Le ratio vert des banques, un fameux bazar
La mise en œuvre depuis un an du “ratio d’actifs verts” inquiète les banques commerciales, mais aussi la Banque européenne d’investissement, qui se targue pourtant d’être la banque du climat. Quel est le problème ? Explication.
Si l’on voulait avoir un cas d’école sur le cafouillage et l’inefficacité que produit la multiplication des réglementations européennes, le débat lancé depuis des mois sur le “Green Asset Ratio” (GAR) en offre une parfaite illustration. Pour essayer de flécher les investissements en direction de projets verts et durables, l’Union européenne a créé plusieurs outils.
Il y a la directive CSRD, qui oblige les entreprises de plus de 50 millions de chiffre d’affaires et de plus de 250 personnes à publier leurs données en matière de durabilité. Il y a la directive CS3D, plus contraignante, qui oblige les grandes entreprises à avoir un “devoir de vigilance” en matière de durabilité et à agir en conséquence. Enfin, côté bancaire, il y a le GAR, le “Green Asset Ratio”, que les banques doivent publier depuis l’an dernier et qui indique la proportion d’actifs verts dans leurs portefeuilles de crédits.
Il y a vert et vert
Question : c’est quoi, un actif vert ? Réponse : c’est un actif qui est repris dans la “taxonomie”, cette classification européenne des activités en fonction de leur impact. Un classement loin de susciter l’unanimité : les investissements dans le gaz (qualifié d’énergie de transition) sont, par exemple, considérés comme verts.
La mise en œuvre des deux directives – CSRD et CS3D – suscite déjà pas mal de débats. Ainsi, la CS3D, censée concerner uniquement les grandes entreprises, touche aussi dans les faits les PME, car les grandes entreprises demandent souvent à leurs fournisseurs des données sur le sujet. Ce qui finalement ajoute un handicap compétitif de plus à des PME européennes qui en ont déjà beaucoup.
Mais ces derniers jours, c’est le GAR qui a fait l’objet des plus vifs débats. Tout a commencé par la publication, dans le Financial Times, d’e-mails confidentiels de la Banque européenne d’investissement (BEI), dans lesquels Jean-Christophe Laloux, le directeur général et chef des opérations de l’institution, s’inquiète d’un possible “désastre réputationnel”. La BEI se targue, en effet, d’être “la banque du climat”. En 2023, elle a octroyé 49 milliards d’euros de financement à des projets de durabilité environnementale et d’actions en faveur du climat. Et si les chiffres de 2024 ne sont pas encore disponibles, ils devraient être du même acabit.
Le problème est que ce qui est vert pour la BEI ne l’est pas nécessairement pour les réglementations européennes. Ainsi, ce qui chipote particulièrement Jean-Christophe Laloux, c’est que si la BEI avait été obligée d’adopter le GAR, comme les banques commerciales, elle n’aurait que 1% d’actifs verts dans son portefeuille. Certes, le ratio des banques commerciales n’est pas très élevé non plus puisqu’il tourne autour de 2% en moyenne, mais pour la BEI, passer de 50% à 1% constituerait une claque pour sa réputation.
Grand écart
Il y a des explications techniques à ce grand écart. Le GAR se rapporte au portefeuille d’actifs, alors que le ratio de la BEI concerne le flux d’investissements. Comme la BEI n’a abandonné le financement d’investissements fossiles qu’en 2021, elle conserve donc encore une série d’anciens prêts dans son portefeuille. Ensuite, expliquent des sources bancaires, “le GAR ne capture pas tous les investissements verts. En fait, il exclut les investissements des PME. Il exclut les investissements dans des projets en dehors de l’Europe. Et dans l’ensemble, il ne couvre pas le financement des souverains (les États, ndlr)”.
“En utilisant uniquement les ratios d’actifs verts comme critère, vous ne capturez pas la diversité complète des investissements verts. D’autant qu’en plus de ces activités exclues, il y en a d’autres qui ne sont que partiellement incluses”, ajoutent ces sources. Par exemple, il y a un grand flou concernant les prêts aux municipalités, il y a aussi une incertitude concernant les prêts aux particuliers : un prêt pour une voiture électrique comptera dans le GAR, mais pas un crédit rénovation pour sa maison.
Ces arguments avaient d’ailleurs déjà été brandis par les banques commerciales. Voici un an, la Fédération bancaire européenne avait indiqué que le GAR était inefficace, voire trompeur. “Comme de grandes parties de l’économie financées par les banques ne sont pas suivies par le GAR, celui-ci ne peut pas être considéré comme un indicateur clé pour représenter le financement de la transition verte ou comme un indicateur de progrès dans la réalisation des engagements en matière de durabilité”, soulignait alors le lobby bancaire, qui ajoutait : “Une simple comparaison des chiffres du GAR entre les banques pourrait également induire en erreur. Les caractéristiques structurelles du GAR, qui exclut une grande partie de l’économie, conduiront à des divergences dans la valeur des ratios d’actifs verts, selon le modèle d’affaires de la banque, sa base de clients et son empreinte géographique.” Par exemple, une banque spécialisée dans les crédits aux PME aurait un GAR très faible.
“En utilisant uniquement les ratios d’actifs verts comme critère, vous ne capturez pas la diversité complète des investissements verts.”
Quels effets ?
“La BEI n’est pas la seule à penser qu’il y a un besoin de simplification, indique une source proche du dossier. Il y a un besoin de peaufiner, de rééquilibrer certains des éléments techniques au sein du cadre de durabilité. C’est une question plus large qui affecte toutes les institutions financières. Cela affecte les banques et les clients. Ce n’est pas une préoccupation naïve et au niveau européen, il y a un consensus sur la nécessité de simplifier ces exigences et de trouver le bon équilibre entre les informations nécessaires aux investisseurs de leurs parties prenantes et les exigences de reporting“, ajoute cette source.
Pour l’instant, il semble que ce joli désordre n’ait pas encore d’impact sur le financement des entreprises. La BEI – on devrait le voir quand ses chiffres de 2024 seront rendus publics – continue de financer les projets verts et les PME, ainsi que des projets de finance verte en dehors de l’Union européenne. Mais si jamais le bras financier de l’UE était poussé à publier ce ratio, cela pourrait dissuader les investissements dans ce domaine. Le problème, toutefois, n’est pas tant du côté du financement des banques publiques. Après tout, le conseil de la BEI peut enjoindre la direction de l’institution à continuer à financer le même type de projets qu’auparavant. Le problème est que ce ratio, pour l’instant mal taillé, pourrait faire peser un danger important sur le financement privé, notamment des PME.
La balle semble être dans le camp de la nouvelle Commission qui, nous dit-on, est consciente du problème. Qu’en résultera-t-il ? Va-t-on réellement simplifier une réglementation complexe et qui pourrait avoir l’effet inverse à celui recherché ? Si oui, on pourrait presque croire que Mario Draghi, qui prêchait dans son rapport en faveur d’une simplification des règles européennes, a commencé à être entendu. Mais on n’en est pas encore là.
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