Le big bang crypto de Trump : trois lois pour désarmer la Fed et relancer le Far West monétaire

Cryto et Trump © Getty
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Clarity Act, Genius Act, Anti-CBDC Surveillance State Act. Retenez bien ces trois lois, examinées actuellement par le Congrès américain. Elles redessinent le paysage monétaire, dans lequel il sera bien plus risqué de s’aventurer.

Pourquoi le bitcoin vaut désormais plus de 120.000 dollars ? Parce que le Congrès américain est en train de faire passer un triptyque législatif, sous l’impulsion de Donald Trump, qui va redessiner le paysage monétaire au profit des cryptoactifs.

Un triptyque

Première loi crypto, le Genius Act , a été adopté par le Congrès (Chambre et Sénat) et n’attend plus que la signature de Donald Trump pour entrer en vigueur. La loi permet à des entités variées, incluant des banques commerciales  (comme Bank of America) mais aussi des entreprises non bancaires (comme Walmart ou Amazon), d’émettre leurs propres stablecoins, des cryptoactifs adossés au dollar (en fait, à des titres du Trésor américain).

 Les émetteurs de stablecoins de moins de 10 milliards de dollars seront régulés par les autorités des Etats, alors que ceux dépassant ce seuil relèveraient des régulateurs fédéraux, comme la Réserve fédérale ou le Département du Trésor. En réalité, le texte légitimise les stablecoins, en les intégrant dans le système financier traditionnel tout en leur permettant de contourner les réseaux bancaires traditionnels.

De la clarté dans le système de régulation

De son côté, le deuxième texte, baptisé Clarity Act, souhaite mettre de la clarté dans le système de régulation, en affaiblissant le rôle de la SEC (le gendarme des marchés) et en limitant la protection des consommateurs. Le texte a été adopté ces dernières heures par la Chambre des représentants et doit encore être examiné par le Sénat. Selon cette nouvelle loi, les actifs décentralisés (comme les cryptomonnaies comme l’Ethereum) seront considérés comme des marchandises digitales, et non comme des monnaies. Elles passeront sous la juridiction de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), l’organisme qui régule les produits dérivés. Le texte exclut explicitement les stablecoins des lois fédérales sur les valeurs mobilières. La SEC ne conservera qu’une autorité limitée pour appliquer certaines règles anti-fraude.  La procureure générale de New York, Letitia James, estime que le Clarity Act ne protègera pas suffisamment contre les fraudes, le blanchiment d’argent et les activités illicites, en raison de son approche jugée trop permissive.

Interdire une monnaie numérique émise par la Réserve fédérale

La troisième loi est l’Anti-CBDC Surveillance State Act. Ce texte vise à interdire à la Réserve fédérale d’émettre une monnaie numérique aux États-Unis. Il va à l’opposé des projets des autres grandes banques centrales (Banque d’Angleterre, BCE,…) qui veulent développer, elles, leurs propres monnaies numériques. La Banque de Chine, elle, a déjà mis la sienne en route. Mais l’administration Trump ne veut pas qu’une monnaie numérique gérée par une banque centrale puisse donner au gouvernement un contrôle accru sur les transactions financières des citoyens. Pour le président Donald Trump, une monnaie numérique émise par la Réserve fédérale pourrait permettre une surveillance en temps réel des activités financières des individus, menaçant ainsi les libertés individuelles et la vie privée.

Far West monétaire

Ces trois lois, dont deux sont encore en discussion au Congrès ces jours-ci, vont permettre le véritable lancement de l’industrie crypto. Elles vont par exemple permettre à une série de grands acteurs non bancaires (la chaîne de distribution Walmart, Amazon, Facebook…) de créer leurs propres monnaies, tout cela dans un environnement où les institutions qui gèrent traditionnellement le système monétaire (la Réserve fédérale, la SEC) auront beaucoup moins de pouvoirs.

Professeur à Yale, spécialiste de l’histoire monétaire,  Barry Eichengreen, avertit dans le New York Times: c’est un retour au chaos monétaire du « Wild Wild West », lorsque dans les années 1837-1862, période de la banque libre. Le dollar, créé officiellement en 1875, n’existait pas encore. Lors de cette période d’avant le dollar, chaque banque pouvait émettre sa propre monnaie, les billets avaient des valeurs variables. Plus on s’éloignait géographiquement de la banque émettrice, moins le billet de  cette banque avait de valeur, et plus il était difficile à échanger.

« La valeur croissante des cryptomonnaies fait renaître l’une des caractéristiques les plus notoires du Far West, souligne Barry Eichengreen. Tout comme les conducteurs de diligences étaient pris en embuscade par des bandits armés à la recherche d’or, les détenteurs de cryptomonnaies et leurs familles deviennent de plus en plus victimes d’enlèvements violents. Si Donald Trump et ses alliés parviennent à leurs fins au Congrès, l’Amérique pourrait bientôt voir resurgir d’autres caractéristiques de ce siècle turbulent, où les faillites bancaires, les banqueroutes personnelles et l’instabilité financière étaient monnaie courante », avertit-il.

Chaos et instabilité

La prolifération de monnaies privées a en effet engendré chaos et instabilité financière, rappelle Barry Eichengreen. La stabilité des stablecoins repose en effet sur une transparence totale des bilans des émetteurs et une supervision rigoureuse des régulateurs et auditeurs, des conditions difficiles à garantir, surtout à un moment où l’administration américaine veut limiter le pouvoir des régulateurs.  Par ailleurs, souligne l’économiste, si les actifs auxquels les stablecoins sont adossés (comme les titres du Trésor) perdent de la valeur, les stablecoins pourraient s’effondrer, provoquant des paniques similaires aux ruées bancaires du XIXe siècle.

 Et puis, avec des centaines, voire des milliers, de stablecoins émis par des entités diverses, le système pourrait devenir chaotique, chaque stablecoin ayant une valeur potentiellement différente. Cela minerait l’unicité de la monnaie, essentielle à une économie intégrée.

Sans compter, cerise sur le gâteau, l’énorme conflit d’intérêt qui se fait déjà jour : le Genius Act va en premier lieu bénéficier aux entreprises crypto liées à Donald Trump et sa famille, très impliquée dans cette industrie.

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