L’avenir de Belfius plombé par l’Arizona ?


Le gouvernement De Wever veut puiser dans les bénéfices de Belfius pour financer l’effort de défense, quitte à freiner les ambitions de son CEO, Marc Raisière, désireux d’internationaliser la banque publique. Parce que l’Arizona a d’autres plans pour elle : une fusion avec l’assureur belge Ethias ? En attendant, le choix budgétaire a de quoi affaiblir l’institution au profit de ses concurrents.
Sous la houlette du gouvernement Arizona, Belfius est-elle en passe de troquer son rôle de banque publique ambitieuse pour celui de vache à lait de l’État ? Face à des besoins budgétaires croissants, notamment pour financer l’effort de défense, l’équipe fédérale envisage en effet de puiser directement dans les bénéfices de l’établissement, dont l’État est le seul et unique actionnaire.
L’idée est simple : il s’agit de pomper les dividendes versés chaque année par Belfius, particulièrement généreux ces dernières années, afin de soutenir le budget militaire. Budget militaire que le fameux accord de Pâques promet en forte hausse. On parle d’une enveloppe de 4 milliards d’euros par an. De quoi permettre à la Belgique de respecter sa contribution à l’Otan.
Si la vente des parts belges dans Belfius, BNP Paribas ou Ethias a pendant un temps été évoquée, ces recettes “one shot” n’ont donc pas séduit les partenaires de l’Arizona. Ces derniers ont préféré actionner un levier plus structurel. Exit la vente des “bijoux de famille” ! Place à une contribution récurrente de Belfius qui délivre de jolis dividendes depuis son sauvetage en 2008 par l’État.
Le gouvernement veut puiser dans les bénéfices de la banque pour booster le financement de la défense, quitte à brider ses ambitions internationales.
Super-dividende
Il est ainsi question que le groupe dirigé par Marc Raisière verse au total près d’un milliard d’euros de dividendes supplémentaires à l’État durant les deux années à venir. Outre les quelque 1,2 milliard de recettes fiscales provenant des intérêts générés par les avoirs russes gelés chez Euroclear, Belfius deviendra ainsi la principale source de financement de l’armée belge.
En plus de son dividende “ordinaire” de 444,5 millions d’euros versé au titre de l’exercice 2024, le bancassureur devra faire remonter un dividende exceptionnel de 500 millions d’euros supplémentaires cette année, portant la rétribution de son actionnaire public à 945 millions d’euros pour 2025, soit la quasi totalité du bénéfice engrangé l’an passé par Belfius. Pour 2026, l’Arizona compte également sur un super-dividende de 500 millions d’euros.
Un montant est inédit
Soyons clairs : le montant est inédit pour le pays. Mais une telle ponction est-elle bien raisonnable ? Au moment d’écrire ces lignes, rien n’était définitivement acté. Aucune demande officielle n’a jusqu’ici été adressée à Belfius dans ce dossier de la part de son actionnaire, indique la banque, qui dit vouloir “entamer des discussions avec lui dès que possible afin d’examiner les pistes possibles”.
Avec un ratio de solvabilité bien supérieur aux exigences réglementaires, le troisième réseau bancaire belge dispose, certes, d’un excédent de capital et se trouve dans une position favorable pour redistribuer la totalité de ses bénéfices, voire une partie de ses fonds propres. Mais la Banque centrale européenne (BCE), qui supervise directement Belfius, devra valider la proposition. Outre les exigences réglementaires en matière de fonds propres, il faut aussi tenir compte du contexte dans lequel Belfius opère ainsi que sa capacité à résister à des chocs. “Les différents ratios de capital et autres obligations réglementaires auxquelles une importante institution financière comme Belfius doit se conformer doivent être respectés en permanence. Le versement de dividendes exceptionnels ou la réduction du capital de la banque a, bien entendu, un impact sur ces équilibres”, plaide Belfius.
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Gros changement

Professeur à la Solvay Brussels School, Marek Hudon abonde d’ailleurs en ce sens. Selon lui, il ne faut pas sous-estimer les conséquences de cette distribution totale des bénéfices sur l’avenir de Belfius. “Il est clair que cela va réduire la marge de manœuvre de l’institution, assure-t-il. Certes, la situation du gouvernement est compliquée. Il n’y a pas de solutions facilement identifiables et de cartes facilement jouables. Les options one shot sur la table, comme la vente des parts détenues dans BNP Paribas ou une cession partielle du capital de Belfius, n’étaient sans doute pas les plus adéquates en termes de facilité et de timing dans le contexte de marché actuel, un marché dont on sait qu’il est devenu particulièrement instable vu ce qui se passe aux États-Unis.”
D’un autre côté, prolonge Marek Hudon, “on peut aussi se poser la question de l’opportunité de ces opérations one shot qui, contrairement à celle visant à utiliser les bénéfices de Belfius, créent des nouvelles problématiques et tensions qui vont perdurer dans le temps entre une logique de rendement à court ou moyen terme de nouveaux investisseurs et l’action de management public du gouvernement qui est souvent sur un plus long terme.”
“Cela va réduire la marge de manœuvre de l’institution.” – Marek Hudon (Solvay Brussels School)
À l’inverse, complète le professeur de l’ULB, “il ne faut pas sous-estimer l’impact à moyen et long terme qu’aura cette distribution supplémentaire de dividendes dans le chef de Belfius”. Parce que ces dividendes supplémentaires sont bien évidemment des moyens qui disparaissent pour assurer son développement (investissements dans le numérique, recrutement de nouveaux talents, etc.).
Contrecarrer les plans de croissance à l’étranger
Pour Belfius, cette opération budgétaire, si elle se confirme, a donc de quoi contrecarrer ses plans de croissance à l’étranger. Et pour cause, selon Marc Raisière, son CEO, la banque a atteint les limites de sa croissance en Belgique. C’est pourquoi il souhaitait ouvrir son capital à des partenaires privés. Il songeait à une internationalisation, tout en restant candidat à un éventuel rachat d’Ethias pour renforcer son pôle assurance. “Le conseil d’administration a étudié la question et a exprimé sa préférence pour un placement privé, nous disait-il, fin février, lors de la présentation officielle des résultats de la banque pour l’exercice écoulé. Cela donnerait l’occasion de faire rentrer deux ou trois investisseurs externes qui pourraient nous ouvrir des portes ailleurs.”

Il ajoutait à ce propos : “Belfius n’est plus un challenger, c’est devenu un leader sur le marché belge. Belfius ne peut plus se contenter de la Belgique. Bien sûr, l’idée n’est pas d’aller acheter un réseau d’agences bancaires en France. Non, le but est de développer des nouvelles poches de croissance à l’étranger. Belfius pourrait ainsi se lancer à l’international dans certains segments d’activité, comme le private banking ou l’assurance, par exemple.”
Moins de moyens
Les propos du CEO de Belfius sont-ils toujours d’actualité ? Pour Marek Hudon, la réponse est négative. “Même si on peut comprendre la logique du gouvernement, pour Belfius, l’option retenue, si elle se confirme, va indéniablement perturber la stratégie envisagée. C’est sans doute un coup de frein à une entrée en Bourse. Toute expansion à l’étranger est probablement remise ou terminée aussi. La banque va devenir moins attractive pour les investisseurs privés. Il faudra d’ailleurs voir comment le management va pouvoir digérer cette nouvelle donne et éventuellement adapter son plan stratégique. Et jusqu’à quel point celui-ci devra être adapté, car c’est un gros changement.”
Aux yeux des spécialistes qui connaissent bien Belfius, à l’instar de Marek Hudon, la banque ressort même carrément affaiblie du scénario voulu par le gouvernement. En plus de voir sa valeur ainsi mécaniquement réduite. “Il est clair qu’elle disposera de moins de moyens pour procéder à d’éventuels nouveaux investissements ou d’éventuelles acquisitions, notamment sur le marché belge, dit-il. À mon avis, la perspective d’un rachat d’Ethias s’éloigne.” Un scénario de fusion avec l’assureur pourtant récemment poussé par Georges-Louis Bouchez, lors d’une conférence au Cercle de Wallonie.
Au bénéfice des concurrents
Alors, question : à qui profite le crime ? L’Arizona a-t-elle d’autres plans pour Belfius, dont une fusion avec l’assureur Ethias ? Seule certitude : puiser directement dans les bénéfices du bancassureur coûte moins cher à l’État que d’emprunter sur les marchés.
“Certains ont peut-être aussi oublié que Belfius était une banque 100% publique. Elle avait comme actionnaire principal l’État, pointe Marek Hudon. C’est lui qui décide de la stratégie, et pas le management. Du coup, quand des missions d’intérêt collectif doivent être assumées, il n’est pas illogique que le gouvernement se tourne vers des acteurs publics. Et que ce soit lui qui fixe le cap. C’est d’autant plus facile aujourd’hui que Belfius, qui était positionnée jusqu’il y a peu comme à la pointe dans les politiques d’exclusion du secteur de la défense pour des motifs éthiques, l’est à présent nettement moins. Cette incompatibilité a été levée récemment avec l’assouplissement par la banque elle-même de sa politique de crédit pour les entreprises belges actives dans l’industrie de la défense et de l’armement.”
Mais plus largement, souligne Marek Hudon, “c’est tout le reste du secteur financier belge qui va profiter de la contribution pendant deux années consécutives de Belfius à l’effort de guerre. Tout simplement parce que la position de la banque est affaiblie par la décision du gouvernement alors qu’elle entre en concurrence avec de nombreux acteurs sur pas mal de segments de marché en Belgique.”
Des concurrents au premier rang desquels figure un certain KBC… qui lorgne lui aussi Ethias.
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