Bud Light : le boycott d’une bière coûte très cher à AB InBev
AB InBev est dans la tourmente depuis un appel au boycott de la Bud Light. En près de 8 semaines, la controverse lui a déjà coûté 22 milliards d’euros de capitalisation boursière et met en péril sa position de leader sur le marché américain de la bière. Ou comment une petite action marketing peut avoir un immense effet.
Aux États-Unis, presque tout est politique, y compris la bière. Tout commence début avril, avec une vidéo promotionnelle: une influenceuse, Dylan Mulvaney, apparaît face caméra dans la publication sur son compte Instagram, une Bud Light à la main.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Elle explique avoir reçu de la marque du géant Anheuser-Busch InBev une canette personnalisée avec son visage dessus pour célébrer le premier anniversaire de sa transition de genre. “Je célèbre mon 365ème jour en tant que fille, et Bud Light m’a envoyé ce qui pourrait bien être le plus beau cadeau du monde”, dit-elle en souriant. L’actrice, influenceuse et militante de 26 ans a une certaine notoriété sur les réseaux sociaux (10 millions d’abonnés sur TikTok) sans être une star incontournable, et la publication aurait pu passer inaperçue. Sauf que Dylan Mulvaney, qui parle très ouvertement de sa transition et défend les droits LGBT+, représente tout ce que les conservateurs détestent. Et surtout cette boisson peu onéreuse et vendue partout a une image typiquement américaine que les conservateurs affectionnent.
Vécu comme un sacrilège
Cette association avec l’influenceuse transgenre est donc vécue comme un véritable sacrilège pour les conservateurs qui ont lancé un appel au boycott. Les stars de la country mènent alors l’attaque. L’artiste Riley Green remplace par exemple le nom de Bud Light par un de ses concurrents dans une de ses chansons, lors d’un concert mi-avril. Le très célèbre Kid Rock poste une vidéo où il promet une réponse “claire et concise” à la polémique. Casquette au logo trumpiste sur la tête, il se tourne, tient un fusil semi-automatique… et crible de balles des packs de Bud Light. Subtil. Mais les stars de la country ne sont pas les seules. Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, coqueluche des républicains pressentie pour la présidentielle de 2024, jure lundi qu’il ne boira plus de Bud Light, refusant de soutenir les “entreprises woke”.
Et la polémique dépasse les sphères politiques puisque des bars suivent le boycott – principalement dans des Etats républicains. John Rich, chanteur country et propriétaire d’un bar dans la festive ville de Nashville, explique sur Fox News avoir “des caisses et des caisses” de Bud Light qui traînent, faute de commandes des clients. Et, en Floride, le restaurant Grills Seafood assume ne plus servir cette bière “à cause de leur soutien à une chose qui est totalement opposée à nos valeurs bibliques”, dans une publication Facebook.
Une petite initiative avec un immense retentissement
Le plus surprenant, c’est que, pour les analystes, il n’a probablement jamais été question de mettre Bud Light en avant auprès de la communauté LGBT. Ce type de canette a probablement été envoyé à des centaines d’autres influenceurs. Il s’agit simplement d’une toute petite initiative qui a eu un immense retentissement.
D’ailleurs, pour tenter de mettre fin à ce boycott, Anheuser-Busch InBev a directement lancé une contre-offensive en diffusant une publicité au très fort parfum patriotique, avec paysages typiquement américains et, bien sûr, l’inévitable drapeau des États-Unis. Le patron, Brendan Whitworth, se fendra d’un communiqué d’excuses qui n’a semblé satisfaire aucun des deux camps. “Nous n’avons jamais eu l’intention d’entrer dans un débat qui divise les gens”, explique-t-il sans citer directement la polémique. Lors d’une conférence téléphonique organisée à la suite des résultats trimestriels, Michel Doukeris, PDG du groupe, a également tenté de désamorcer la situation. Il s’agit d’une canette qui n’a jamais été destinée au grand public et qui ne faisait partie d’aucune campagne”. Le brasseur prévoit aussi de tripler les budgets de marketing pour Bud Light pour la ramener dans l’atmosphère positive « des festivals et des barbecues ».
Un boycott bien réel et qui fait mal
Le cas Bud Light surprend d’autant plus que selon Jura Liaukonyte, professeure d’économie à l’école Dyson de l’université Cornell, le tumulte sur les réseaux sociaux ne se traduit pas toujours par une baisse des ventes. “Il est facile de parler, mais il est plus difficile d’agir. Il est donc très compliqué pour un mouvement de boycott d’être efficace à long terme”, assure-t-elle, en se basant sur de précédents exemples de campagnes qu’elle a étudiées.
Dans ce cas-ci, les paroles semblent pourtant bel et bien être suivies d’effets. Cette mise à l’index dure depuis huit semaines environ. Avec pour résultat que les ventes de la Bud Light s’effondrent et le boycott s’étend même à d’autres marques d’AB InBev dont les volumes fléchissent. La conséquence est que l’action du brasseur belgo-brésilien AB InBev a ainsi dégringolé de 18 % au mois de mai, soit la plus forte baisse depuis mars 2020, au démarrage de la pandémie. AB InBev vaut aujourd’hui 22 milliards d’euros de moins qu’il y a deux mois.
Une perte sur le long terme ?
Les investisseurs craignent à présent que la controverse ne pèse également sur les chiffres du troisième trimestre du brasseur, le plus important pour AB InBev aux États-Unis. Jared Binges, de JP Morgan, stipule dans un rapport publié la semaine dernière que « Nous supposons qu’un groupe de consommateurs américains cessera de boire Bud Light à l’avenir. Une perte de volume annualisée de 12 à 13 % semble être une hypothèse raisonnable. Nous ne nous attendons pas à ce que cette perte soit inversée en 2024″. Le pays de l’oncle Sam représente un quart des recettes d’AB InBev et 30% de ses bénéfices.
Wim Hoste, qui suit les actions d’AB InBev chez KBC Securities, se montre plus optimiste dans De Standaard. « Les États-Unis représentent 15 % du volume mondial total. Si 15 % de ce volume est perdu, cela aura un impact de 2 % sur le volume total. Ce n’est pas rien, mais il faut replacer les choses dans leur contexte. Ce n’est pas comme si AB InBev s’effondrait. » Pour lui aujourd’hui la vraie question est de savoir à quelle vitesse la situation peut être redressée ou au moins stabilisée.
On notera que l’entreprise semble aussi perdre sur un autre tableau. L’Human Rights Campaign a en effet suspendu sa note sur l’indice d’égalité des entreprises. Et ce alors que l’entreprise avait jusque là le maximum de points sur cet indice, ce qui la plaçait parmi les meilleurs lieux de travail pour l’égalité lgbtq. En cause, une réponse à la polémique qui n’a pas été à la hauteur.
Le cas Bud Light est donc en passe de devenir un cas d’école pour une très mauvaise gestion de crise.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici