Les dessous du “bon Van Peteghem”

Le bon d’Etat permet au ministre des Finances de montrer en fin de législature qu’il sert bien à quelque chose... © belga image
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Véritable feuilleton économique de l’été, le lancement du nouveau bon d’Etat à un an par le ministre des Finances s’est transformé en un incroyable rush des épargnants. Voici comment.

Mardi 22 août, roulement de tambour. Après deux mois de suspense, les conditions finales du nouveau bon d’Etat vont enfin être connues. Sera-ce 2,7%? Plus? Moins? Le verdict tombe à 8 heures: 2,81% net. Soit beaucoup plus que tous les comptes d’épargne. Même le livret le plus rémunérateur du marché, le compte Vision Max de Santander Fidelity qui offre 2,5%, est battu.

Vincent Van Peteghem peut avoir le sourire. Lui qui avait annoncé au début du mois de juillet l’émission d’un bon d’Etat doté d’un rendement particulièrement attractif, c’est désormais chose faite. Les banques n’ont qu’à bien se tenir. Il va leur falloir relever de manière conséquente la rémunération de l’épargne…

Immense succès

En dépit de hausses de taux annoncées en ordre dispersé, cette rémunération offerte par la plupart des banques sur le livret reste en effet depuis des mois à un niveau jugé trop bas par les épargnants, frustrés par plusieurs années de taux plancher et une épargne qui rapporte si peu alors que tout augmente.

La preuve? Au moment d’écrire ces lignes, le vendredi 25 août, l’Agence fédérale de la Dette, qui coordonne l’opération pour le compte de l’Etat, organisait sa première conférence de presse pour annoncer les premiers chiffres de souscription. Résultat: c’est la ruée. Vingt-quatre heures après le lancement de l’opération, près de 4 milliards étaient déjà récoltés. Du jamais vu dans l’histoire financière du pays! Pour mémoire, en 2011, le bon “Leterme” avait permis à la Belgique de lever 5,7 milliards auprès des citoyens.

Il faut dire que notre grand argentier a mis tout son poids dans la balance pour garantir un certain succès à l’opération, allant jusqu’à offrir un précompte mobilier réduit temporairement de moitié, à 15%, pour booster le rendement. Un beau cadeau… Que le CEO de KBC Johan Thijs a été le premier à dénoncer lors de la présentation des résultats du premier semestre du bancassureur, début du mois d’août.

Pour celui qui occupe aussi le poste de président de la fédération du secteur financier (Febelfin), il n’est en effet pas correct d’attribuer un précompte réduit au nouveau bon d’Etat. Selon lui, des produits de placements similaires tels que le compte à terme (soumis à un précompte de 30%) doivent bénéficier de la même fiscalité.

L’Etat a-t-il voulu limiter la concurrence? L’avenir le dira. Le précompte réduit de 30 à 15% pourrait être contesté et le rendement chuterait alors de 2,81% à 2,31%. Plus largement, abonde Nicolas Claeys chez Testachats, “chacun devrait pouvoir placer son argent en fonction de son profil d’investisseur” et “pas en fonction des avantages fiscaux liés à tel ou tel produit”.

Par ailleurs, un bon d’Etat à un an ne ressemble pas vraiment à un livret d’épargne. Dit autrement, “l’initiative du ministre ne résout pas tous les problèmes que nous soulevons depuis des mois, insiste le député fédéral Ecolo Gilles Vanden Burre. Tout le monde n’est pas nécessairement en capacité de bloquer son argent pendant un an”.

Gilles Vanden Burre
Gilles Vanden Burre © Getty Images

Sur un livret d’épargne, il est possible en effet de retirer tout ou partie de son argent à n’importe quel moment (en perdant la prime de fidélité). Si un bon d’Etat peut être revendu sur le marché avant l’échéance de son remboursement, il vaut mieux toutefois le conserver pendant un an. “Car son prix peut varier à la hausse comme à la baisse au cours de sa durée, en fonction de l’évolution des taux d’intérêt depuis son émission, avec une petite perte à la clé si les taux ont encore grimpé entre-temps”, rappelle Nicolas Claeys.

Cette pseudo-ressemblance avec le compte d’épargne n’a toutefois pas empêché un énorme ramdam médiatique. On peut même parler de campagne de pub gratuite. Tous les médias en ont parlé en long et en large durant l’été alors que ce nouveau bon rapporte moins que l’inflation et que d’autres placements sûrs rapportent autant. Que dire aussi des longues minutes d’antenne accordées au ministre par Radio 1 en Flandre pour lui permettre de dévoiler les conditions de l’offre le matin du 22 août. N’oublions pas non plus l’efficace communication de l’Agence de la Dette, habituellement très discrète, qui a tenu une conférence de presse chaque jour pour faire le point sur l’évolution des souscriptions.

Soupçon d’entente

Autre coup de pouce: pas moins de 13 banques ont été sélectionnées pour distribuer le nouveau bon auprès du grand public. Elles se seraient même mises d’accord avec l’Etat pour qu’elles ne relèvent pas les taux de leurs produits d’épargne pendant la période de souscription, prévue du 24 août au 1er septembre.

C’est du moins ce que croient savoir plusieurs médias flamands selon lesquels un accord aurait été passé entre les banques participant à l’opération et l’émetteur (l’Etat) pour ne pas entrer en concurrence avec ce dernier. L’information est tombée dans la matinée du mercredi 23 août, à la veille du lancement de l’émission.

Faux! ont toutefois répondu rapidement le cabinet du ministre des Finances et Febelfin. Rien n’empêche les banques de relever leurs taux sur les livrets d’épargne ou les comptes à terme pendant la durée de l’opération. Seuls les bons de caisse sont concernés par ce gentlemen’s agreement entre l’Etat et les banques.

Quelques petites enseignes comme Argenta et Beobank ont d’ailleurs réagi en relevant les conditions sur leurs comptes à terme à un an au même niveau que celui des nouveaux bons d’Etat. Pas sûr pour autant que Vincent Van Peteghem pourra se targuer d’avoir fait bouger les banques. Elles ont trop de dépôt. “Il y a un manque de concurrence sur le marché bancaire en Belgique qui se répartit entre quatre gros acteurs”, insiste Gilles Vanden Burre.

“On a l’impression que les banques font le gros dos en attendant que l’orage passe.”

Force est en effet de constater que le gouvernement n’est pas parvenu jusqu’ici à contraindre les grandes maisons (BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING) d’octroyer une rémunération sensiblement plus élevée aux épargnants. Si des hausses de taux ont été annoncées ces dernières semaines, les rendements offerts restent inférieurs au taux du marché (0,50% sur le compte de base chez BNPP Fortis).

“En réalité, note Nicolas Claeys, les banques y sont allées à reculons. Elles ont avancé un tas d’arguments tels que la stabilité du système financier belge pour se justifier. Elles ont aussi utilisé une série d’artifices pour limiter l’impact de ces hausses sur les taux offerts, via notamment la prime de fidélité dont on sait qu’elle joue avec retard.” D’où ce nouveau bon d’Etat et cette nouvelle tentative pour imposer une meilleure rémunération de l’épargne.

Le beau rôle

“Mais rien ne dit que cela aura un impact, poursuit l’expert de Testachats. Au contraire, on a plutôt l’impression que les banques font le gros dos en attendant que l’orage passe.” C’est-à-dire jusqu’aux prochaines élections, pour échapper ainsi à une initiative politique qui les obligerait à se montrer plus généreuses envers les épargnants.

“L’initiative du ministre n’enlève rien à la nécessité de légiférer.”

C’est que les élections ne sont plus très loin, en effet. Dans ce contexte, l’ovni médiatique qu’est le bon d’Etat permet à notre ministre des Finances de montrer en fin de législature qu’il sert à quelque chose. Certes, Vincent Van Peteghem n’a pas fait cavalier seul. Gilles Vanden Burre salue l’initiative de notre grand argentier. “C’est très positif, mais c’est surtout un signal aux banques, avance-t-il. Il n’est pas correct que les taux pratiqués par les quatre grandes banques sur les livrets d’épargne restent autour d’un pour cent. Or, ces mêmes banques, quand elles placent leur argent à la BCE, obtiennent 3,75%.”

Mais, ajoute-t-il, l’initiative du ministre n’enlève rien à la nécessité de légiférer afin de forcer les banques à augmenter leurs taux pour les épargnants dans un contexte de hausse des taux d’intérêt importante sur les marchés internationaux: “Nos propositions visant à lier de manière automatique le taux du livret au taux de dépôt de la BCE seront discutées dès la rentrée parlementaire de mi-septembre en commission des Finances”.

C’est que Vincent Van Peteghem s’est adjugé le beau rôle. “La campagne est lancée et le ministre a maintenant un solide argument à mettre en avant auprès des épargnants qui sont aussi ses électeurs”, glisse Nicolas Claeys. Le livret d’épargne est en effet un produit très populaire qui totalise 300 milliards d’euros. Voler au secours des épargnants, à défaut d’avoir réussi à relever le taux minimum sur les comptes d’épargne, est un bon moyen de redorer son blason.”

On se soucie du portefeuille des citoyens tout en faisant oublier ses difficultés (trou budgétaire, échec de la réforme fiscale, etc.). Quitte à concurrencer son propre produit, à savoir le compte e-Depo du SPF Finances, dont le taux d’intérêt (brut) a été bloqué à 2,50% par le ministre lui-même. Histoire ici aussi de limiter la concurrence et mettre toutes les chances de son côté?

Il est vrai que le succès du bon d’Etat pose une série de questions restées jusqu’ici sans réponse. Officiellement, il s’agit de donner un coup de pied dans la fourmilière du secteur bancaire. Et après? L’Etat peut-il concurrencer impunément les banques avec une fiscalité favorable? A quoi vont servir les milliards récoltés? Où est le projet? Vise-t-on simplement à refinancer la dette à moindre coût? Faut-il déjà s’attendre à un bon d’Etat à un an bis?

Un signal au marché

C’est clair, “il s’agit plus d’une opportunité à court terme qu’un vrai plan à long terme”, concède Gilles Vanden Burre. Dommage. On se consolera en se disant qu’un message clair a été envoyé au marché et aux agences de notation à l’heure où la hausse des taux d’intérêt met les finances du pays en danger. Malgré un endettement excessif, la Belgique démontre une fois de plus qu’elle n’a aucune difficulté à se financer.

On le savait déjà, mais toute cette saga du “bon Van Peteghem”, qui est d’ailleurs loin d’être terminée, renforce la conviction: si la Belgique est désargentée, les Belges disposent d’un portefeuille toujours aussi bien garni.

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