sans frais.
La crise bancaire de 2008 a mis à rude épreuve notre système financier. Une infrastructure financière décentralisée pourrait-elle rendre le système existant obsolète ?
M.L. Cela deviendra une combinaison des deux systèmes. À mesure que de plus en plus de personnes utiliseront des applications cryptos, elles remplaceront les applications bancaires existantes. Aujourd’hui, il existe trois catégories :
– les “dinosaures”, c’est-à-dire les banques ;
– les fintechs, ces entreprises technologiques en forte croissance comme Revolut ;
– et enfin les applications cryptos comme Coinbase, permettant d’acheter et de vendre des cryptomonnaies.
Ce que je vois arriver en premier, c’est que les fintechs dépasseront les banques. Je ne serais pas surpris que Revolut devienne la plus grande banque du monde d’ici 10 ans. Et les applications cryptos deviendront encore plus puissantes que les fintechs comme Revolut. Cela créera un écosystème où chacun aura un contrôle total sur ses actifs.
Pourquoi est-ce important ? Aujourd’hui, lorsque je détiens de l’argent dans une banque, il est relativement bloqué. Les coûts pour changer de banque sont élevés. Cela reste aussi vrai pour Revolut : vous ne pouvez utiliser ses services que si votre argent est détenu chez eux. Avec les cryptomonnaies, vous possédez votre propre portefeuille et les coûts de transfert sont nuls. D’un simple clic, vous pouvez passer d’une banque ou application à une autre.
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