Pourquoi les États européens veulent-ils se débarrasser de leurs banques maintenant?

Cette évolution sur les taux a fait en sorte qu’en 2023-2024, les banques ont pu bénéficier sans rien faire des intérêts versés sur les liquidités déposées auprès de la BCE.
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Les États ont besoin d’argent, la rémunération des dépôts auprès de la BCE baisse et les banquiers européens cherchent l’effet de taille.  Le Royaume-Uni, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas ont cédé leurs actions bancaires. Et la Belgique ?

Les rumeurs vont bon train chez nous au sujet de la cession de la participation des pouvoirs publics (le fédéral et les régions flamande et wallonne) dans Ethias, voire d’une partie de Belfius. Mais il n’y a pas qu’en Belgique où les pouvoirs publics songent à se délester de leurs participations bancaires.

Commerzbank

Et certains ont sauté allègrement le pas. La dernière opération, celle qui fait le plus de bruit a été la vente à UniCredit par l’Etat allemand d’un bloc de 4,5% de Commerzbank. Le groupe italien UniCredit est dirigé par une star des fusions bancaires, Andrea Orcel (c’est lui qui avait proposé le deal ABN Amro à Fortis…) et on ne se refait pas. UniCredit, qui a déjà avalé la banque grecque Alpha Bank l’an dernier en la rachetant à l’État grec pourrait donc cette fois viser une cible bien plus grande, forte d’une clientèle de plus de 25.000 entreprises et de plus de 11 millions de clients privés.

Mais en fait, depuis un an, les États européens ont vendu pour 16 milliards d’euros d’actions bancaires, nous dit le Financial Times. L’opération la plus importante a été réalisée par le Royaume-Uni, avec la vente pour l’équivalent de 6,5 milliards d’euros (5,5 milliards de livres sterling) d’un bloc d’actions NatWest. La Grèce, outre la vente d’Alpha Bank, a aussi cédé Piraeus Bank et Eurobank, le tout pour 1,7 milliard d’euros. Les Pays-Bas ont réduit leur participation dans ABN Amro, l’Irlande dans AIB et l’Italie dans Monte dei Paschi di Siena. Et si l’on veut compléter la liste du FT, la Belgique avait déjà cédé il y a un peu plus d’un an un nouveau bloc de ses actions BNP Paribas.

Une question de taux

Une des raisons de ces cessions est budgétaire : les États européens désirent disposer immédiatement de certains montants pour renflouer leurs caisses, quitte à se priver de versements de dividendes. Le calcul financier n’est d’ailleurs pas toujours optimal, mais  en politique, le court terme prime souvent.

Ces grandes manœuvres ont également été soutenues par la remontée des taux d’intérêt, et singulièrement du taux de la facilité de dépôts de la Banque centrale européenne, là où les banques peuvent déposer leur surplus de liquidités. Ce taux était encore nul à l’été 2022, a bondi pour atteindre 4% entre l’automne 2023 et mai 2024. Il redescend un peu désormais, à mesure que la BCE desserre son étreinte monétaire et que l’inflation ralentit. Nous sommes encore à 3,65%. Mais, à moins d’un brusque réveil de l’inflation,  ce taux devrait va continuer à se réduire.

Mais cette évolution sur les taux a fait en sorte qu’en 2023-2024, les banques ont pu bénéficier sans rien faire des intérêts versés sur les liquidités déposées auprès de la BCE. Puisque les taux vont se réduire, ce cadeau va s’estomper et cela va se sentir dans les bénéfices des banques.

Et une question de taille

C’est donc peut-être le bon moment de vendre. Évidemment, les acquéreurs potentiels, qui sont des groupes bancaires, ne sont pas nés de la dernière pluie et savent tout cela.

Mais ils sont intéressés à racheter des banques d’Europe afin de gonfler leur taille. Un des graphiques qui hantent les banquiers européens aujourd’hui est celui du classement des banques mondiales par capitalisation boursière : aucune banque européenne n’apparaît dans le top 15 mondial. JP Morgan, dont la capitalisation boursière atteint 345 milliards d’euros, vaut plus que les dix principales banques européennes réunies ! Le rapport Draghi estime urgent de fonder un vrai marché des capitaux européen, ce qui passe, selon lui, par la constitution de grands groupes européens capables de faire jeu égal avec les mastodontes américains ou chinois. Et donc, les banquiers européens sont aujourd’hui à l’affût de ce qui pourrait augmenter leur taille et leur marché.

Les jeux sont ouverts, car, selon le Financial Times « d’autres cessions sont attendues dans les mois à venir, car les gouvernements grec et italien sont en passe de rendre leurs grandes banques renflouées au secteur privé d’ici la fin de l’année, tandis que les gouvernements britannique et irlandais pourraient céder leurs participations l’année prochaine ».

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