Ekivrac, une nouvelle stratégie pour renouer avec la croissance
A la tête d’un réseau de sept magasins bios, Géraud Strens est convaincu que le marché du bio va renouer avec la croissance. Face à la crise, il a d’ailleurs développé des stratégies marketing qui lui permettent de tripler ses volumes et ainsi consolider son réseau de magasins. A l’occasion de la semaine du bio, Trends-Tendances est parti à la rencontre de cet acteur bio wallon.
C’est en 2016, alors qu’il était encore aux études que Géraud Strens, fondateur de la chaîne de magasins bios Ekivrac, a créé son entreprise et ouvert son premier magasin de produits bios en vrac à Braine-le-Comte, en partie financé grâce à un crowdfunding. “Dès les premiers jours, nous avons eu une centaine de clients”, se rappelle-t-il. Très vite, les choses s’accélèrent et en à peine cinq ans, neuf magasins voient le jour. A celui de Braine-le-Comte s’ajoutent ceux de Casteau, Nivelles, La Louvière, Soignies, Braine-l’Alleud, Genappe, Le Roux et Wavre.
Dans ces communes – à cheval entre le Hainaut et le Brabant wallon – il y a très peu de concurrence. “Elle est même quasiment inexistante”, assure Géraud Strens qui souhaite concentrer son réseau dans la région. “A Bruxelles par exemple, je ne pense pas qu’il y ait encore de la place pour de nouvelles enseignes bios alors qu’il y a encore du potentiel dans notre région”, observe le responsable.
Pour le moment, l’heure n’est pas à de nouvelles ouvertures même si elles ne sont pas exclues à plus long terme. Début d’année, deux des neuf magasins ont dû fermer leurs portes. Fait paradoxal si l’on compare avec le marché classique de la grande distribution, ce sont les deux magasins franchisés qui rencontraient des difficultés. L’un d’eux a d’ailleurs été réintégré dans le réseau afin de tenter de le relever, mais le mal était fait. “Cela remet en question l’idée d’en franchiser d’autres”, reconnaît Géraud Strens. “Sur papier, l’idée de franchise est géniale, car elle permettrait de se développer rapidement, mais il faut faire très attention, car il y a davantage d’obstacles avec un commerce comme le nôtre qu’avec de grandes chaînes nationales”, précise-t-il. L’un d’eux tient au fait qu’il y a un travail à faire au niveau de la notoriété de la marque et de la valeur ajoutée du bio.
Une offre wallonne
Dans les magasins, l’offre proposée se décline principalement en vrac dont la majorité est constituée de produits belges, issus du circuit court. “Chaque magasin collabore avec les producteurs locaux, cela peut aller des bières aux fruits et légumes, en passant par les biscuits, détaille Géraud Strens. L’offre est donc principalement wallonne avant d’être belge.” Pour les autres produits tels que les agrumes ou oléagineux, l’entrepreneur privilégie les pays limitrophes.
L’assortiment est composé de plus de 2.000 références alimentaires et une petite partie non food. “L’idée n’est pas de multiplier les gammes, mais de répondre à un besoin”, note l’entrepreneur qui prône une consommation raisonnable et souhaite éviter de tenter les clients par des besoins superflus. “Ça a été notre philosophie pendant très longtemps, mais nous avons fait l’erreur de ne pas réviser assez souvent notre offre”, reconnaît-il.
Aujourd’hui, celui-ci n’hésite pas à proposer deux produits similaires afin d’évaluer lequel se vend le mieux et ainsi remplacer les plus anciens qui ne font pas leurs preuves. “C’est important de renouveler son assortiment et de tenir compte de l’évolution des critères des consommateurs et des tendances”, poursuit-il. Un exemple? Le rayon boisson qui s’est largement étoffé ces dernières années avec l’arrivée de boissons fonctionnelles et sans alcool.
Depuis qu’il a lancé son entreprise, ce jeune trentenaire a vu le marché du bio évoluer. “Il faut continuer à travailler sur le prix, mais je suis convaincu que le bio peut devenir moins cher que le conventionnel.” L’un des principaux obstacles au développement des points de vente est le ralentissement du marché bio.
Des couleurs, mais pas de vraie reprise pour le bio
Après plusieurs années de croissance ininterrompue, la consommation des produits alimentaires bios a diminué pour la première fois en 2022. Plusieurs raisons expliquaient ce déclin: la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie et l’augmentation des prix des matières premières en sont quelques exemples. Aussi, les chiffres de 2023 étaient donc particulièrement attendus afin de savoir si cette baisse de la consommation relevait plutôt de la conjoncture en cours ou plutôt de facteurs endémiques au secteur bio wallon dans son ensemble.
La part du marché du bio est repartie à la hausse en 2023 atteignant 5,1% en Wallonie et 4% en Belgique, contre 5% et 3,7% en 2022. “La Wallonie n’a pas encore retrouvé les niveaux d’avant la crise sanitaire, mais c’est différent pour le territoire national”, note Julien Capozziello, responsable consommation de l’Apaq-W, l’agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité. La Belgique enregistre une augmentation de 0,3 point en 2023, ce qui permet d’atteindre le plus haut niveau depuis 2016. “Si la Wallonie reste au-dessus, l’écart continue de se réduire pour la troisième année consécutive.” Cela s’explique par une augmentation plus importante des dépenses en Flandre, au détriment de la Wallonie.
Les dépenses en produits bios ont également augmenté en 2023 (en hausse de 9,9% en Wallonie et 20,7% en Belgique). En chiffre absolu, les dépenses totales des ménages ont atteint respectivement 457 millions et 1,15 milliard d’euros, soit les dépenses les plus élevées depuis 2016. Cependant, si les dépenses ont augmenté, les volumes quant à eux ont poursuivi leur diminution, avec un volume en baisse de 5,2% par rapport à 2022. “Nous ne pouvons pas parler d’une reprise de la consommation bio en 2023, ajoute le responsable de l’Apaq-W. Différentes hypothèses telles que l’inflation et les achats transfrontaliers pourraient expliquer ce phénomène.” La diminution de la consommation en Wallonie est donc contrastée avec d’un côté des dépenses en augmentation et de l’autre des volumes en baisse.
“Avec la crise du pouvoir d’achat, il faut rééduquer le consommateur à l’importance du bio et du local, avance l’entrepreneur. Le bio reste connoté plus cher, mais l’écart diminue avec la grande distribution.” Les prix de nombreux produits alimentaires ont énormément augmenté dans les supermarchés ces deux dernières années : avec une hausse moyenne de 26% par rapport à 2022. “En comparaison, l’inflation dans le bio a atteint les 9,5% ce qui a fortement réduit l’écart de prix”, se réjouit-il. Pour Géraud Strens, il est nécessaire d’encore réduire cet écart afin d’atteindre une combinaison entre le prix juste et l’accessibilité. “Pour rattraper cette différence, il n’y a pas d’autres choix que de diminuer les coûts et cela passe par un rassemblement entre acteurs du bio.”
“Il faut continuer à travailler sur le prix, mais je suis convaincu que le bio peut devenir moins cher que le conventionnel.” – Géraud Strens, fondateur de la chaîne Ekivrac
Une nouvelle stratégie
Autre solution individuelle: les promotions. Depuis le début de l’année, l’entrepreneur a lancé une nouvelle formule dans ses points de vente: des promotions d’un nouveau genre “loin de celles agressives de la grande distribution”, nuance-t-il. Toutes les deux semaines, cinq produits (un par catégorie) sont mis en évidence et bénéficient d’une réduction. “Nous sommes un peu un ovni dans le marché du bio avec notre nouvelle stratégie”, sourit Géraud Strens.
Avec ces cinq produits, l’entrepreneur veut ainsi rappeler à sa clientèle qu’Ekivrac est présent aussi bien dans le frais, les fruits et légumes que dans les produits en vrac, d’épicerie ou traiteurs. “Selon les saisons, on met certains produits en évidence pour montrer que la saison est lancée”, ajoute le jeune entrepreneur qui prend l’exemple des fraises. La promotion prend alors la forme d’un pourcentage, d’une offre groupée ou d’une diminution directe du prix à la caisse. Chez Ekivrac, les promotions sont intéressantes, mais pas agressives et sont principalement utilisées comme outils de communication afin d’attirer les consommateurs et leur proposer des prix attractifs. “Ça crée un effet d’opportunité pour ceux qui veulent tester de nouveaux produits”, ajoute-t-il. L’objectif n’est donc pas de casser les prix. “Cela reviendrait à presser nos intermédiaires et les producteurs, ce qui n’est pas dans notre ADN”, poursuit-il.
L’idée était sur la table depuis un moment, mais elle s’est concrétisée début d’année afin de réagir à la perte de volume qu’enregistre tout le marché du bio. Objectif affiché des promotions? Tripler le volume. Et ça fonctionne. “Certains produits mieux que d’autres”, confesse Géraud Strens. Certaines promotions ont même permis d’exploser le volume moyen. Un exemple? Le miel belge de campagne qui a enregistré une hausse de 1.000% sur deux semaines. Autre promotion plus provisoire: celle qui s’applique au “produit découverte” et permet de bénéficier d’une réduction du 10% sur les produits qui entrent en magasin. “La mise en place des promotions est l’une des plus grosses stratégies marketing que l’on a mises en place ces dernières années”, poursuit le fondateur qui a également développé un programme de fidélité. Celui-ci permet d’accumuler des points afin de profiter d’une réduction de 5 euros tous les 500 points. Grâce à ce programme de fidélité, huit clients sur dix sont connus du système et peuvent dès lors être identifiés. “A terme, on pourrait même proposer des promotions personnalisées.”
Cette stratégie promotionnelle s’inscrit dans la volonté de consolider l’entreprise après deux années assez compliquées pour le marché du bio. Si le chiffre d’affaires a atteint un sommet en 2021, l’entreprise a souffert de la crise de 2022. “Nous nous sommes stabilisés l’année dernière, mais il faut maintenant consolider le groupe pour continuer à évoluer”, note l’entrepreneur. En 2023, Ekivrac a connu une reprise de la fréquentation et une hausse des ventes, avec une augmentation de 10% de sa base de clientèle depuis le début de l’année.
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