Les porteurs belges de certificats Triodos vont en justice

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Plus de 250 actionnaires de la banque néerlandaise contestent devant la justice belge le nouveau système de vente et d’achat de ses certificats.

C’est une histoire très particulière dans laquelle se débattent 43.000 porteurs de certificats, dont 7.000 à 8.000 Belges, de la banque Triodos. Pendant 40 ans, la banque a organisé un marché pour ses “actionnaires”, c’est-à-dire ses porteurs de certificats. Elle assurait la vente et l’achat de ces titres à leur valeur comptable, laquelle progressait sagement d’année en année. Pour assurer ce marché, “la banque disposait d’un buffer, une réserve qui lui permettait de pouvoir payer les vendeurs s’ils étaient plus nombreux que les acheteurs et de recevoir du surplus s’il y avait plus d’acheteurs”, précise Bernard Poncé, courtier en produits financiers de la région de Namur et fondateur de Trioforum, le syndicat de défense des détenteurs de certificats.

Le covid s’en mêle

Mais voilà qu’arrivent la pandémie et les secousses boursières. En mars 2020, Triodos gèle les transactions sur ses certificats après avoir utilisé 20 millions sur les 28 que contenait son buffer. Triodos se justifie: “de nombreux investisseurs ont voulu vendre leurs certificats au même moment (…). Le système de négociation interne de la banque, qui avait bien fonctionné pendant plus de 40 ans, avait littéralement atteint ses limites”. Quelque temps plus tard, en juin, la banque décide d’augmenter ce buffer à 36 millions, mais les transactions sont toujours suspendues.

“Il était impossible d’absorber l’arrivée massive de certificats d’actions.”

La même année, après publication de bons résultats semestriels fin août, Triodos relance les négociations sur les certificats. Elle accompagne cette opération d’une émission de nouveaux certificats, à 84 euros le titre. Cependant, quand la cotation reprend le 13 octobre 2020, les vendeurs sont encore très nombreux. Et en janvier 2021, la cotation est à nouveau gelée. “Nous avons dû nous rendre à l’évidence: il était impossible d’absorber l’arrivée massive de certificats d’actions”, explique Triodos, qui ajoute “nous avons alors entrepris de chercher des alternatives adéquates pour arriver à la solution de la plateforme multilatérale de négociation.”

Fausse solution?

La solution finalement trouvée s’appelle Captin. Elle est annoncée à la Noël 2021. C’est une plateforme de négociation externe, basée aux Pays-Bas. Les certificats n’y sont toutefois négociés qu’à partir du mois de juillet de cette année. Pendant deux ans et demi, donc, les actionnaires de Triodos ont été dans l’incapacité de céder leurs titres. En annonçant en 2021 que désormais les transactions allaient s’effectuer sur une plateforme extérieure, Triodos fixe aussi une nouvelle valeur à ses certificats. Une valeur dite “économique”, à 59 euros, bien inférieure donc au prix d’émission en 2020.

Nous sommes en juillet de cette année lorsque les certificats Triodos peuvent enfin être négociés sur Captin. Mais le cours s’effondre dès le départ et ne remonte toujours pas. Le 18 octobre, les certificats s’échangeaient à 27 euros.

“Reprendre la négociation après une longue période de suspension peut prendre un peu de temps, justifie Triodos. Surtout au début, les prix pourraient être soumis à d’importantes fluctuations. De plus, on ne peut pas exclure que certaines enchères n’aboutissent à aucune transaction, par exemple en raison d’une offre insuffisante. Le fait que nous rétablissions l’option de négociation permet toutefois aux détenteurs et détentrices de certificats d’actions de décider librement de vendre ou d’acheter des certificats, ce qui est en soi une avancée significative.”

Attaque en justice

Avancée? Ce n’est pas l’avis de nombreux actionnaires belges, dont 250 environ se sont regroupés sous la bannière de Trioforum et ont demandé à l’avocat Laurent Arnauts (SQ-Watt Legal) de défendre leurs intérêts. Car la solution Captin n’est pas vraiment la panacée. D’abord parce que le marché est illiquide: “A peine 30% des détenteurs de certificats sont inscrits et les transactions représentent plus ou moins 0,15% du capital de la banque”, remarque Bernard Poncé.

LAURENT ARNAUTS
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“La procédure est complexe, souligne Laurent Arnauts. Il faut d’abord ouvrir un compte client chez Captin, puis ouvrir un compte de trading, ce qui oblige les détenteurs de certificats belges à déclarer au fisc belge un compte à l’étranger. De plus, comme Captin n’a pas de licence bancaire, il exige que le compte de trading soit approvisionné avant de passer un ordre d’achat. Si l’ordre ne passe pas, – et comme le marché n’est pas transparent, c’est une grande possibilité – Captin renvoie l’argent sur le compte originaire.”

Cette procédure n’attire évidemment pas les investisseurs. “Avec très peu de volumes échangés, le cours est extrêmement volatile, avec des soubresauts de plus de 50% de semaine en semaine, ce qui est sans précédent pour une action bancaire”, observe Laurent Arnauts, qui ajoute que le carnet d’ordres est peu transparent. “Il y a une enchère une fois par semaine, détaille-t-il. Sur le site de Captin, vous trouvez les 10 meilleures offres de ventes et d’achat mais elles ne concernent parfois qu’un seul titre. Lorsque vous devez passer un ordre, vous jouez au vogelpik: les ordres extrêmes monopolisent l’écran et vous ne pouvez pas voir où se situe le centre de gravité autour duquel gravitent l’offre et la demande.”

“Les certificats Triodos sont un produit financier totalement inadéquat pour le grand public.”

Manque de transparence, illiquidité, volatilité, effondrement de la valeur… “Tout ceci me fait conclure que les certificats Triodos sont un produit financier qui est aujourd’hui totalement inadéquat pour le grand public, ajoute l’avocat. C’est un produit à haut risque, ingérable pour une personne qui n’est pas avertie.”

Justice saisie

Plusieurs procédures sont en cours aux Pays-Bas. Mais les actionnaires belges viennent de décider de saisir aussi le tribunal de l’entreprise de Bruxelles. Leurs arguments? Triodos s’est rendu coupable d’un abus de droit. “Triodos a changé les règles, a mis fin unilatéralement à un processus de négociation des certificats qui a bien fonctionné pendant 40 ans, explique Laurent Arnauts. Nous demandons simplement à la banque d’exécuter ses anciennes obligations et de racheter les certificats à la valeur comptable et les remettre sur le marché à cette même valeur. Triodos peut répondre qu’elle avait le droit de modifier le processus mais la banque ne pouvait pas utiliser ce droit pour créer un dommage disproportionné à une partie adverse. Or, c’est ce qui se passe.”

Laurent Arnauts estime aussi qu’il y pourrait y avoir dol. Car il apparaît des procédures intentées aux Pays-Bas que la banque a commencé dès 2017 à se poser des questions en interne sur son marché de certificats, craignant le risque que pourrait provoquer un mouvement de vente panique en cas de crise. “Or, Triodos a continué à vendre allègrement des certificats à leur valeur comptable entre 2017 et 2020, alors qu’elle était consciente d’un problème”, souligne Laurent Arnauts.

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