Cryptos: le revirement stratégique des banques belges

Après des années de frilosité, les banques belges semblent enfin lâcher du lest face aux cryptomonnaies. © Getty Images
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Après des années de prudence et de refus, plusieurs grandes banques belges amorcent une ouverture vers les cryptomonnaies. Un revirement motivé par une demande croissante, une concurrence accrue et la mort annoncée du secret bancaire “virtuel”.

Fini le temps où le bitcoin était tenu à l’écart. Ce qui relevait hier encore de la méfiance, de la mise en garde quasi systématique contre des actifs jugés trop volatils, trop spéculatifs, voire sulfureux, prend aujourd’hui une tournure bien différente. Après des années de frilosité, les banques en Belgique semblent enfin lâcher du lest face aux cryptomonnaies. Certaines envisagent d’intégrer ces actifs numériques dans leur offre comme produits d’investissement, portées par une demande croissante de leurs clients et par un cadre réglementaire plus clair au niveau européen.

– Suivez les cours du marché boursier et des cryptomonnaies sur notre plateforme Trends Bourse Live
– Abonnez-vous à notre newsletter Bourse

KBC brise un tabou

La première a avoir brisé le tabou, c’est KBC. C’était au début de l’été. La banque confirmait avoir des projets visant à proposer directement des placements en cryptomonnaies à ses clients. Le bancassureur belge prévoit de permettre l’achat de bitcoins et d’ethers (les deux principales cryptomonnaies) via sa plateforme d’investissement Bolero dès cet automne.

D’ici là, la banque espère être reconnue comme fournisseur de services liés aux crypto-actifs par les régulateurs, la Banque nationale de Belgique (BNB) et l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA). Avec comme objectif de se frotter à la planète crypto, “dans un cadre familier, avec un accent particulier sur l’éducation, la sécurité et le respect de la réglementation”. De quoi rester à la pointe.

Voici trois ans déjà, en juin 2022, KBC s’était en effet déjà positionnée comme la première banque européenne à déployer sa propre monnaie virtuelle, basée sur la technologie blockchain, la Kate Coin.

ING emboîte le pas

Autre enseigne, même démarche. ING Belgique, filiale du groupe bancaire néerlandais du même nom, s’apprête elle aussi à lancer une offre dans ce domaine. À la présentation des résultats semestriels fin juillet, Peter Adams, le CEO, laissait entendre qu’une offre était en préparation. “Nous explorons activement différentes options afin d’offrir une exposition sécurisée et responsable aux crypto-actifs, confirme le porte-parole de la banque, Sylvain Jonckheere. Notre objectif est de servir les clients retail et private banking qui souhaitent diversifier leur portefeuille avec des actifs numériques, tout en respectant nos standards en matière de gestion des risques et de transparence.”

“Offrir une exposition sécurisée et responsable aux crypto-actifs.” – Sylvain Jonckheere (ING Belgique)

La banque constate que le marché des cryptomonnaies attire de plus en plus d’épargnants et d’investisseurs. “En outre, les cadres réglementaires évoluent dans différentes juridictions, ce qui permet d’établir des règles plus claires et des garanties pour les émetteurs comme pour les investisseurs, poursuit Sylvain Jonckheere. L’un des développements les plus rassurants est l’émergence de produits financiers plus réglementés, tels que les ETF et ETP cryptos. Ces instruments cotés en Bourse offrent une exposition indirecte aux principales cryptomonnaies comme le bitcoin et l’ether. Ils sont réglementés et négociés sur des marchés traditionnels, ce qui ajoute une couche de sécurité et de supervision.”

Et donc, les clients de la maison de l’avenue Marnix devraient pouvoir bientôt investir dans ce type de produits liés aux cryptomonnaies : ING Belgique deviendra ainsi la deuxième grande banque du pays à proposer des services concrets liés aux actifs numériques, emboîtant le pas à KBC et sa plateforme d’investissement en ligne Bolero.

Belfius aux aguets

Et en face ? Les choses pourraient bouger également. Du côté de Belfius, on nous dit “suivre de très près les évolutions en matière de crypto-actifs” et “examiner les possibilités de répondre à ces développements” via la plateforme de trading en Bourse Re=Bel. Plateforme qui, soit dit en passant, séduit désormais 147.700 clients et a enregistré une envolée de 61% du nombre de transactions, signe que l’investissement en Bourse ne cesse de se démocratiser.

À vrai dire, seule BNP Paribas Fortis préfère rester en retrait. Du moins pour le moment. Mettant en avant les risques et les avertissements récurrents des régulateurs tels que la FSMA, la première banque du pays ne prévoit pas de franchir le pas à bref délai. “BNP Paribas Fortis n’a, pour l’instant, aucun projet visant à proposer des services liés aux crypto-actifs à ses clients, explique le porte-parole Valéry Halloy. Malgré le début de régulation, principalement aux États-Unis, notre expertise se porte sur le conseil. Nous attendons une protection renforcée, notamment en matière de données et de risque de blanchiment d’argent.”

Du côté des banques privées?

Cette approche prudente se retrouve aussi du côté des banques privées. “Nous n’incluons pas les cryptomonnaies dans l’allocation des actifs qui composent les portefeuilles des clients”, indique Nicolas Heusicom, client investment specialist chez Puilaetco, faisant remarquer que l’interdiction de commercialiser auprès de clients non professionnels des produits financiers, dont la valeur dépend directement ou indirectement d’une monnaie virtuelle, est toujours en vigueur.

“Dans ce contexte, ajoute-t-il, nous continuons de privilégier des classes d’actifs plus conventionnelles au sein de nos portefeuilles diversifiés et préférons mettre en avant d’autres axes afin d’améliorer le rapport entre le risque et le rendement de notre stratégie d’investissement. Nous avons, par exemple, récemment élargi notre offre avec la possibilité d’inclure une allocation aux marchés privés dans les portefeuilles des clients en gestion discrétionnaire sur mesure.”

Ne pas perdre la clientèle connectée

Quoi qu’il en soit, la tendance est là. Bien là. L’industrie bancaire s’ouvre aux cryptos. Motif ? Une concurrence qui ne cesse de s’intensifier. La compétition est en effet féroce entre courtiers en ligne, qui se battent sur les prix tout en élargissant constamment leur gamme de produits. Des acteurs tels que Trade Republic proposent déjà d’investir dans les cryptomonnaies aux côtés d’actions ou d’ETF.

Des néobanques comme Revolut ne sont pas non plus en reste. Sans oublier des plateformes spécialisées, comme Coinbase ou Binance, qui séduisent une partie toujours plus importante des investisseurs belges, en particulier les plus jeunes, comme en témoigne une récente enquête menée par la FSMA auprès de 1.500 investisseurs actifs, âgés de 16 à 80 ans. Celle-ci indique que 43% des investisseurs âgés de moins de 29 ans investissent dans les cryptomonnaies. Ce chiffre atteint même 45% chez les trentenaires, tandis que les cryptomonnaies sont beaucoup moins populaires chez les personnes âgées : moins de 7% des plus de 60 ans y investissent.

Adaptation et calcul stratégique

Pour une banque traditionnelle comme KBC (CBC en Wallonie), proposer des cryptos est donc devenu quasiment vital. Vital pour conserver sa clientèle la plus connectée et ne pas laisser le terrain aux acteurs étrangers. La démarche traduit à la fois une adaptation à la réalité du marché et un calcul stratégique. “Ignorer plus longtemps les cryptomonnaies reviendrait à se couper d’une génération d’épargnants et d’entrepreneurs pour qui ces actifs font déjà partie du quotidien financier”, explique Anthony Wolf, directeur des services financiers au sein du cabinet de conseil Sia, qui publie chaque année un classement des meilleures applications d’investissement en ligne disponibles en Belgique.

“Ignorer plus longtemps les cryptos reviendrait à se couper d’une génération pour qui ces actifs font partie du quotidien financier.” – Anthony Wolf (Sia)

Selon Anthony Wolf, les clients s’attendent à ce qu’une plateforme de trading online comme Bolero – la plus mature du marché belge – propose l’achat de cryptos. “Beaucoup sont surpris qu’il n’en soit pas ainsi et préféreraient pouvoir effectuer ces transactions directement via leur banque, en qui ils ont confiance, plutôt que de se tourner vers des acteurs étrangers. Or, il est très difficile pour une banque de convaincre un client de revenir lorsqu’il s’est habitué à une autre plateforme”, explique l’expert de Sia.

Suivre le mouvement

Mais le revirement reflète aussi une évolution plus large du secteur financier, marquée notamment par la fin annoncée du secret bancaire “virtuel”. Longtemps perçues comme une menace, les cryptomonnaies apparaissent désormais aux banques belges comme une opportunité à encadrer et intégrer dans leur offre. La nouvelle réglementation européenne MiCA et la directive fiscale DAC 8, attendue en 2026, lèvent une partie de l’incertitude juridique en imposant plus de transparence aux prestataires cryptos. Dans la même logique, le gouvernement a prévu la transmission des comptes cryptos au PCC (registre de la Banque nationale) ainsi qu’une nouvelle régularisation fiscale (DLU 5), offrant aux investisseurs en crypto-actifs une voie de mise en conformité, si besoin est.

Pour Anthony Wolf, la véritable impulsion vient d’ailleurs de ce nouveau cadre réglementaire. “C’est, explique-t-il, un cadre unifié qui clarifie beaucoup de choses et supprime une grande part d’incertitude juridique. Il apporte sécurité et conformité, ce qui permet aux institutions financières d’envisager sereinement des offres liées aux cryptomonnaies.”

Secteur en pleine mutation

D’après lui, l’impact est déjà perceptible : de nombreuses banques en Europe envisagent ou proposent déjà des services de crypto trading, de custody, ou encore des produits liés aux stablecoins.

“Dans ce contexte, il est évident que les autres grands acteurs du marché belge ne peuvent plus se permettre d’adopter une posture attentiste face à ce secteur en pleine mutation, poursuit l’expert de Sia. Ils devront rapidement suivre le mouvement s’ils ne veulent pas laisser le champ libre à des plateformes étrangères ou à des néobanques déjà bien implantées. La régulation crée un environnement propice à l’innovation, mais aussi un impératif stratégique : rester à l’écart devient désormais un risque pour la fidélisation de la clientèle et la compétitivité sur le marché”, estime Anthony Wolf.

Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire