Bruno Colmant

Les monnaies digitales d’État seront plus transparentes dans leur détention et utilisation

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Les États considèrent ces cryptomonnaies avec scepticisme, mais sans oppression : elles sont décentralisées et leur échappent. Ils pourraient en bannir le négoce, mais ce serait très complexe, voire vain, puisque le bitcoin, par exemple, est consubstantiel à la sécurisation de transactions basées sur une technologie dont les avancées technologiques sont incontestables.

Cela étant, les États ne tolèrent jamais qu’une monnaie concurrence celle qu’ils émettent, car c’est dans cette dernière qu’ils lèvent l’impôt et s’endettent. C’est incidemment la raison pour laquelle les États décrètent qu’une monnaie a cours légal. Le cours légal s’applique à la monnaie en circulation dans un pays et signifie que cette monnaie ne peut être refusée en règlement d’une dette.

Les États vont lancer leur cryptomonnaies, qu’on qualifie de monnaies numérisées d’Etat, rassemblées sous l’acronyme CBDC pour Central Bank Digital Currency. La Chine est, à cet égard, très avancée. Évidemment, les monnaies ne seraient alors plus cryptées, mais transparentes dans leur détention et utilisation. Leur production serait centralisée et perdrait l’anonymat. Dans ce scénario (certes lointain et indécis), la monnaie serait traçable et emporterait son historique de transactions. Elle porterait cours légal.

Au travers des banques commerciales (dont la fonction d’intermédiation monétaire serait amoindrie), il devrait être possible d’ouvrir un compte, en nos noms individuels, auprès de la BCE. Il est question d’une première limite de 3.000 euros par déposant, mais il est intuitif qu’un jour, tous nos dépôts puissent être ouverts à Francfort.

En effet, sauf à imaginer de multiples cours de change entre les euros eux-mêmes, un euro déposé auprès de la BCE ne pourra pas coexister très longtemps avec des euros “moins sûrs” déposés auprès de diverses banques commerciales, dont le risque de défaillance n’est jamais inexistant, selon le vieil adage que la loi de Thomas Gresham selon lequel la mauvaise monnaie chasse la bonne. À terme, la garantie de 100.000 euros sur les dépôts deviendrait superfétatoire. Quel serait le taux d’intérêt sur ces euros numérisés ? Il serait nul puisqu’il n’y a pas d’intérêt sur la monnaie papier qui est, elle aussi, émise par la BCE. Le taux d’intérêt de ces euros numérisés serait, à tout le moins, le plancher des taux d’intérêt offert par tout autre intermédiaire financier.

Cette renationalisation de la monnaie (à l’opposé des cryptomonnaies décentralisées) permettrait à la BCE de moduler le rythme d’octroi de crédits dans toute l’économie. Mais il y a plus : si seuls des euros numérisés existaient, chacun d’entre eux, fondé ou pas sur la technique de la blockchain, pourrait hypothétiquement être tracé. Dans un monde orwellien, il serait possible d’individualiser la fiscalité selon chaque déposant, voire de particulariser autoritairement le prix et la consommation de certains biens et services. Pour des raisons de respect de la vie privée, la BCE a annoncé que la création de l’euro numérisé n’entrainerait pas la disparition des espèces. Le taux d’intérêt pourrait temporairement être adapté selon les phases conjoncturelles. En un mot, la puissance des outils de la politique budgétaire et monétaire serait presque illimitée.

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