La BCE inquiète d’une crypto-apocalypse causée par Donald Trump

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le soutien américain aux cryptomonnaies ébranle l’Europe, mais la Commission européenne et la Banque centrale européenne divergent sur la réponse à apporter.

Selon Politico, un conflit ouvert oppose la Banque centrale européenne (BCE) à la Commission européenne sur la capacité des règles européennes, et plus spécialement du règlement MiCA sur les cryptoactifs,  à contrer les risques posés par le dynamisme du secteur crypto américain sous l’impulsion de Donald Trump. La BCE redoute une « contagion » financière dévastatrice pour l’économie européenne. La Commission, elle, juge ces craintes exagérées. Et elle digère mal ce qu’elle perçoit comme une ingérence de la BCE dans ses affaires.

MiCA, pomme de discorde

Au cœur de la discorde se trouve le règlement des Marchés des Actifs Crypto (MiCA), adoptée en 2023 et premier cadre législatif mondial à encadrer les cryptomonnaies. Entré pleinement en vigueur il y a quatre mois, il est aujourd’hui au centre d’une dispute entre institutions européennes. La BCE, dirigée par Christine Lagarde, appelle à une révision urgente de MiCA, arguant que l’essor des stablecoins – cryptomonnaies indexées sur des devises comme le dollar – soutenu par Trump, menace la stabilité financière de l’UE. La Commission, elle, rejette cette analyse, accusant la BCE de mal interpréter la loi et d’outrepasser son rôle en s’immisçant dans le processus législatif.

Une menace venue d’outre-Atlantique

L’inquiétude de la BCE repose sur le soutien massif de l’administration Trump au secteur crypto. Non seulement le président américain a lancé ses propres cryptos, mais il a signé en mars un décret établissant une Réserve Stratégique de Bitcoin (Strategic Bitcoin Reserve). Toutefois, cette réserve, qui pèse une vingtaine de milliards de dollars, est alimentée aujourd’hui uniquement par les bitcoins saisis par la justice américaine.

Mais le grand danger, pour la BCE, réside dans les stablecoins, ces cryptoactifs adossés à des devises légales, et plus spécialement au dollar. Deux projets de lois américains, baptisés STABLE et GENIUS, en cours d’examen par le Congrès, visent à concurrencer la réglementation européenne, en procurant aux acteurs américains un cadre réglementaire plus favorable.  Selon une étude de Standard and Chartered, citée par Politico, le marché des stablecoins pourrait passer de 240 milliards de dollars aujourd’hui à 2.000 milliards d’ici 2028.

Crypto-apocalypse

La BCE craint qu’un afflux massif de ces actifs en Europe ne détourne l’épargne européenne vers les États-Unis, fragilisant les efforts de l’UE pour renforcer son autonomie financière. Pire, en cas d’insolvabilité des émetteurs de stablecoins, une « ruée » sur leurs réserves pourrait provoquer un effet domino en Europe: les détenteurs de cryptoactifs, y compris en dehors de l’UE, pourraient exiger le rachat de leurs jetons, mettant sous pression les réserves des émetteurs européens. Cela pourrait déclencher une crise de liquidité, avec des effets en cascade sur les banques européennes exposées à ces actifs.  Car les  stablecoins, qui représentent plus de 90% des crypto actifs, sont adossés surtout sur des bons du Trésor américain. Une crise précipiterait donc la vente de ces obligations, déstabilisant le système financier.

Une autre crainte, plus théorique, concerne la perte de souveraineté monétaire de l’Europe. Les stablecoins en dollars sont déjà utilisés comme alternative stable dans des pays où les monnaies locales sont faibles. Ils pourraient devenir une option attrayante en Europe, surtout dans des contextes d’instabilité économique. Si les citoyens ou entreprises européennes commencent à privilégier ces stablecoins pour les transactions ou l’épargne, cela pourrait affaiblir l’euro comme monnaie de référence, réduisant le contrôle de la BCE sur la politique monétaire.

Une campagne de promotion pour l’euro numérique ?

 La présidente de la BCE Christine Lagarde et Piero Cipollone, le directeur de la BCE responsable des paiements numériques, ont multiplié les mises en garde, estimant que MiCA n’est pas assez robuste face à cette menace.

Pour la Commission, suivie par la plupart des gouvernements européens, MiCA comporte des garde-fous suffisamment solides: le règlement impose des critères stricts pour les émetteurs, il  limite les volumes émis, et donne à la BCE la possibilité de bloquer les stablecoins menaçant la souveraineté monétaire ou la stabilité des paiements. Tether a par exemple dû retirer ses stablecoins des plateformes européennes en raison de ces règles et seuls quelques stablecoins mondiaux sont autorisés en Europe.

Du côté de la Commission, on suggère que la BCE exagère la menace pour promouvoir son projet d’euro numérique, destiné à protéger l’infrastructure financière européenne. Un projet  qui rencontre des réticences, tant de la part des banques (qui craignent une fuite partielle des dépôts pour aller vers cet euro numérique), que de certains gouvernements.

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