L’étau fiscal se resserre sur les détenteurs de cryptomonnaies

Comme les banques hier, les prestataires de services en crypto-actifs seront fortement poussés à coopérer. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Après l’Europe, l’OCDE a décidé d’instaurer un échange automatique d’informations sur les détenteurs de portefeuilles de cryptomonnaies.

Il se passe aujourd’hui avec les cryptomonnaies ce que l’on avait observé voici 20 ans avec le secret bancaire au Luxembourg et ailleurs. L’étau législatif se resserre lentement et l’anonymat dans lequel les détenteurs de ces avoirs semblaient être douillettement plongés s’envole très rapidement.

Certes, on avait pu observer déjà ces derniers temps que les crypto-actifs n’étaient pas vraiment anonymes. Le FBI a par exemple réussi l’an dernier à décrypter les clés privées des portefeuilles numériques des Bonnie and Clyde de l’ère digitale, Dutch Ilya Lichtenstein et son épouse Heather Morgan, qui avaient en portefeuille pour 3,6 milliards de dollars en bitcoins dérobés à la plateforme Bitfinex en 2016.

L’OCDE à la barre

Mais d’ici quelques trimestres, il ne faudra plus d’enquêtes pénibles pour connaître l’identité des détenteurs de portefeuilles de crypto-actifs. La Belgique et 47 autres pays se sont engagés ce 10 novembre à construire un cadre d’échange automatique d’informations qui devrait ressembler comme deux gouttes d’eau à celui mis en place en 2014 au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques et qui a signé la mort du secret bancaire. A l’époque, on a obligé les banques à échanger avec le fisc les informations de leurs clients. Demain, les prestataires de services en cryptos (les plateformes, les exchanges, etc.) devront faire de même.

Car il y avait une certaine urgence. Les cryptomonnaies telles que le bitcoin ou l’ethereum évoluent souvent dans les coulisses du monde financier. Ces actifs numériques sont transférés et détenus sans l’intervention des intermédiaires classiques que sont les banques. Et cela complexifie grandement le suivi et le contrôle de leur détention et de leur flux par le fisc.

Un “cadre mondial de transparence fiscale pour la déclaration et l’échange de renseignements relatifs aux crypto-actifs” sera mis en place d’ici à 2027, a donc annoncé l’OCDE. Le secrétaire général de ce club des pays riches, Mathias Cormann, s’en réjouit. Il “salue cette avancée majeure, qui vise à lutter contre la fraude fiscale et à adapter l’architecture de la transparence fiscale à l’évolution rapide de l’utilisation des crypto-actifs”.

Ce nouveau cadre prévoit que les entités qui détiennent, gèrent ou facilitent les transactions en crypto-actifs devront déclarer à leur autorité fiscale les informations pertinentes sur les titulaires de comptes et les bénéficiaires effectifs de ces actifs. Il stipule encore que ces informations devront être échangées automatiquement avec les autorités fiscales des pays où ces personnes sont résidentes fiscales.

Rien à déclarer?

Aujourd’hui déjà, les détenteurs de crypto-actifs résidents belges évoluent de plus en plus dans le radar fiscal. Il n’y a certes pas encore de cadre structuré sur la matière mais au fil des questions parlementaires et surtout des rulings (décisions anticipées), des règles plus contraignantes se précisent.

Et puis une chose est désormais certaine: le contribuable a l’obligation de se faire connaître de l’administration. Car s’il a pu y avoir un doute lorsque le marché faisait ses premiers pas, celui-ci n’existe plus aujourd’hui: un compte en crypto doit être considéré comme un compte à l’étranger. Et les plus-values dégagées, si elles n’entrent pas dans le cadre limité de la gestion de bon père de famille, sont taxables.

BAPTISTIN ALAIME
© pg

“Quand le contribuable nous réplique que le fisc ne sera jamais au courant, nous lui répondons que c’est faux. ” BAPTISTIN ALAIME

“Les comptes ouverts sur les plateformes d’échange de cryptos doivent être déclarés au PCC (le point de contact central des comptes et contrats financiers) et dans la déclaration IPP chaque année”, rappelle Baptistin Alaime, managing associate chez Tuerlinckx Tax Lawyers et avocat spécialisé dans la matière. “En pratique, beaucoup de contribuables, soit déclarent en temps voulu, soit s’en inquiètent et finissent par déclarer, explique-t-il. Et je reçois davantage de demandes que par le passé de personnes conscientes que l’anonymat prend fin et qui veulent régulariser.”

Bien sûr, subsiste un groupe de personnes qui estiment qu’il vaut mieux ne rien faire… “Mais nous leur conseillons toujours de régler le problème avant qu’il y ait un contrôle, assure Baptistin Alaime. Et quand le contribuable nous réplique que le fisc ne sera jamais au courant, nous lui répondons que c’est faux. Et ce pour plusieurs raisons.” De fait, les autorités peuvent d’abord vérifier si votre train de vie correspond à vos revenus déclarés et chercher d’où provient un éventuel écart.

Des euros investis dans des cryptomonnaies

“Les cryptomonnaies passent toujours par l’euro, illustre l’avocat. Mais à un moment donné, vous allez vouloir récupérer vos euros pour vous acheter une voiture, une maison, que sais-je? Le contrôle peut donc s’effectuer à l’entrée ou à la sortie. Et les premières qui poseront des questions seront les banques.” Depuis la législation anti-blanchiment, ces dernières sont en effet tenues de vérifier tous ces flux financiers.

Baptistin Alaime en est en outre convaincu: “l’opacité ne va pas durer”. Un arsenal se met en place: il y a les législations anti-blanchiment, mais aussi le FATCA (ces accords entres les Etats-Unis et de nombreux pays concernant les informations des Américains à l’étranger) et, surtout, un ensemble de directives européennes, et plus spécialement les diverses directives d’assistance mutuelle (DAC) traitant de l’échange d’informations. La huitième (DAC8) vise spécialement le domaine des cryptos. Le texte est tout frais. Le Parlement et le Conseil européens l’ont approuvé le 17 octobre et il entrera en vigueur en janvier 2026. Il obligera les prestataires de services sur crypto-actifs établis dans l’Union européenne ou ayant des clients européens d’échanger automatiquement les informations concernant leurs clients avec les administrations fiscales.

La peur de l’excommunication

En outre, si l’accord OCDE susmentionné se concrétise comme prévu, l’échange qu’il garantit dépassera dès 2027 le seul cadre de l’Union européenne, touchant au moins une cinquantaine de juridictions. Si pas davantage, l’actuel accord OCDE sur la fin du secret bancaire étant désormais mis en place dans une centaine de pays.

Tout comme les banques hier, les prestataires de services en crypto-actifs seront donc fortement poussés à coopérer. “S’ils refusaient de se plier à leurs obligations réglementaires et fiscales, des amendes leur seraient infligées et ils pourraient se voir retirer leurs licences”, souligne Baptistin Alaime. L’avocat rappelle que deux ou trois ans avant la mise en place de l’échange automatique d’informations bancaires en 2016, beaucoup étaient dubitatifs, estimant que les banques n’allaient pas collaborer, ni certains pays. Mais la crainte d’être excommunié d’un monde financier devenu un village fut la plus forte. Finalement, l’accord est devenu une machine antifraude efficace.

“Aujourd’hui, l’échange international d’informations financières est une réalité. Quasiment tout le monde joue le jeu”, constate Baptistin Alaime.

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