Pierre Wunsch : “Nous devons nous interroger sur l’avenir de nos secteurs intensifs en énergie”

Pierre Wunsch © belga
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Dans un discours tenu voici une dizaine de jours à l’occasion de la fête du mouvement ouvrier chrétien (et de l’encyclique Rerum novarum, de mai 1891, qui construit la doctrine sociale de l’Eglise), le gouverneur de la Banque Nationale Pierre Wunsch a abordé la question lancinante de la baisse de notre potentiel de croissance.

La croissance potentielle de nos économies, c’est-à-dire la croissance qu’elles peuvent supporter sans surchauffe, ne cesse de baisser depuis des lustres et tournent désormais autour de 1-1,5%. Cela en raison d’une double tension, démographique d’une part (le vieillissement de la population) et  sur la productivité d’autre part (qui ne croit plus, ces dernières années, que de 0,4% par an, en raison de la part de plus en plus grande des services à faible valeur ajoutée dans le mix économique, mais aussi de l’absence, en Belgique et plus généralement en Europe, de grands acteurs technologiques).

Le déni coûte cher

Pierre Wunsch s’étonne d’abord du rapide changement de perspective lié à la transition climatique, qui était vue il n’y a pas si longtemps encore comme une opportunité de « croissance verte ». 

« Nous savons tous que « l’esprit du temps » peut changer rapidement en politique. Je reste cependant impressionné par la vitesse avec laquelle nous sommes passés, en quelques mois, d’une assurance que notre ambition climatique était non seulement nécessaire, mais qu’elle représentait aussi une « immense opportunité » en matière de croissance et de créations d’emploi… à un pessimiste soudain quant à notre avenir économique… En réalité, si l’on prend un peu de recul, cela fait un certain temps déjà que l’Europe a pris conscience de son manque de dynamisme. Typiquement, la réponse a été structurée autour de plans pluriannuels, impliquant plus d’Europe, et soutenue par une « grande vision » ». 

Et c’est vrai que les plans européens destinés à soutenir la productivité et la croissance n’ont pas manqué. On se souvient de la stratégie de Lisbonne, du plan Juncker. Puis lorsque la transition climatique est devenue une évidence, Next Generation EU, Fit-for-55…

« Une fois de plus, un cocktail d’investissements massifs et de réformes structurelles devrait faire de nous un champion mondial, cette fois-ci de la croissance verte », résume Pierre Wunsch qui ajoute : « Alors ne me comprenez pas mal. Je suis en faveur du Fit for 55, de plus d’investissements… et aussi de réformes structurelles et de finances publiques saines. Mais je constate un décalage croissant entre nos aspirations et la réalité sur le terrain. Bien sûr, l’ambition et le discours politique ont toujours pour vocation de fixer un cap, qui n’est pas toujours entièrement réaliste. Mais il y a un coût réel à vivre dans le déni de choses qui sont, au final, souvent assez prévisibles. »

Coincé entre Pékin et Washington

« On ne peut se défaire de l’impression que nous sommes « coincés » entre les États-Unis d’une part, avec ses champions digitaux et son énergie bon marché, et la Chine d’autre part, qui se montre de plus en plus compétitive dans les secteurs de l’économie verte que nous espérons développer : panneaux solaires, véhicules électriques et même éoliennes… », poursuit le gouverneur de la BNB, qui rappelle aussi le formidable avantage énergétique des États-Unis, avec un prix du gaz qui est de 10 euros le MW/h, alors que « nous oscillons entre 30-50€/MWh… auxquels il faudra bientôt rajouter 20 à 30 euros pour la capture du carbone ou l’hydrogène bleu. Donc, oui, nous devons nous interroger sur l’avenir des secteurs intensifs en énergie sur notre continent ».

Mais il n’y a pas que le coût de l’énergie. Il y a aussi une culture de l’entreprise et de la prise de risque. « Pour faire bref, l’Europe excelle dans un environnement qui avance de manière prévisible et pas trop disruptive, avec des règles communes et équilibrées. Or, nous vivons dans un monde de plus en plus transactionnel, qui respecte de moins en moins de règles fixes, et qui est fondamentalement disruptif ».

« Le problème est aussi en partie un problème de discours et de méthode. Nous lançons de grandes ambitions sans être toujours suffisamment honnêtes, candides dit-on en anglais, quant aux conditions de réussite. Pour après coup, le plus souvent, constater que l’échec (partiel) était prévisible », souligne Pierre Wunsch.

Trois leçons

Cela dit, nous avons encore des économies riches et diversifiées. Mais pour se donner une méthode efficace, Pierre Wunsch tire trois leçons à méditer.

La première est que les grands plans de dépense pour contrer les crises ne sont plus d’actualité. « Simplement jeter de l’argent aux problèmes sur notre route n’est ni adéquat, ni même possible au vu de notre situation budgétaire.».

La deuxième est que ce n’est pas un problème d’argent, mais de projets. « Il n’y a pas de problème de financement au sens strict. Nous vivons toujours dans un monde où un surplus d’épargne poursuit un nombre trop limité de projets d’investissements».

La troisième, c’est le poids de la régulation. « Nous avons effectivement un réel problème de lourdeurs administratives. En Flandre, le cas INEOS (le grand projet d’investissement du groupe chimique britannique dans le port d’Anvers a été confronté à de multiples obstacles pour avoir son permis d’environnement, NDLR). Je n’ai pas à me prononcer sur le fond du dossier. Mais le fait que l’on ne parvienne pas à lever l’incertitude juridique est un problème en soi. Même à la BNB, satisfaire aux règles en matière statistiques, de cloud, d’intelligence artificielle et de GDPR est tout sauf évidence. »

Le coût de la transition n’est pas excessif

Puisque l’épargne européenne est abondante, il s’agit donc, avant tout, de « créer les conditions pour que les investissements verts se concrétisent », poursuit le gouverneur de la BNB, qui souligne aussi le fait qu’il faudra bien répondre à la question : qui va payer le coût de la transition.

 Un coût qui n’est pas démesuré, ajoute-t-il : « Un consensus croissant se dégage sur le fait que le coût de la transition serait comparable à celui d’un « gros » choc pétrolier … mais réparti sur 26 ans plutôt que quelques semaines, comme durant les années 70. Par an, cela représente un choc de productivité d’environ 0,1% de croissance. Partant d’un potentiel d’environ 1,25%, nous sommes loin d’un scénario de décroissance. »

Et Pierre Wunsch ajoute : « Je reste donc optimiste quant à la possibilité de réaliser nos ambitions climatiques à un coût raisonnable. Reste que l’enjeu est de taille et que nous devons le relever dans un monde qui nous est de plus en plus hostile. »

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