Conjoncture, attentes des entrepreneurs, dynamique d’investissement : à la tête du département entreprises de la banque CBC, Nicolas Charlier dresse un état des lieux du marché des PME en Wallonie.
À 42 ans, Nicolas Charlier est un pur produit de la maison CBC. Diplômé en ingénieur de gestion à Namur, il y a fait ses débuts en 2006, poussé par son goût des chiffres et de l’analyse financière. Treize années plus tard, après avoir gravi les échelons jusqu’au poste d’adjoint au directeur financier, il bifurque vers le terrain, là où se vivent les réalités des entreprises.
Si bien que depuis le début de cette année, il pilote tout le département entreprises de CBC, une entité qui regroupe les segments PME, corporate, le non-marchand et l’institutionnel, ainsi que les exploitations agricoles, secteur dans lequel la banque est leader en Wallonie. À la tête d’une équipe de 160 collaborateurs, répartis sur une dizaine de centres spécialisés, il supervise près de 7 milliards d’euros d’encours de crédits pour le compte d’environ 15.000 clients.
À ce poste, l’ordre de mission de Nicolas Charlier est clair : augmenter de 20% la part de marché de la banque dans les trois années à venir. Un cap ambitieux, mais déjà bien engagé. “Après cinq mois, nous sommes dans les clous”, situe d’emblée Nicolas Charlier, qui ajoute qu’il faut y voir le résultat d’une double proximité : une fine connaissance du tissu économique local, combinée à un accès direct à un réseau international s’appuyant sur la force de frappe du groupe KBC.
“Nos décisions se prennent dans les agences dédiées aux entreprises ou ici, au siège de la banque, à Namur, mais toujours en lien avec la réalité du terrain. Lorsqu’un client wallon souhaite construire un site de production en Inde, par exemple, le même dossier est suivi de bout en bout, avec un relais local en Inde qui connaît les spécificités du pays, oriente vers les bons interlocuteurs, et facilite la mise en œuvre.”
Regain d’optimisme
Au-delà de cela, quelles sont les tendances que Nicolas Charlier observe actuellement dans le monde des PME et des entreprises corporate en Wallonie ? Dans un contexte international tendu, perçoit-il un ralentissement de la demande pour des crédits ? Certains projets sont-ils mis en pause ou, au contraire, l’activité reste-t-elle soutenue ? Une chose est certaine et saute aux yeux du banquier : “On perçoit un regain d’optimisme chez les entrepreneurs wallons depuis les élections. Il y a une réelle attente vis-à-vis du nouveau gouvernement, perçu comme prêt à soutenir l’entrepreneuriat.”
“On perçoit un regain d’optimisme chez les entrepreneurs wallons depuis les élections.” – Nicolas Charlier
Même si les défis restent bien présents, à commencer par la complexité administrative. “C’est une plainte récurrente lors de nos échanges sur le terrain, prolonge-t-il. L’image est parlante : un entrepreneur liégeois m’a récemment montré une photo prise pour un dossier de permis… Sa table croulait sous une vingtaine de classeurs. La paperasserie continue d’alourdir inutilement les démarches.”
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Au même titre que la charge administrative jugée excessive, les tensions internationales – de la guerre commerciale lancée par Donald Trump au conflit en Ukraine, en passant par l’escalade entre l’Iran et Israël – ne sont pas absentes des conversations.
“Les chefs d’entreprise wallons sont conscients qu’ils doivent assurer la pérennité de leur activité à moyen et long terme. On les pousse donc à se poser les bonnes questions. Que se passe-t-il si une matière première devient indisponible ? Peut-on adapter le processus de production ou développer un produit alternatif qui permettrait de mieux diversifier l’approvisionnement ? Ces échanges stratégiques sont devenus incontournables. Ce sont des discussions qui vont bien au-delà de simplement ‘Je vous fais un crédit d’investissement sur cinq ans, à tel taux’, etc. C’est d’ailleurs un rôle que j’assume depuis mes débuts comme chargé de relations PME, et c’est sans doute ce que je trouve le plus valorisant dans notre métier : être perçu par nos clients non pas comme un simple dispensateur de crédits, mais comme un véritable partenaire. Ce qui est particulièrement vrai dans le segment des PME, où les dirigeants ont souvent ‘la tête dans le guidon’.”
“De fait, soutient Nicolas Charlier, notre valeur ajoutée, c’est justement de prendre ce temps avec eux pour sortir de l’opérationnel, les aider à prendre du recul et réfléchir plus largement : leur entreprise est-elle future-proof ? Quelles sont les menaces ou les opportunités sur leur marché à moyen terme ? Au-delà du taux ou des conditions d’un crédit, c’est cette capacité à nourrir une réflexion stratégique qui fait, selon moi, toute la différence”, complète le dirigeant de CBC.
Concurrence accrue
Parmi les grandes tendances qui traversent actuellement le tissu économique wallon, un marché qu’il décrit comme à la fois résilient et plein de potentiel, Nicolas Charlier pointe de ce fait également la forte concurrence dont le marché fait l’objet de la part des autres grandes banques du pays (Belfius, BNP Paribas Fortis, ING). “Les autres institutions ne sont pas en reste : elles quadrillent également la Région, observe-t-il. Loin de l’image parfois un peu morose ou déprimante que l’on peut avoir de la Wallonie, le marché y est en réalité dynamique et suscite un réel intérêt. Il y a de belles réussites, de vraies success stories en Wallonie qui attirent l’attention des banquiers.”
Une dynamique qui se traduit par une concurrence forte et palpable, que ce soit sur les segments traditionnels ou plus spécifiques, comme la transition des entreprises familiales.
“Sur ce dernier créneau, la compétition est particulièrement vive, note Nicolas Charlier. Cette rivalité se manifeste également sur le terrain du financement, et donc des taux d’intérêt qui sont appliqués. Depuis plusieurs années, nous avons évolué dans un contexte de taux négatifs, ce qui imposait aux banques de compenser des pertes sur une partie du bilan par des marges plus élevées sur les crédits. Aujourd’hui, cette donne a changé : la remontée des taux nous permet désormais de générer des revenus positifs des deux côtés du bilan. Cela nous donne davantage de marge de manœuvre dans notre politique de tarification. Nous pouvons ainsi proposer des crédits avec des marges plus faibles, tout en restant rentables, ce qui intensifie encore la concurrence. En somme, même s’ils sont à la baisse, le retour des taux d’intérêt en territoire positif a modifié profondément le paysage concurrentiel du crédit bancaire, renforçant la pression entre les acteurs du marché, notamment en Wallonie”, conclut Nicolas Charlier.