Cinq questions sur l’arrivée du bitcoin à Wall Street
Investir dans le bitcoin sans passer par des plateformes d’échange est désormais possible aux Etats-Unis : une première mondiale qui interpelle à plus d’un titre.
Jeudi 11 janvier 2024. La date restera probablement dans les annales de la finance. Ce jour-là, BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a vu son nouveau produit d’investissement, le iShares Bitcoin Trust, adossé physiquement au bitcoin, être introduit à la Bourse de New York.
1. Que signifie cette entrée en Bourse du bitcoin ?
Largement utilisés aux Etats-Unis, les ETF (pour Exchange Traded Funds) sont des instruments financiers négociés en Bourse qui répliquent les performances d’un actif sous-jacent (panier de devises, d’actions, etc.). Dans le cas présent, les ETF investis en bitcoin permettront aux investisseurs particuliers d’être exposés à la reine des cryptomonnaies sans devoir la posséder directement. “Certains fonds de pension américains vont permettre à leurs clients d’investir dans des ETF sur le bitcoin dans le cadre de leurs plans de retraite, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent”, résume Julien Vallet, CEO et cofondateur de la plateforme néerlandaise de cryptos Finst. Selon celle-ci, on devrait ainsi assister à une augmentation de la liquidité sur le bitcoin à moyen et long terme couplée à une potentielle nouvelle hausse du prix du bitcoin.”
Certains estiment en effet que les flux pourraient atteindre 80 milliards dès 2025. “Les ETF sont des véhicules dont les frais sont peu élevés et donc, leurs émetteurs, les gestionnaires d’actifs tels que BlackRock, doivent commercialiser de grands volumes d’ETF pour rentrer dans leurs frais, ce qui veut dire une demande indirecte élevée pour les bitcoins dont on dit que le cours va s’envoler”, explique Charles Cuvelliez, spécialiste en gestion des risques chez Belfius et professeur à l’ULB, faisant allusion aux prédictions des experts de Standard Chartered selon qui le cours du bitcoin pourrait dès lors atteindre 200.000 dollars fin 2025.
2. Le risque sera-t-il amoindri ?
Pas selon Matthias Baccino, responsable des marchés européens au sein de la plateforme d’investissement en ligne Trade Republic pour qui “les cryptos restent des actifs très volatiles et donc risqués”. Force est de constater que “les particuliers ne prennent pas toute la mesure des risques liés à une cryptomonnaie telle que le bitcoin puisque sa valeur n’est réglée que par l’offre et la demande, rappelle Charles Cuvelliez. Rien n’empêche donc la valeur du bitcoin de tomber à zéro. A l’inverse, une devise traditionnelle a toujours derrière elle un Etat et sa valeur intrinsèque. Une devise a donc une valeur propre autre que celle uniquement dictée par la loi de l’offre et la demande”. En outre, les risques liés à l’achat, la possession ou la vente d’une cryptomonnaie ne sont pas que financiers.
“Passer par des ETF plutôt que d’investir directement dans les bitcoins avec tous les risques associés (fraude, vol, hacking, etc.) revient à se reposer sur l’intermédiaire qui les propose et qui prend à sa charge tous ces risques non financiers, précise Charles Cuvelliez. Les plateformes d’achat, vente ou échange de cryptomonnaies ne brillent pas par la transparence : le récent scandale FTX aux Etats-Unis a montré combien ces plateformes peuvent mélanger leurs avoirs propres et les avoirs de leurs clients dans des opérations financières hasardeuses à l’insu de ces derniers. La régulation MiCA en Europe commence à y mettre de l’ordre avec une meilleure protection des consommateurs contre les systèmes frauduleux et certains risques financiers.”
3. N’est-ce pas contradictoire après les récents scandales FTX et autres Binance ?
Pour Charles Cuvelliez, on peut voir l’approbation de la SEC (le gendarme de la Bourse américaine) de deux manières différentes. “La SEC apparaît comme un peu schizophrène. D’une part, elle se montre très précautionneuse avec les plateformes de cryptomonnaies comme Binance qui écopent d’amendes carabinées ou de procès bruyants car, pour la SEC, elles proposent des actifs comme des actions (avec la protection du consommateur qui va de pair) alors que ces dernières se prennent pour des plateformes qui ne proposent que des devises mais d’autre part, elle accepte des produits dérivés, des ETF sur le bitcoin pour commencer.”
Cela étant, n’est-elle pas ainsi très cohérente avec sa mission ?, se demande l’expert de Belfius. “En approuvant des ETF en bitcoin proposés par des acteurs de marché déjà présents dans les classes d’actifs reconnues, elle est en phase avec sa position qu’un bitcoin n’est pas une devise mais un actif.” D’autres cryptos pourraient-elles être du coup admises par la SEC ? “Dès l’annonce de l’approbation des ETF en bitcoin, le prix de l’ether a connu une forte hausse, plus forte que celle du bitcoin lui-même”, note Julien Vallet selon qui l’ether apparaît comme le prochain candidat aux ETF.
4. Que cherchent les géants de la finance traditionnelle ?
“Au-delà du fait que les gérants d’actifs comme BlackRock souhaitent également ‘prendre une part du gâteau’ que représente le marché des cryptomonnaies, leur objectif à plus long terme est de préparer une phase de tokenisation des marchés financiers (digitalisation complète des transactions financières, Ndlr), explique Julien Vallet. Un futur dans lequel des actions ou les ETF classiques seraient disponibles sous forme tokenisée représenterait une opportunité de taille pour des gérants d’actifs comme BlackRock.
L’approbation des ETF en bitcoin n’est certainement que la première étape de ce processus, qui permettrait à terme d’accélérer le fonctionnement du système financier, de réduire sa complexité, d’augmenter sa transparence, tout en diminuant ses coûts de fonctionnement.” Et ce, grâce donc à la blockchain (chaîne de blocs), la technologie sous-jacente qui alimente les cryptomonnaies.
5. Qu’en est-il chez nous ?
Les 11 nouveaux ETF en bitcoin (dont BlackRock, Invesco, Fidelity, etc.) qui ont été admis par la SEC sont uniquement accessibles aux professionnels et pas aux investisseurs particuliers en Belgique ni en Europe plus généralement, car ils ne sont pas conformes à la réglementation européenne (UCITS) en vigueur, qui est “plus stricte”, souligne Matthias Baccino chez Trade Republic. Est-ce à dire que les épargnants belges n’y auront jamais accès auprès de leur banque ? L’avenir le dira.
En tous cas, “se positionner par rapport au bitcoin ou à ses ETF, c’est se poser la question de ce qu’il apporte à l’économie réelle et à la société. Aujourd’hui, c’est une valeur spéculative qui ne représente ni ne soutient aucunement l’économie réelle et la société belge. D’ailleurs, la FSMA interdit sa commercialisation active. Après il n’y a pas que le bitcoin ou les cryptomonnaies pures et dures. Il y a la technologie qui la sous-tend, porteuse d’innovations, il y a les stablecoins qui ont un actif sous-jacent (un panier de devises). Le bitcoin ne doit pas nous aveugler par rapport aux demandes des clients sur ce créneau”, ajoute Charles Cuvelliez.
21 millions – Nombre maximum de bitcoins qui seront créés à terme selon le protocole défini par son créateur connu sous le pseudo de Satoshi Nakamoto.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici