Paul Vacca
Crash-tests sur la Tesla Model S Plaid
En optant pour une démarche ouvertement offensive, la disruption aimante la contre-attaque.
“Le réel, c’est quand on se cogne”, disait le psychanalyste Jacques Lacan. Voilà ce que Tesla vient d’expérimenter par deux fois ces dernières semaines à propos la sécurité de ses véhicules: deux collisions avec le réel. L’une avec l’image d’une Tesla Model S Plaid carbonisée qui a circulé dans la presse et sur les réseaux sociaux, montrant ce que de nombreuses personnes (dont nous-même) ignoraient: qu’une voiture électrique – qui plus est une Tesla dernier cri à 130.000 dollars – pût flamber comme ses vulgaires ancêtres à combustion. L’autre, plus tragique, avec la révélation via un reportage dans le New York Times d’une famille portant plainte contre Tesla après la mort de leur fils adolescent provoquée par une de leurs voitures autonomes.
En optant pour une démarche ouvertement offensive, la disruption aimante la contre-attaque.
Reconnaissons que s’il ne s’était pas agi de Tesla, cela serait certainement passé inaperçu. On n’alerte pas la presse à chaque fois qu’une Renault, Honda, Ford ou même Ferrari flambe. Et nous sommes, hélas, plus interpelés par un accident mortel avec une voiture autonome que par les milliers d’accidents mortels qui ont lieu sur les routes avec des voitures classiques. Il y a un effet de loupe évident. Et à ce titre, les constructeurs automobiles nouvelle génération le savent: ils ne peuvent pas se permettre d’être plus sûrs, ils sont condamnés à l’être à 100%.
On peut aussi y lire un effet collatéral de la disruption. En optant pour une démarche ouvertement offensive, la disruption aimante la contre-attaque. Cela ne date pas de la nouvelle économie. C’est ce qui arriva, par exemple, en 1997 à la Mercedes Classe A qui, dans une pub, tenta d’envoyer la concurrence entière à la casse: “Dis papa, c’était quoi la voiture avant?”. En réponse, la concurrence publia un test dit de l’élan (ou de la baïonnette) réalisé avec la Classe A. Pourtant bien lestée avec cinq personnes et 75 kg de bagages, celle-ci termina la course les quatre pneus en l’air. Un lancement en forme de crash: Mercedes dû rapatrier tous ses modèles et revoir sa copie.
Même chose en 1994 avec Persil Power, la lessive qu’Unilever lança en fanfare affirmant posséder enfin le composant – l’Accelerator – capable d’éliminer toutes les taches. Le graal lessiviel qui devait leur permettre de tout rafler. La concurrence reconnut aisément la supériorité du composant en question: il est d’ailleurs si puissant qu’il extermine non seulement les taches… mais aussi le linge. Et Procter & Gamble, le concurrent historique, de publier des photos montrant du linge troué comme du gruyère suite à des tests effectués à haute température. Unilever dut faire profil bas et retirer tous les barils des linéaires des supermarchés.
Même cause, mêmes effets pour Tesla. L’entreprise est connue pour son approche effrontément disruptive tant par ses choix technologiques (Tesla refuse par exemple le lidar, préférant les caméras pour ses systèmes de guidage) que par l’attitude arrogante et péremptoire d’Elon Musk qui affirme que les Tesla sont les véhicules les plus fiables du marché. Des offensives qui exposent fatalement à des retours de flamme. La disruption, si elle n’est pas définitive, se mue en boomerang.
Alors faut-il conseiller à Elon Musk d’agir comme la Classe A ou Persil Power, à savoir adopter un profil bas et se mettre dans le rang? Pas très réaliste. D’autant que c’est précisément cette façon de fonctionner en rupture avec toutes les conventions et même cette arrogance qui ont fait que Tesla et SpaceX existent. Cet appel absurde à la prudence nous rappelle cette épigramme signée Henry Monnier: “Ce qui a perdu Napoléon, c’est l’ambition. S’il était resté simple officier d’artillerie, il serait encore sur le trône”.
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