Le Royaume-Uni, le nouveau Lehman Brothers ?

Au pied de l'immeuble de Lehman Brothers, les employés défilent avec leurs cartons.

En quelques jours, la Banque d’Angleterre (Bank of England, ou BOE) a été obligée d’effectuer un tournant à 180 degrés pour rattraper les effets dévastateurs du programme budgétaire et fiscal du nouveau gouvernement de Liz Truss.

Pour essayer d’endiguer les ventes paniques d’obligations et la chute de la livre sterling, la BoE a décidé hier mercredi de mesures d’urgence, consistant à émettre 65 milliards de livres sterling de nouvelle monnaie en achetant sur le marché des obligations d’État britannique (à raison de 5 milliards par jour pendant 13 jours). Une décision rendue nécessaire par les ventes paniques opérées depuis la fin de la semaine dernière sur le marché des obligations d’État, des ventes qui ébranlent fortement la solidité des fonds de pension britanniques, qui détiennent énormément d’obligations d’État à long terme. Or, la chute des cours de ces obligations obligent les fonds de pension à renflouer leur capital pour compenser ces pertes comptables, et ces fonds risquaient de devenir insolvables alors qu’ils constituent le principal pilier du système de retraites du pays.

“U-turn”

Cette nouvelle injection de liquidités va toutefois compliquer un peu plus encore la tâche de la banque centrale, qui était justement en train de réduire la masse d’obligations en sa possession pour réduire la masse de liquidités en circulation dans l’économie britannique afin de combattre l’inflation. Or voilà la BoE obligée d’opérer un “U-turn”. L‘opération semble avoir réussi puisque les obligations d’État britanniques à 30 ans, dont le rendement avait atteint un moment 5,1% (le plus hait rendement depuis vingt ans) sont retombée en dessous de 4% hier mercredi ? Mais ce jeudi matin, ils repartaient à la hausse.

Mais pourquoi un tel vent de panique ?

La première ministre Liz Truss a plaidé de multiples fois contre la politique monétaire traditionnelle. La cause première est l’annonce, en fin de semaine dernière par Kwasi Kwarteng, le chancelier de l’Échiquier du gouvernement de Liz Truss, d’un paquet fiscal basé sur une réduction d’impôt de 45 milliards de livres ciblant essentiellement les classes les plus élevées, mesures non financées par de nouveaux impôts ou de nouvelles coupes budgétaires. Deux décisions phares dans ce programme d’allègement qui représente 1,5% u PIB : les bonus octroyés par les institutions financières ne seront plus plafonnés, et le taux marginal d’impositions de 45% qui frappait les revenus les plus élevés est supprimé. Selon les estimations de l’Institute for Fiscal Studies, i l’on prend l’ensemble des mesures du paquet, seuls les ménages gagnant plus de 150.000 livres par an seront gagnants. Mais selon Liz Truss, le ruissellement des revenus des plus riches vers les moins riches, soutenu par cette politique fiscale, devrait faire repartir l’économie britannique. Elle table sur un retour à une croissance réelle de 2,5%, ce que le pays n’a plus connu depuis la grande crise financière de 2008.

Cadeau fiscal

Si les marchés ont très mal réagi, c’est parce que certains se souviennent qu’un cadeau fiscal d’une ampleur comparable, distribué en 1972, avait fait flop : ces largesses avaient dopé l’inflation et au final, la Banque d’Angleterre avait dû resserrer davantage la vis.

Aujourd’hui, la réédition de cette politique suscite un vent de protestations d’un peu tous les côtés : le Fonds monétaire international a demandé à Liz Truss de “réévaluer” sa politique. Un professeur de la London School of Economics estime que ces dispositions vont fragmenter un peu plus encore la société britannique. Et l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, accuse ces “trussonomics” de saper les institutions économiques du pays et d’aller à l’encontre de la politique de la banque d’Angleterre et que décider d’un tel budget partiel (autrement dit, ne pas adosser ces réductions d’impôts à de nouvelles mesures pour compenser la dépense), “dans un contexte déjà difficile pour l’économie mondiale et les marchés financiers, a mené à des soubresauts plus importants encore dans ces mêmes marchés”.

L’ancien prix Nobel d’Economie, Paul Krugman, a tenté de clamer la panique sur Twitter : “Oui les Trussonomics sont stupides. Mais il semble y avoir actuellement beaucoup d’hyperventilation. Non, cela ne provoquera pas de crise mondiale – Bon Dieu, la Grande-Bretagne ne représente que 3,2 % du PIB mondial. Et si les marchés britanniques sont en pagaille, nous sommes loin de 1976 (année d’une crise importante de la livre britannique et une inflation touchant les 25%, NDLR). Ressaisissez-vous”.

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