Le 13 mars dernier, la BCE a indiqué dans un communiqué qu’elle modifiait à partir du mois de septembre prochain « le cadre opérationnel pour la mise en œuvre de sa politique monétaire ». C’est peut-être un détail pour vous, mais pour les banquiers cela veut dire beaucoup. Car quand on creuse un peu, c’est toute la mécanique des taux d’intérêt qui est ici en jeu.
En temps normal, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas de tension dans les marchés et que l’économie fonctionne en rythme de croisière, certaines banques ont trop de liquidités par rapport à leurs affaires et d’autres pas assez. Et les banques en surplus prêtent alors à très court terme (un jour, une semaine) aux banques en demande sur le marché interbancaire à des taux qui sont déterminés par la banque centrale.
Le système du corridor
Les taux d’intérêt évoluent en effet dans un corridor fixé par la banque centrale, la banque en dernier ressort. Une banque en manque de liquidités cherche évidemment les meilleures conditions possibles et n’empruntera jamais dans le marché à un taux supérieur à celui qu’elle peut avoir auprès de la banque centrale. Quels sont ces taux ? A la Banque centrale européenne, il y a d’abord le taux des opérations principales de refinancements. Chaque semaine, les banques qui demandent des liquidités mettent en gage des obligations pour recevoir l’argent qu’elles demandent. Ce taux est aujourd’hui fixé à 4,50%. Et si une banque fait mal son calcul hebdomadaire et a un besoin urgent de liquidités qu’elle n’avait pas anticipé, elle peut aussi solliciter la facilité de prêt marginal de la BCE. Mais c’est plus cher : aujourd’hui, son taux est à 4,75%.
De l’autre côté, une banque qui a trop de liquidités ne va jamais les déposer sur un compte qui procure moins que ce qu’elle peut obtenir auprès de la banque centrale. Aujourd’hui, le taux de facilité de dépôt de la BCE est à 4%. En résumé donc, les taux sur le marché interbancaire évoluent dans un corridor fixé par la BCE et ce corridor serait aujourd’hui compris entre 4 et 4,75%. Par ailleurs, le taux directeur, celui qui va fixer l’évolution de ce corridor, est le taux des opérations principales de refinancement. Cela, dans un monde normal.
Le système du plancher
Mais depuis 2008 nous ne vivons plus dans un monde normal. Pour éviter l’effondrement du système financier et de l’économie, les banques centrales ont abreuvé les banques de liquidités. On le voit d’ailleurs aux sommes qui sont déposées par les banques européennes auprès de la BCE : 3.500 milliards d’euros sont logés auprès de la facilité de dépôt. Il y a donc trop d’argent, et pratiquement aucune banque n’a besoin d’aller s’abreuver sur le marché interbancaire. Le problème des banques est donc un problème de riches : où placer son trop plein de liquidités ? Le taux directeur, celui qui détermine le marché, est dès lors devenu le taux de la facilité de dépôt.
Cela a une grande conséquence : si le taux déterminant pour les taux à court terme est celui des dépôts auprès de la banque centrale, on passe d’un système du corridor à un système de plancher.
Toutefois, la BCE a bien conscience qu’il y a trop de liquidités. Petit à petit, elle va réduire le montant de ces liquidités excédentaires et retourner à une situation plus ou moins normale. On pourrait donc se dire que lorsque la BCE aura dégonflé son bilan et lorsqu’il n’y aura plus de liquidités excédentaires, on retournerait au système du corridor.
Mais justement, cela la BCE a décidé voici quelques jours est que, pour éviter des soubresauts comme on en a connu en 2008, elle maintiendrait toujours un système avec un léger excès de liquidités. Certes, pas autant qu’aujourd’hui, mais quand même, les banques ont la certitude de pouvoir toujours aller étancher leur soif auprès de la banque centrale. La situation normale de demain ne sera pas la situation normale d’hier. Il y aura de nouveau des banques en demande de liquidités, mais dans un système moins stressant.
Marché interbancaire
Concrètement, la décision prise ces derniers jours est de réduire l’écart entre le taux auquel la BCE prête de l’argent et le taux auquel elle rémunère les dépôts. Plus précisément, à partir du 18 septembre, l’écart entre le taux des opérations principales de refinancement et le taux de la facilité de dépôt ne sera plus que de 15 points de base (1% = 100 points de base), contre 50 points aujourd’hui, puisque l’un est à 4% et l’autre 4,50%. Mais finalement, on pourrait se demander pourquoi on ne mettrait pas le taux des opérations de refinancement au même taux que la facilité de dépôt. Tout simplement parce qu’il n’y aurait alors plus aucun marché interbancaire. Or, ce marché sert quand même de vase d’expansion pour le système monétaire. Conserver un écart, mais plus petit qu’avant, permet donc de rassurer les banques quant à leur approvisionnement en liquidités, tout en ranimant un marché interbancaire dans lequel une banque en excès pourrait prêter à une banque en demande à un taux un peu supérieur à celui qu’elle aurait à la banque centrale, et dans lequel une banque en demande de liquidités pourrait emprunter un peu moins cher qu’auprès de la banque centrale. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour les banquiers, cela veut dire beaucoup.
5 minutes pour comprendre
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici