Paul Vacca

Comment se quereller comme un milliardaire

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Par essence, les milliardaires détestent partager. Toute clôture de voisinage constitue à ce titre une limitation qui leur est insupportable.

S’il y a quelque chose qui, en cette année 2020 bien morose, serait peut-être de nature à nous soulager un peu, nous, le commun des mortels, c’est que les milliardaires aussi rencontrent des problèmes de voisinage. Cela apparaît pourtant un rien contre-intuitif. Etre milliardaire – on ne parle pas ici du troupeau des 1% mais bien de la crème des 0,00004% de l’humanité – c’était, dans notre esprit, avoir la capacité de se mettre à l’abri des bisbilles de voisinage. Pour nous, être milliardaire, ce n’était pas seulement une question de zéros sur un compte en banque, c’était avant tout une façon différente d’être au monde, une façon de vivre à part.

Par essence, les milliardaires détestent partager. Toute clôture de voisinage constitue à ce titre une limitation qui leur est insupportable.

Déjà en évitant toute promiscuité humaine: voyager en jet privé, passer ses vacances sur son yacht, privatiser une plage ou une île, n’avoir rien au-dessus de soi ni dans son travail ni dans son penthouse, si ce n’est le ciel… Ou alors, autre option, à l’instar de Bill Gates ou Warren Buffett, en vivant au-dessus des contingences humaines comme de purs esprits touchés par la grâce en faisant don de sa personne, de sa fortune et de ses lectures spirituelles pour le bien de l’humanité.

Or, c’est avec un brin de déception que l’on a appris que les milliardaires aussi connaissaient les affres des querelles de voisinage. Comme nous tous. Elles sont simplement plus exotiques et homériques. Comme cette empoignade opposant l’ancien “roi des obligations” Bill Gross, 76 ans, avec sa mansion à Laguna Beach en Californie d’une valeur de 32 millions de dollars, à son voisin Mark Towfiq. Ce dernier s’étant plaint qu’une sculpture en verre d’un million de dollars lui obstruait son panorama, M. Gross se serait vengé en diffusant à plein volume de la musique par-dessus la clôture. “La paix, sinon ce sera un festival de concerts nocturnes non-stop, mon grand”, aurait menacé par texto M. Gross.

Il y a aussi le litige aux allures de série TV judiciaire (25 procès dans cinq juridictions) qui oppose depuis plus de 11 ans Louis Bacon, un milliardaire des fonds spéculatifs, à Peter Nygard, un entrepreneur canadien dont la propriété aux Bahamas jouxte la sienne. Ou alors ce récit où les trivialités du voisinage – travaux, fêtes et arbres gâchant la vue sur le lac de Zurich – se mêlent à de sombres histoires d’espionnage dans la dispute qui opposa le financier Iqbal Khan au banquier Tidjane Thiam, entraînant la démission de ce dernier à la tête de Credit Suisse.

Bref, comme le note John Gapper dans le Financial Times, ces querelles entre milliardaires sont finalement assez nombreuses. Et somme toute logiques. D’abord parce que les milliardaires s’épanouissent en s’opposant aux autres ; c’est le fondement même de leur psyché de faire prévaloir leur volonté de puissance sur les autres. Ensuite parce que, par essence aussi, ils détestent partager ; toute clôture de voisinage constitue à ce titre une limitation qui leur est insupportable. Et enfin, tout simplement, parce qu’ils peuvent se le permettre: intenter des procès est très coûteux et potentiellement ruineux pour les perdants alors que c’est une bagatelle pour les milliardaires, voire un hobby. En somme, conclut John Gapper, les qualités qui font les grandes fortunes sont aussi celles qui en font de déplorables voisins.

Ce ressemble donc à une fatalité. Qui sait, peut-être assisterons-nous bientôt aux premières querelles de voisinage de milliardaires sur Mars? Dès lors, la morale de l’histoire est-elle que l’argent ne fait pas le bonheur? Non. Peut-être plus simplement qu’il faudrait savoir se contenter de n’être que millionnaire…

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