Vendre Belfius? Les planètes ne semblent pas encore alignées

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

D’un côté, le MR veut fusionner Belfius et Ethias puis réaliser une introduction en Bourse. De l’autre, les autres partis du gouvernement, et plus spécialement la N-VA, veulent vendre rapidement 20% ou 30% à des investisseurs privés. Un scénario soutenu aussi par le management de la banque.

Vieillissement, défense, réindustrialisation, décarbonation, digitalisation, hausse des taux d’intérêt… Les défis s’accumulent, et la Belgique manque d’argent pour y faire face. Voilà pourquoi revient depuis un certain temps l’idée de vendre Belfius, la banque détenue à 100% par l’État. En février, lors de la présentation des résultats de sa banque, le patron de Belfius, Marc Raisière, avait même déclaré privilégier un placement privé d’environ 20% du capital.

Le projet est donc dans l’air depuis des mois. Mais il ne semble pas y avoir de vision commune. Le patron du MR, Georges-Louis Bouchez, avait dit voici quelques semaines, au micro de Bel RTL, qu’il était favorable à une opération en deux temps. Primo, créer un grand bancassureur public en fusionnant Ethias et Belfius. Secundo, une mise en Bourse d’une partie de l’ensemble. Depuis, le président du MR n’en démord pas : “Vendre Belfius maintenant n’aurait aucun sens ni en termes de valeur boursière ni à l’égard de la taille actuelle de l’entreprise”, a-t-il répété voici quelques jours à La Libre.

“Vendre Belfius maintenant n’aurait aucun sens.” – Georges-Louis Bouchez

Un cauchemar organisationnel?

Ce projet de mariage entre Belfius et Ethias, on en parle depuis 40 ans. Les deux parties s’appelaient alors Crédit communal et Smap. Mais l’idée n’a jamais abouti. Car si créer un grand bancassureur, à partir de deux acteurs détenus par les pouvoirs publics, peut apparaître séduisant sur le papier, c’est autre chose sur le terrain. Il faudrait du temps pour intégrer Ethias et Belfius, pour un résultat risqué : les deux institutions ont des structures et des cultures très différentes.

Elles se sont déjà penchées sur leurs coûts, chacune de leur côté. Une fusion n’entraînerait pas d’énormes synergies. Au contraire, elle pourrait déboucher sur un cauchemar organisationnel. Par ailleurs, et ce n’est pas un détail, les actionnaires des deux entités ne sont pas les mêmes : Ethias est détenu à la fois par le fédéral, la Flandre et la Wallonie, alors que Belfius est à 100% dans les mains de l’État fédéral. Et les intérêts des uns ne sont pas nécessairement ceux des autres.

Dès lors, d’autres au gouvernement, et notamment le ministre des Finances Jan Jambon, sont d’avis qu’il serait plus simple de vendre une partie (20 ou 30%) du capital tant que le contexte financier est favorable. Selon nos confrères du Tijd, nous pourrions avoir une décision de principe avant les vacances politiques du 21 juillet. Si certaines sources nous confirment qu’il était en effet prévu d’annoncer quelque chose à la fin du mois d’août, voire en effet avant le 21 juillet, les planètes ne semblent toutefois pas encore alignées… même si le contexte est favorable.

Pourquoi maintenant?

Souvenons-nous, une première tentative de vente de Belfius – une mise en Bourse de 30 à 40% du capital en 2018 (sous le gouvernement du MR Charles Michel) – avait échoué, à la fois pour des raisons financières (les Bourses n’étaient pas au mieux) et politiques. Le CD&V demandait que l’État indemnise les coopérateurs d’Arco (actionnaires de Dexia). Un geste potentiel d’environ 1,5 milliard d’euros, qui avait provoqué des froncements de sourcils du côté de la Commission européenne. Le dossier n’est toujours pas clos, un procès initié par les coopérateurs d’Arco ne devrait commencer qu’en 2028, mais le dossier semble être devenu moins brûlant.

Plusieurs éléments incitent aujourd’hui à vendre une partie de Belfius. Le premier est qu’il est urgent pour l’État de trouver rapidement de l’argent. Voici quelques jours, le comité de monitoring, chargé de superviser les finances publiques, a confirmé l’état préoccupant des finances publiques : le déficit de l’État fédéral atteindrait 40 milliards d’euros en 2030, soit 5,4% du PIB. L’Arizona a promis des réformes structurelles pour renforcer la soutenabilité de la dette publique, notamment en créant davantage d’emplois, mais leurs effets dépendent de multiples facteurs et ils ne s’exprimeront qu’à moyen long terme. Entre-temps, pour s’en sortir, on songe donc à vendre les derniers bijoux de famille.

Deux autres considérations – l’une politique, l’autre financière – viennent pousser cette opération. La N-VA (et sur ce point le MR est d’accord) soutient que ce n’est pas le rôle de l’État d’être actionnaire d’une banque. Ni d’ailleurs d’un assureur ou d’un opérateur télécom. Ils rejettent l’argument selon lequel la participation dans Belfius rapporte davantage en dividendes à l’État que ce qu’une vente de la banque pourrait lui faire économiser en réduisant son endettement.

Financièrement, le bon moment

Et financièrement, cela semble être le bon moment. L’indice Euro Stoxx Banks, qui reprend les principales valeurs bancaires européennes, a progressé de 50% environ depuis le début de l’année. La raison, comme l’expliquait à la fin du mois de mai Tom Dechaene, directeur de la Banque nationale en charge de la supervision bancaire et de la stabilité financière, est à chercher dans l’évolution des taux d’intérêt : les taux ont quitté le territoire négatif, et les taux à long terme sont redevenus plus élevés que les taux à court terme.

Cela avantage les banques puisque leur métier consiste à récolter des dépôts, rémunérés à court terme, et de prêter à plus long terme. “Pour la première fois depuis longtemps, il est devenu relativement facile pour les banques de faire des bénéfices”, souligne Tom Dechaene.

Une dizaine de milliards

Ce contexte favorable a dopé ces derniers mois la valeur des banques, et les marchés commencent à se dire que finalement, le métier est redevenu très rentable. Un signe : à leurs niveaux actuels, en moyenne, les banques européennes affichent à nouveau des valeurs qui dépassent leur “valeur comptable” (qui est la valeur que les actionnaires recevraient si la banque arrêtait ses activités et remboursait ses dettes). Une valeur souvent proche des fonds propres de la banque.

On peut estimer que la valeur de Belfius aujourd’hui atteint la dizaine de milliards d’euros. En vendant 20% de Belfius, l’État toucherait 2 milliards.

Tout ce contexte a donc réveillé dans le monde bancaire européen où l’on voit réapparaître des opérations diverses : des fusions, des acquisitions, des cessions d’actions…

Si l’État devait céder 20 ou 30% de Belfius, combien obtiendrait-il ? Puisque les banques se traitent désormais en moyenne à leur valeur comptable. Il suffit de voir quelle est la valeur comptable ou la valeur des fonds propres de Belfius. Ils atteignent aujourd’hui 12,2 milliards d’euros. Une autre manière de valoriser une banque est de prendre les derniers bénéfices nets de Belfius, 1,13 milliard en 2024, et de les multiplier par 10, qui est grosso modo le ratio auquel les banques se négocient en moyenne aujourd’hui. On obtient 11,3 milliards. Mais on sait aussi que les acquéreurs dans ce type d’opération vont essayer de faire baisser le prix. Toutefois, on peut estimer que la valeur de Belfius aujourd’hui atteint la dizaine de milliards. En vendant 20% de Belfius, l’État toucherait 2 milliards.

Pas d’IPO

Mais quels seraient les investisseurs intéressés ? Les particuliers ? Oui, sans doute, de nombreux épargnants belges souscriraient volontiers à des actions Belfius, à condition que l’on s’oriente vers une introduction en Bourse (IPO). Mais ce ne semble pas être le cas, pour plusieurs raisons.

D’une part, est-ce que les épargnants belges ont la capacité et le désir de mettre 2 milliards sur la table pour acheter 20% de la banque ? Ensuite, une telle opération coûte cher. Il faut payer le réseau de banques qui va distribuer les actions. Il faut offrir les actions à un prix suffisamment attrayant pour éviter dans les années à venir une chute trop forte des cours, qui pourrait être dommageable aux partis du gouvernement. Et puis, si Belfius devenait une banque cotée en Bourse, elle devrait donner bien plus d’informations au marché qu’elle ne le fait aujourd’hui. Ses frais administratifs augmenteraient et les concurrents de Belfius auraient un peu plus d’informations sur la banque.

On s’orienterait donc – toujours à condition de convaincre le MR – vers une vente à des institutionnels, voire à un adossement à un autre grand acteur bancaire européen. Mais si l’on se met à la place de ces acquéreurs potentiels, pourquoi voudraient-ils détenir un bloc d’actions Belfius ? L’État resterait actionnaire majoritaire, et cela n’est pas toujours un avantage. Belfius a distribué à l’État au terme de son exercice 2024 un dividende de 1 milliard, soit la quasi-intégralité du bénéfice de 1,13 milliard réalisé l’an dernier. Une telle politique, si elle se répète, handicape le développement de la banque et n’est pas dans l’intérêt des actionnaires minoritaires.

Conserver un ancrage belge

Marc Raisière, CEO de Belfius, estime qu’il est important de conserver un ancrage belge fort dans le capital de la banque. © BELGAIMAGE

De plus, en privatisant une partie du capital de Belfius, l’État ne risque-t-il pas fragiliser un peu le business model de la banque ? Aujourd’hui, adossée totalement à l’État, Belfius peut se financer bon marché. Si la banque diversifie son actionnariat, elle n’aura évidemment pas de problème pour trouver de l’argent, mais elle pourrait voir son coût de financement augmenter un peu. Et donc, toute chose restant égale, sa profitabilité diminuerait.

Un grand acteur bancaire européen pourrait être intéressé à mettre un doigt dans le marché belge, mais cela n’aurait de sens que si, dans un futur pas trop éloigné, cet acteur avait la possibilité d’obtenir la majorité du capital afin d’avoir la main et pouvoir mettre en place sa propre stratégie. Or, ce scénario est rejeté par le management de Belfius : “Nous croyons qu’il est important de conserver un ancrage belge fort dans le capital de la banque, à travers le gouvernement”, déclarait Marc Raisière en février.

Résumons : pas de consensus politique, interrogation sur le sens de l’opération, questionnement sur le type d’acquéreurs intéressés… Non, les planètes ne semblent pas encore alignées.

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