“Tout cela va refroidir les investisseurs à l’égard des banques”
Bruno du Bus est responsable de la stratégie d’investissement auprès de la société de gestion Fide Capital, et enseigne à l’Ichec. Il tire les enseignements de ces jours mouvementés dans le secteur bancaire.
Les marchés semblent être finalement rassurés par la reprise de Credit Suisse par UBS. Mais ces deux banques ont souffert de scandale à répétition. N’est-ce pas le mariage de l’aveugle et du paralytique ?
Oui, c’est un mariage forcé. Il s’agit d’une opération de sauvetage dans l’urgence. Et en effet ce sont deux banques qui ont un historique récent compliqué. Le dernier élément qui peut poser problème est la taille. Mais si l’on en croit certains bruits, il est question d’introduire en bourse une partie des activités : on parle des crédits aux PME et de l’activité de banque au détail Suisse. Il y aura donc probablement un allégement des actifs.
Si l’on sort des modèles suisses et américains qui ont éprouvé des problèmes, les contrôles effectués par la Banque centrale européenne étaient beaucoup plus stricts. Nous avons en Europe un système régulatoire qui a relativement bien fonctionné. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les opérations de « quantitative easing » de la BCE n’avaient pas eu l’influence espérée pour relancer l’économie. Il y avait des contraintes qui restreignaient l’octroi de crédit. Et même si les taux étaient particulièrement avantageux, la notion de risque de crédit n’avait pas été abandonnée en Europe.
Est-ce que cela signifie que les banques européennes sont plus fragiles qu’on ne pense ?
Mais le secteur bancaire présente des caractéristiques propres dont certains particuliers n’ont pas toujours conscience. La banque californienne SVB a fait en 2022 25 dollars de bénéfice par action. Cependant, à partir du moment où la confiance a été rompue, elle a souffert de sorties de liquidités qui ont entraîné un problème de rentabilité et de solvabilité. Dans le secteur bancaire, on peut faire des bénéfices et se retrouver par terre le lendemain en raison de rumeurs, avérées ou pas. Nous l’avions déjà observé en 2008. C’est assez perturbant et c’est très différent des autres secteurs où une entreprise ne fait faillite qu’après avoir accumulé des pertes pendant un certain temps.
Cette crise va laisser des traces ?
Ce qui est positif c’est que des mesures très fortes ont été prises très rapidement. Mais deux développements sont sans doute plus que probables. Nous aurons un contrôle régulatoire encore plus strict, tant aux États-Unis qu’en Europe. Et nous aurons un accès au crédit encore un peu plus réduit, car les banques vont rechercher davantage la qualité. Mais ce que nous avons appris aussi, est que, si l’on est investisseur dans le secteur bancaire, en actions ou même en obligations, on peut se retrouver à subir une facture relativement importante.
On a également vu que les pouvoirs publics américains sont prêts à garantir de manière illimitée les dépôts. Une bonne idée ?
Ils ont été confrontés à deux ou trois accidents rapprochés, et ils ont dû poser une rustine pour éviter que l’ensemble du secteur se dégonfle. Mais c’est une garantie, pas une sortie de cash. Et en posant une telle garantie, on évite un mouvement de panique plus généralisé. Toutefois, il faut se rappeler que ce n’est pas sans risque : un pays européen, l’Irlande, avait garanti les dépôts de ses grandes banques lors de la crise de 2008. Cela lui a posé un énorme problème en termes de dette publique et d’engagement par rapport aux autorités européennes. Et les taux d’intérêt avaient explosé.
Les actionnaires des banques ont vécu la crise de 2008, celle de la zone euro, celle du covid au cours de laquelle les banques n’ont plus pu distribuer de dividendes. Puis aujourd’hui une crise bancaire. Cela ne va pas les dégoûter du secteur ?
La plupart des banques surtout européennes ont distribué des dividendes généreux, offrant un joli rendement par rapport à leur cours de bourse. Elles ont aussi procédé à des rachats d’actions. Tout cela a été relativement intéressant pour l’actionnaire. Mais le fait d’avoir un mode régulatoire qui permet de suspendre des rachats d’actions et les distributions de dividendes, et ce qui s’est passé ces derniers jours, tout cela va clairement refroidir les investisseurs, institutionnels et surtout particuliers. C’est un secteur qui repose sur la confiance. Lorsqu’il y a un problème, l’actionnaire peut se retrouver grugé très rapidement, nous l’avons vu en 2008. Cependant, ce n’est pas l’apanage des banques. Au début des années 2000, nous avions assisté à l’explosion de la bulle des valeurs technologiques et il a fallu également pas mal de temps pour que les gens reprennent confiance dans ce type d’entreprises.
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