Taux bas et révolution numérique, le cauchemar des assureurs

ETHIAS Le siège de l'assureur, à Liège. © BELGAIMAGE
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Après les banquiers, les assureurs. Eux aussi ont de plus en plus de mal avec les taux bas et la digitalisation de la planète finance, comme en témoigne la vague de licenciements chez Axa Belgium et P&V ainsi que les soucis financiers d’Ethias.

Pas simple décidément le métier d’assureur par les temps qui courent. Outre l’annonce de suppressions d’emplois chez P&V (300) et Axa Belgium (650), le groupe Ethias refait également les gros titres des journaux : ” Le rachat de l’assureur Ethias par la banque Belfius est à l’étude ” (L’Echo), ” Des règlements de comptes chez Ethias ” (Le Soir), etc. En cause, le départ du CEO du groupe, Bernard Thiry, forcé à la démission suite à des tensions au sein du comité de direction.

Règles plus sévères

Au-delà de ces tensions internes qui commençaient à fragiliser l’entreprise, le départ surprise du CEO intervient surtout au moment où la question de la solidité financière du groupe revient sur le tapis. Motif ? Malgré les efforts entrepris pour renforcer son matelas de fonds propres depuis son sauvetage en 2008 par l’Etat fédéral et les régions wallonne et flamande, Ethias n’a pas passé avec succès les stress tests organisés au cours de l’été par le gendarme européen des assureurs. De quoi alerter la Banque nationale, chargée du contrôle du secteur, et qui exige qu’Ethias prenne une série de mesures afin de respecter l’ensemble des exigences prudentielles (notamment les nouvelles normes en matière de fonds propres Solvency II, en vigueur depuis le début de l’année). Ethias dégage du reste de bons résultats sur le plan opérationnel depuis 2012. Raison pour laquelle du côté de l’assureur, on estime que les mesures en préparation devraient lui permettre de poursuivre sa route tout seul. Parmi ces mesures, il y a des cessions d’actifs non stratégiques, comme sa grosse filiale informatique NRB. Mais aussi un accord avec un réassureur qui reprendrait tout le risque encore lié aux anciens comptes First qui garantissent encore un rendement à vie de 3,44 %, alors que les taux sont aujourd’hui proches de zéro.

Sale temps pour la branche 21

Malgré les efforts entrepris pour renforcer son matelas de fonds propres, Ethias n’a pas passé les stress tests cet été.

Que le quatrième assureur de Belgique cherche ainsi à se débarrasser définitivement de son boulet First n’est pas anodin. La chute des taux devient en effet problématique et pas seulement pour Ethias. ” Tous les acteurs souffrent et s’en plaignent “, observe Grégoire Tondreau, partner au sein du cabinet de conseil Roland Berger. La plupart des compagnies possèdent en portefeuille des contrats d’assurances – placements (de la branche 21) qui leur coûtent de l’argent, garantissant des rendements bien supérieurs à ce qu’il est aujourd’hui possible d’obtenir de façon durable sur les marchés. Exemple : le rendement des obligations de l’Etat belge à 10 ans (OLO) est passé dernièrement pour la première fois sous la barre des 0,15 %.

Comment dès lors offrir un rendement de 2 ou 3 % quand les primes que versent les clients sont placées dans des produits financiers (obligations, etc.) dont les taux de référence sur les marchés sont aujourd’hui proches de zéro, parfois même négatifs ? Certes, certains assureurs vont voir du côté de l’immobilier pour avoir plus que les obligations d’Etat. N’empêche, la tension entre les conditions actuelles sur le marché obligataire et les taux élevés promis sur la partie ancienne des portefeuilles se fait de plus en plus sentir. La meilleure preuve en est que l’encaissement du secteur pour ces produits à taux garantis est en chute libre. L’an dernier, le marché de l’assurance-vie individuelle de la branche 21 (à taux garantis, donc) a vu son encaissement reculer de 16,9 %, passant de 8,8 à 7,3 milliards d’euros. ” Les taux bas ainsi que la taxe de 2 % sur les primes versées diminuent l’attrait du segment, avance Wauthier Robyns, porte-parole d’Assuralia, la Fédération belge des entreprises d’assurance, parlant d’un ralentissement net de l’activité. Le rentier qui comptait sur un rendement de quelques pour cent pour maintenir son pouvoir d’achat ne trouve plus auprès des assureurs les taux auxquels il était habitué par le passé et se tourne vers d’autres placements plus rémunérateurs. Bref, la situation actuelle ne favorise pas l’épargnant qui cherche de la sécurité pour son argent et pénalise la rentabilité des assureurs. ”

Retour de flamme

Axa Belgium a supprimé sa promesse de taux sur son compte Crest20, qui promettait un rendement de 4,75 %.

La tendance est là, en effet. Bien là. Les marges se réduisent. Comme le résume le professeur d’économie à l’université de Gand Koen Schoors, dans le petit entretien qu’il nous a accordé (lire plus loin), ” il y a aujourd’hui trop peu d’oxygène dans le secteur des assurances “. Ce n’est pas un hasard si, dans le cadre de sa restructuration, Axa a décidé d’abandonner ce créneau de l’assurance-vie individuelle pour se concentrer sur l’assurance dommage (branche non-vie : habitation, auto, etc.), segment du métier qui connaît encore une rentabilité satisfaisante, ainsi que sur l’assurance pension (assurance-groupe pour les employeurs, pension complémentaire pour les indépendants et épargne-pension pour les particuliers). Bien sûr, ” l’ensemble des contrats et des engagements existants seront maintenus pour les clients “, indique-t-on du côté d’Axa Belgium.

Mais la filiale belge du grand assureur français ne proposera plus de nouveaux ” comptes ” à partir du 1er janvier 2017. Dernièrement, la compagnie a d’ailleurs supprimé sa promesse de taux sur son ” vieux ” compte Crest20, lancé à la fin des années 1980 et qui promettait un rendement de 4,75 % à vie sur les primes versées. En contrepartie, elle propose aux 27.000 clients qui ont souscrit à un compte Crest avant le 31 janvier 2002 de racheter leur contrat avec une prime de sortie de 25 % minimum. L’offre ressemble fort à celle proposée début 2014 par Ethias pour ses comptes First de première génération. Ethias avait à l’époque offert à ses clients détenteurs d’un ” vieux ” compte First une prime exceptionnelle équivalant à quatre années d’intérêts. Bref, il y a des signes qui ne trompent pas : ” Le secteur belge des assurances continue à se caractériser par le niveau élevé des taux garantis sur certains produits d’assurance-vie “, note la BNB dans son dernier rapport annuel.

Le train de la digitalisation

L’heure des grandes manoeuvres a peut-être déjà sonné. Reste à savoir qui mangera qui.

A cette persistance des taux bas contre laquelle bon nombre de compagnies ne se sont pas protégées, croyant que la baisse des taux d’intérêt serait passagère, vient aujourd’hui s’ajouter le défi de la digitalisation. Certes, ” les assureurs se heurtent à quelques survivances de prescrits réglementaires désuets qui ne leur permettent pas d’être aussi efficaces qu’ils pourraient l’être “, plaide Wauthier Robyns, citant l’exemple de l’accès au registre national : ” Nous n’y avons pas accès, ne fût-ce que pour retrouver l’adresse de clients qui ont déménagé et dont on recherche les coordonnées actuelles. D’un autre côté, papier et numérique ne sont pas mis au même niveau. Nous utilisons encore beaucoup de recommandés, etc. ” D’accord, mais certains ont complètement loupé le train de la digitalisation. Et c’est notamment le cas d’Axa en Belgique. Issu du regroupement de plusieurs entités (Winterthur, etc.), l’enseigne fonctionne toujours avec plusieurs systèmes informatiques qui n’ont jamais été uniformisés. Elle compte également plus de 4.000 collaborateurs (hors agents bancaires et courtiers). A comparer avec le bon millier de personnes qui travaillent chez Ethias. Pas étonnant dans ces conditions de voir les coûts d’Axa Belgium être de 20 % supérieurs à la moyenne. Or de manière générale, ” les clients sont de moins en moins prêts à payer pour toutes les structures de conseil et de distribution déjà en place “, observe Grégoire Tondreau, faisant notamment référence au canal des courtiers.

Premiers dominos ?

Taux bas, virage technologique, contexte réglementaire plus sévère… En définitive, à quoi ressemblera le secteur belge de l’assurance demain ? Faut-il s’attendre à d’autres dégraissages dans un secteur qui emploie encore quelque 20.000 personnes ? Pour Grégoire Tondreau, ” il est évident qu’une nouvelle vague de consolidation aura lieu pour contrôler les coûts opérationnels “.

“Il y a trop peu d’oxygène dans le secteur des assurances”

Taux bas et révolution numérique, le cauchemar des assureurs
© BELGAIMAGE

Professeur à l’université de Gand, régulièrement interrogé par les médias flamands pour décoder l’actualité économique et financière, Koen Schoors n’est pas du tout surpris par ce qui se passe chez Axa Belgium et Ethias.

Les problèmes d’Axa et d’Ethias vous surprennent-ils ?

Axa Belgium est une entreprise qui connaît des problèmes d’organisation depuis longtemps. Elle fait aussi face à une digitalisation tardive. Ethias est quant à lui un groupe qui reste fragile malgré les efforts de restructuration. Ceci dit, faire le procès de ces deux entreprises n’est pas très relevant. Il est plus intéressant de parler des difficultés du secteur dans son ensemble. Il y a aujourd’hui trop peu d’oxygène dans le secteur des assurances.

Trop peu d’oxygène : à cause des taux bas ?

S’ajoutant à des exigences réglementaires accrues, la faiblesse des taux commence sérieusement à faire mal. Il est intenable de garantir un rendement de 2 % à long terme, alors que les taux d’intérêt sur les marchés sont aujourd’hui proches de zéro. Dans ce contexte, tout le monde essaye de s’adapter : on augmente les primes, on coupe dans les frais, etc. Mais ce n’est pas évident. Surtout que le problème est plus profond que cela. Car ce qui met les assureurs à ce point sous pression chez nous, c’est le retour de l’inflation et la perte de pouvoir d’achat qu’elle entraîne pour les épargnants. Elle mange le rendement déjà très faible de leurs placements (en branche 21, par exemple). Or, tant que l’inflation ne revient pas dans la zone euro, contrairement à ce qui se passe en Belgique, la BCE va continuer à tirer les taux vers le bas. D’où des attentes de rendements déraisonnablement élevées pour les épargnants belges sur les produits d’épargne commercialisés par les assureurs.

Dans quelle mesure la digitalisation fragilise-t-elle vraiment les assureurs ?

La digitalisation n’est pas seulement une question de réduction de coûts. C’est aussi une question de qualité du service. Elle permet de mieux cibler ses clients avec de meilleurs produits. Cela a donc aussi une influence sur le terrain des revenus. Ceux qui ont pris du retard dans la digitalisation de leurs services risquent à terme de le payer cher.

La restructuration d’Axa Belgium est-elle la première d’une longue liste ?

Je pense effectivement que d’autres vagues de licenciements ne sont pas exclues dans le secteur des assurances.

L’heure des grandes manoeuvres a même peut-être déjà sonné. Reste à voir qui mangera qui. Car si le scénario d’un adossement d’Ethias à la banque Belfius refait aujourd’hui surface, rien ne dit qu’il se réalisera. Ne serait-ce que parce que d’autres acteurs comme Ageas, Allianz ou le groupe Bâloise seraient paraît-il aussi sur les rangs pour croquer la proie liégeoise. Au cas où…

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