Le bon d’Etat, stress test pour les banques en grandeur réelle

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Avec près de 22 milliards d’euros récoltés, un record, le bon d’Etat Van Peteghem a un an est entré dans les livres d’histoire. Au plus grand déplaisir des banquiers du pays, qui posent un regard sombre sur cette concurrence jugée déloyale.

Pour comprendre l’humeur des banquiers, il faut rappeler que leur métier principal est de récolter des dépôts d’un côté et de faire du crédit de l’autre.

Une parenthèse : on a tendance à l’oublier, mais quand une banque fait du crédit, elle crée parfois de l’argent à partir de rien : lorsqu’elle prête 300.000 euros à un ménage pour acheter une maison, la banque crée, d’un trait de plume, ces 300.000 euros qui seront annulés lorsque le prêt sera remboursé. Mais tous les crédits ne reposent pas sur la création monétaire, en raison notamment des régulateurs qui désirent empêcher un emballement de la machine et garder un certain contrôle sur le crédit.

Besoin de liquidités

Une banque classique ne peut donc pas vivre sans dépôts, car elle a besoin de liquidités pour faire tourner la machine.  On l’a vu lors de la crise de 2008, lorsque les dépôts se retirent et qu’une banque n’a plus assez de liquidités, c’est la catastrophe. Car les liquidités servent à financer les crédits qui ne sont pas financé par de la création monétaire, et à payer les engagements de la banque, comme des emprunts qui arrivent à échéance ou des retraits de dépôts. Pour avoir assez d’argent en caisse, les banques s’abreuvent donc à diverses sources : institutions financières qui ont trop d’argent, entreprises qui placent leur avoir, épargnants particuliers.

Depuis très longtemps, une grande partie des dépôts des ménages est allée se loger sur le livret réglementé, dont l’encours est d’environ 300 milliards d’euros. Comme la toute grande part de l’argent qui est allé s’investir dans les bons d’Etat a été retirée du livret, les banques ont donc perdu une bonne vingtaine de milliards de liquidités d’un coup, ce qui est énorme. Retirer soudainement du secteur bancaire 7% de l’argent du livret, c’est l’équivalent d’un « stress test » grandeur nature.

Un surcoût de 600 millions

Les banques devront, si elles ne veulent pas réduire leur activité, compenser ces liquidités perdues par de nouvelles. Elles iront  les chercher auprès d’autres banques, des déposants ou auprès de la Banque nationale, prêteur en dernier recours. Le taux de refinancement de la Banque nationale est le taux directeur de la BCE, qui est de 4,25%. C’est bien plus que ce que les banques payent sur le livret. On peut faire un rapide calcul : si les banques payent en moyenne un taux de 1% sur les livrets réglementés, et si elles doivent désormais payer 4% pour récupérer cette vingtaine de milliards qui s’en est allée, elles devront débourser en frais d’intérêt 600 millions d’euros de plus sur un an.

Ce n’est pas une catastrophe. Mais il ne faudrait pas que les dépôts continuent de partir à ce rythme, car alors, le secteur aurait un vrai problème de rentabilité

Bon, au vu du bénéfice des banques belges qui a été d’une petite dizaine de milliards en 2022, ce n’est pas une catastrophe. Mais il ne faudrait pas que les dépôts continuent de partir à ce rythme, car alors, le secteur aurait un vrai problème de rentabilité : selon la Banque centrale européenne, le taux moyen appliqué par les banques belges sur leur portefeuille de crédits hypothécaires est de 3,8%, et le taux moyen des crédits aux entreprises est de 4,9%. On voit que si les banques devaient payer sur toutes leurs liquidités un taux de 4%, elles ne feraient plus de profits.

Et pour les mois qui viennent, trois scénarios sont dès lors possibles. Si les banques ne peuvent plus s’abreuver en liquidités bon marché, nous pourrions assister, soit à un renchérissement du crédit bancaire (il a déjà lieu), soit à une baisse du bénéfice des banques, soit à une baisse de l’activité de crédit, l’un n’empêchant pas l’autre. On scrutera donc avec beaucoup d’intérêt (c’est le cas de le dire) les résultats bancaires du second semestre.

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