Trends Summer University: l’impact de l’IA sur les banques belges
Comment les banques belges vivent-elles la révolution de l’intelligence artificielle ? Tous les métiers bancaires sont-ils touchés de la même manière ? Quels sont les avantages dont vont pouvoir bénéficier les banques grâce à l’IA générative ? Telles étaient quelques-unes des questions au cœur d’un débat centré sur l’impact de l’intelligence artificielle dans la sphère financière lors de la dernière Trends Summer University.
Partout dans le monde, la révolution de l’intelligence artificielle s’accélère. Véritable catalyseur de changement, l’IA est porteuse d’opportunités pour la société dans son ensemble, et plus particulièrement pour les entreprises et le secteur financier. Un boom auquel les banques n’échappent pas, y compris chez nous.
Mais quel rôle, au juste, joue la technologie pour les banques belges ? Quel est concrètement son impact sur leurs activités ? Où se situent les Belfius et consorts par rapport aux acteurs étrangers ? Quels sont les gains attendus en investissant dans l’IA ? Quels sont les métiers et fonctions les plus impactées : le marketing, les RH, la gestion des risques ? Comment tout cela va-t-il faciliter la vie des clients : aura-t-on encore besoin d’analystes crédit, de gestionnaires de portefeuille ? Quid aussi des questions éthiques : va-t-on donner le pouvoir à une IA d’accorder ou pas un crédit, de licencier un collaborateur ou de lui accorder une promotion ?
Telles étaient quelques-unes des questions auxquelles un panel de représentants du monde bancaire et des nouvelles technologies étaient invités à échanger lors d’un débat organisé dans le cadre de la 11e édition de notre Trends Summer University, qui s’est tenue cette année encore à Knokke, du 21 au 23 juin dernier, lors d’un week-end qui réunissait comme à son habitude une belle poignée de CEO belges autour de divers thèmes d’actualité.
Comme la magie
Invité à planter le décor en tant que keynote speaker, Jean Dessain, managing partner de Reacfin, n’a pas hésité à mettre les points sur les “i” et à clarifier le concept même de l’IA. “L’IA c’est comme la magie : quand vous regardez un magicien sur scène, ce qu’il fait est extraordinaire et pourtant, il n’y a absolument rien de magique. C’est beaucoup de travail et de talent. Avec l’IA, c’est pareil, il n’y a rien de magique non plus. Il faut aussi beaucoup de travail et beaucoup de talent pour qu’un modèle d’IA fonctionne bien.”
L’IA est l’enfant de trois parents, selon Jean Dessain. “Le premier, ce sont les datas, les données. Les banques en collectent énormément. Et nous connaissons le dicton : data is cheap, information is expensive. Quand on doit collecter des data, il faut s’assurer qu’elles sont correctes, qu’elles sont protégées et que les réglementations du style RGPD sont respectées. Et donc, collecter des données n’est pas si bon marché que ça. Après, il faut des modèles mathématiques performants, et qui le sont de plus en plus aujourd’hui. Et enfin, il faut une puissance de calcul extraordinaire. Une puissance de calcul que nous devons à nos ‘ados gamers’ et qui vient des puces graphiques (les GPU, de l’anglais Graphics Processing Units) développées au départ pour le jeu vidéo. C’est avec ces trois éléments-là – des données, des modèles mathématiques et des puces – qu’on a pu essayer de s’inspirer de la manière dont le cerveau humain fonctionne”, a précisé Jean Dessain en guise de mise en bouche.
Partant de là, l’expert de Reacfin a poursuivi son introduction en soulignant que les progrès de l’intelligence artificielle, notamment l’IA générative, offraient des opportunités remarquables au secteur financier pour exploiter les données, automatiser les tâches et améliorer la productivité tout en réduisant les coûts : “L’IA est clairement en train de révolutionner le secteur financier”. Et donc, a-t-il insisté, la vraie question à se poser n’est pas tellement de savoir quel département ou quelle fonction dans une banque ou une compagnie d’assurance est concerné par l’IA, mais bien le département ou le métier qui ne l’est pas ?
“Il n’y a pas un étage d’une banque qui ne soit pas concerné par l’IA.” – Jean Dessain (Reacfin)
“Que ce soient les équipes commerciales, le risque ou la compliance, il n’y a pas un étage d’une banque qui ne soit pas concerné par l’IA. L’IA va avoir un impact sur à peu près tous les leviers de profitabilité d’une banque ou d’une compagnie d’assurance : une meilleure connaissance des clients, une meilleure offre de produits et un meilleur pricing. On va pouvoir réduire le coût du risque, améliorer le funding, la liquidité. Et donc, à terme, c’est une meilleure solvabilité et une meilleure profitabilité. La vérité, c’est qu’une banque qui utilise pleinement et efficacement les technologies de l’IA peut se retrouver en position de force dans son secteur. Et cela va aussi bénéficier aux clients des banques”, selon l’avis de Jean Dessain.
Nouveaux horizons
Chief technology officer de Belfius, Bram Somers a confirmé cette montée en puissance de l’IA générative au sein des banques belges et de Belfius en particulier, qui utilise la technologie de diverses manières pour améliorer ses services et optimiser ses opérations internes : “Nous l’appliquons déjà très concrètement dans le domaine de la détection des fraudes et de la gestion des risques, mais aussi de manière plus directe vers le client, pour reconnaître la langue qu’il parle notamment, ce qui permet de mieux comprendre ce qu’il souhaite. Par ailleurs, nous développons aussi un Belfius ChatGPT à usage interne. Avec au final, pour toutes ces applications, une valeur ajoutée très importante pour le client et pour Belfius.”
L’objectif poursuivi par le groupe de banque et d’assurance belge est de repousser les limites de l’expérience client en proposant des services sans cesse plus personnalisés, plus performants et plus rapides. Et ce, en mettant par exemple en place un assistant personnel (chatbot) qui utilise l’analyse de données pour fournir des informations précieuses aux collaborateurs de Belfius et ainsi offrir des expériences qui dépassent les attentes du client. Raison pour laquelle Belfius a investi dans la licorne française Mistral, star européenne de l’IA. Cette dernière a levé pas moins de 600 millions en juin dernier en vue de réaliser son objectif ambitieux de s’imposer comme le rival européen d’OpenAI et Google, notamment.
“AI is the new digital, a indiqué à ce propos Bram Somers. Les investissements que nous faisons vont dans ce sens. Notre ambition avec Mistral est de développer le meilleur assistant digital personnel intégré dans notre application mobile”, a-t-il indiqué avant d’ajouter : “Notre application mobile va rester un asset très important mais la voix va jouer un rôle de plus en plus grand dans la relation avec le client, ce qui ne veut pas dire non plus que l’IA va remplacer totalement l’humain dans la relation bancaire. Chez Belfius, nous croyons beaucoup dans les solutions qui combinent technologie, contact humain et conseil. La souscription d’un crédit hypothécaire reste un moment très important dans la vie du consommateur.”
En parallèle, les avancées de l’IA sont prometteuses. Elles ouvrent des tas de nouveaux horizons en matière de service au client, a expliqué Nicolas Deruytter, fondateur de ML6, fournisseur de services IT : “Comme la banque mobile, qui est devenue un nouveau moyen d’interaction avec les clients dont ils profitent aujourd’hui pleinement, nous sommes avec l’IA à la veille d’un nouveau canal de consommation et d’entrée en relation, peut-être via la voix, peut-être via les assistants numériques. De belles opportunités existent pour une banque qui créerait et exploiterait ce nouveau canal de consommation”.
Un avis partagé par Stefan Dierckx, CEO du cabinet de conseil spécialisé dans le domaine des services financiers Projective : “La banque mobile a été une énorme révolution. Ce qu’on voit aujourd’hui avec l’IA, c’est une accélération de la digitalisation, non seulement vis-à-vis du client mais aussi en interne au niveau de toute l’infrastructure d’une banque.”
Pas en retard
Nos banques sont-elles dès lors en mesure de suivre cette évolution ? Absolument, estime Stefan Dierckx pour qui il suffit simplement de comparer avec ce qui se fait à l’étranger. “Nous avons de nombreux clients aux Pays-Bas, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, et quand je vois ce que les banques belges proposent en tant que services bancaires digitaux, ceux-ci sont certainement de très bonne qualité. Il y a peu de projets que nous menons ici en Belgique qui ne sont pas déployés dans d’autres pays, et vice versa.”
Et si Belfius et consorts sont plutôt bien positionnés en matière d’IA, ce n’est pas une surprise vu leur maturité numérique, s’est félicité Bram Somers : “Belfius a développé aux cours des 10 dernières années une plateforme numérique qui est unique. Son potentiel est énorme, et nous en sommes bien sûr très fiers, comme nous pouvons être fiers de la numérisation dans son ensemble du secteur financier en Belgique. Deux des plus grandes banques belges, Belfius et KBC, sont reconnues au niveau international pour cela. Nous sommes des leaders, nous contribuons à déterminer la tendance, et je n’ai absolument aucun doute à ce que nous continuerons à le faire à l’avenir. C’est certainement notre ambition. Je pense que la Belgique dispose de beaucoup de talents pour pouvoir continuer dans ce sens, même ceux-ci deviennent un peu plus rares en raison de la concurrence avec les start-up et les fintechs qui est grande. Mais je crois vraiment que nous sommes à la pointe et que nous pouvons le rester.”
“ Ce qu’on voit aujourd’hui avec l’IA, c’est une accélération de la digitalisation, non seulement vis-à-vis du client mais aussi au sein de l’infrastructure bancaire.” – Stefan Dierckx (Projective)
Un constat auquel Nicolas Deruytter (ML6) a toutefois apporté une légère nuance dans la mesure où “les banques belges sont certes tout à fait conscientes du potentiel de la technologie et sont bien positionnées pour en profiter. Mais à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, on voit que les choses vont un peu plus vite. Cela étant, en termes de compétences et de connaissances, les banques belges n’ont certainement pas à rougir en la matière, au contraire.”
Risques, défis et éthique
Même si certaines banques comme JP Morgan aux Etats-Unis accélèrent dans cette course à l’intelligence artificielle, tous les panélistes étaient donc sur la même longueur d’onde quant à l’intérêt du secteur bancaire belge pour l’IA générative, qui est indéniable. D’après eux, toutes les banques en Belgique prennent très au sérieux le phénomène et se mettent en ordre de bataille vu les gains attendus en termes de productivité et de meilleur service au client. D’énormes moyens financiers et humains sont d’ailleurs libérés pour garder le rythme de l’innovation.
Cependant, comme l’a également souligné Jean Dessain dans son exposé introductif, cette évolution n’est pas sans risques ni challenges : “La sécurité et la cybersécurité, mais aussi l’éthique, l’explicabilité de l’IA et une coopération entre l’homme et la machine figurent parmi les soucis constants de ceux qui travaillent dans le domaine. La directive ‘AI Act’ va encadrer désormais l’IA en Europe. Pour les institutions financières, le régulateur (la BNB) est aussi très sensibilisé aux potentialités et aux challenges que pose l’IA.”
“Nous sommes avec l’IA à la veille d’un nouveau canal de consommation.” – Nicolas Deruytter (ML6)
Comme l’a également souligné Bram Somers pour qui il existe effectivement toute une série de risques liés à l’utilisation de l’IA, notamment en matière de cybersécurité (deep fake, travestissement de la voix, etc.), un danger mérite toutefois une attention particulière, selon lui : “Même si je suis un techno-optimiste, il est important de trouver le bon équilibre entre innovation et contrôle des risques. Je pense que si l’on regarde ce que peut faire aujourd’hui un ChatGPT, celui d’OpenAI ou celui de Mistral, il donne souvent l’impression qu’il est parfait. Il crée la perception que chacun sait tout sur tout, et que même si on n’est pas complètement sûr, on a la réponse parfaite. Il est très important de continuer à penser de manière critique en tant qu’être humain. De nombreuses études font état de gains de productivité énormes grâce à l’IA. Mais d’autres études montrent également que si vous ne continuez pas à penser de manière créative et critique, la qualité diminue. C’est un défi important, aussi d’un point de vue sociétal. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est ce qui est faux ? Les fake news, etc. : c’est un point d’attention majeur. En tant que bancassureur, nous considérons chez Belfius que nous avons un rôle important à jouer vis-à-vis des clients à cet égard”, a conclu le chief technology officer de Belfius.
L’avis de Bram Somers,Chief Technology Officer de Belfius
Impact de l’IA sur le secteur financier “AI is not new in banking” (Jamie Dimon)
De nos jours, l’intelligence artificielle fait beaucoup parler d’elle! C’est indéniable, elle a un impact sur notre vie quotidienne. Chez Belfius, nous utilisons d’ailleurs les technologies de l’IA dans nos systèmes depuis plusieurs années. Une plateforme digitale solide est en effet essentielle pour une expérience client optimale. Cela ne concerne pas uniquement la mise en place d’une app facile à utiliser, mais aussi celle d’un assistant virtuel et d’outils pour détecter les fraudes plus rapidement.
Dans le secteur bancaire, l’IA est indispensable. Elle constitue même l’un de nos points forts. En effet, les banques belges sont réputées dans le monde entier pour leur savoir-faire digital. Nous disposons de tous les talents et connaissances nécessaires pour jouer un rôle de pionnier dans le digital. Chez Belfius, nous croyons pleinement à la valeur ajoutée et aux opportunités de l’IA, que ce soit pour notre fonctionnement interne ou pour notre expérience client. Cependant, nous donnons toujours la priorité à la qualité et à la relation de confiance avec notre client.
Il est dès lors essentiel de trouver un équilibre entre innovation et maîtrise du risque. Belfius entend continuer à innover et à offrir le meilleur service, tout en se protégeant contre les risques de l’IA. Cela s’inscrit parfaitement dans notre raison d’être “Meaningful & Inspiring for Belgian Society. Together”.
Trends Summer University 2024
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