Bruno Colmant
Quand la finance moderne a servi d’alibi au néolibéralisme
Le système néolibéral ne peut pas être dissocié de l’économe de marché, terme apparu dans les années quatre-vingt. Si l’économie de marché peut épouser la fluidité du capital, elle est pourtant inqualifiable pour le travail dont l’épanouissement et la valeur sont, pour partie, liés à sa constitution et sa contribution passées. Il est impropre de parler de marché de travail, sauf à réduire l’humain à un mobile fongible, abstrait, standardisé et productif de manière éphémère.
Mais comment affirmer la supériorité de l’économie de marché sur tout autre cadre normatif ? Certains ont certifié l’hypothèse d’une efficience du marché, c’est-à-dire que les prix des facteurs de production reflètent toute l’information disponible qui les concerne. L’efficience des marchés financiers, essentiellement développée par le mathématicien français Louis Bachelier (1870-1946) et l’économiste américain Eugène Fama (1939 -), prix Nobel d’Économie en 2013, constitue le socle que la finance moderne. Cet axiome d’efficience fut idéologiquement capturé pour légitimer la supériorité de l’efficacité de l’économie de marché néolibérale.
Si on accepte l’efficience des marchés, alors il est impossible de les battre. Et si on ne peut pas les battre, c’est qu’ils sont supérieurs. Et que le choix du marché domine celui des États. Voilà comment, sournoisement, un concept financier a été défourné pour légitimer un modèle politique. Et nous, les professeurs d’université en finance, nous n’avons rien compris ni rien vu, tout contents d’avoir pu nous nimber des subtilités de la recherche de quelques chercheurs américains.
Par ailleurs, on notera que si le néolibéralisme s’épanouit dans une économie qu’il qualifie de marché, les conditions de cette dernière sont de moins en moins respectées. Une économie de marché est fondée sur un modèle de concurrence pure et parfaite, lui-même conçu sur plusieurs hypothèses, dont l’atomicité du marché, une entrée libre sur le marché, la parfaite transparence du marché et des informations, et la libre circulation des facteurs de production. L’émergence de monopoles est en contradiction avec la définition d’un marché.
Or, si le courant néolibéral abolit les règles macroprudentielles édictées dans les années 1930 et conduisit à démanteler ultérieurement, en Europe, les grands monopoles d’État, ceux-ci furent progressivement et sournoisement remplacés par des oligopoles privés dans différents domaines (énergie, banques, commerce, etc.) au mépris des préceptes du libéralisme du XIXe siècle qui les accusaient d’altérer la libre circulation et la recomposition des capitaux actionnariaux.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici