Ce qui se conçoit bien…
Entre frasques, tweets incendiaires et choix politiques contestables, il y a chez Donald Trump un ” détail ” qui n’a pas échappé à Bérengère Viennot. Elle est formelle : l’anglais du président américain est pourri. La tradition du doublage – plutôt que le sous-titrage – des interviews gomme sans doute, pour les plus anglophiles d’entre nous, la mauvaise qualité du langage de l’occupant de la Maison Blanche. Traductrice de presse pour plusieurs médias français, l’auteure de La Langue de Trump ne peut pourtant que dresser un bulletin n’ayant pas besoin de délibération.
Un exemple ? Tout juste intronisé, le magnat de l’immobilier accorde une interview au New York Times, reprise par Le Monde. Extrait choisi : ” Il y a eu beaucoup de souffrance, et je crois que les gens qui me soutenaient avec un tel enthousiasme, où ils étaient capables de se pointer à une heure du matin pour écouter un discours “. Erreur de traduction ? Pas du tout. La version originale est littéralement respectée. La rédaction du Monde de préciser : ” Les fautes de syntaxe ont été volontairement conservées “. Bérengère Viennot ne s’arrête pas à cet unique exemple dans son ouvrage et mentionne aussi les acrobaties langagières du 45e locataire du 1600 Pennsylvania Avenue.
Il faut écouter Donald Trump parce qu’il est contagieux.
Outre le champ syntaxique, la linguiste s’attarde aussi sur le lexique du président et doit bien conclure que celui-ci se limite à quelques termes récurrents. ” Great “, ” tough “, ” tremendous “, termes vagues qui au final laissent l’auditeur – et le traducteur – avec une certaine responsabilité d’interprétation. ” Le travail de traduction doit être fourni de manière explicite, explique Bérengère Viennot. Avec Trump, quand on traduit, on se retrouve face à des phrases qui n’ont pas de sens et sont émaillées de grossièretés. A priori, cela n’a pas d’importance. Mais la question s’est très vite posée avec les différentes rédactions avec lesquelles je travaille de savoir s’il fallait respecter les discours à la lettre. ” Sa fonction de traductrice exige de s’effacer derrière le locuteur d’origine, réside là tout le défi en s’efforçant de s’en tenir au sens exact voulu par la source. Dès lors, lorsque celle-ci se montre vague, imprécise et boiteuse, la tâche est d’autant plus ardue. Pire, le traducteur, amoureux de la langue, pourrait être tenté d’embellir ce qu’il considère comme un inélégant usage de vocabulaire ou de la grammaire.
Cependant, le champ politique est miné, davantage quand on se frotte au discours d’hommes et femmes politiques populistes et démagogues. Si Trump a séduit les classes populaires oubliées, les white trash, c’est aussi par sa langue décomplexée, loin de l’élitisme de la classe politique. C’est pourquoi Bérengère Viennot a décidé de traduire le président à la lettre, dans toutes ses faiblesses. ” En dépit de ces erreurs de langage, il y a un message qui est toujours en dessous. Trump cristallise son discours sur l’étranger, sur les ‘ennemis du peuple’ que représentent pour lui les journalistes “, dénonce la traductrice qui ne peut s’empêcher de s’étendre sur la politique américaine en elle-même. Celle-ci transforme ainsi rapidement son essai en diatribe anti-Trump. C’est là où pèche peut-être l’ouvrage… La passionnante analyse linguistique que la traductrice opère (dont une comparaison avec les travaux de Victor Klemperer sur la novlangue nazie) s’étiole vite pour laisser place à une critique, au final attendue. Cependant, la mauvaise grammaire de Trump et son manque de vocabulaire amènent de nouvelles munitions à celles et ceux qui le considèrent comme inapte à la fonction. Sa manière d’éluder les réponses aux questions politiques centrales se révèle, en effet, assez inquiétante.
Bérengère Viennot, ” La Langue de Trump “, éditions Les Arènes, 160 pages, 14,60 euros.
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