La fin de l’anonymat pour les investisseurs en cryptos

Les plateformes vont devoir communiquer aux autorités fiscales les données de leurs clients : identité, montants investis, transactions réalisées... © Getty Images
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Avec la nouvelle directive européenne DAC 8 et l’extension des obligations de déclaration à la BNB, les détenteurs de crypto-actifs seront bientôt nus devant le fisc. Une révolution qui ouvre la voie à davantage de contrôles.

Le secret bancaire virtuel, c’est fini ! Pendant de nombreuses années, la Belgique a fait figure de havre de paix pour les particuliers investissant dans les cryptomonnaies. Mais cette époque touche à sa fin. Le gouvernement fédéral a en effet prévu une série de nouvelles mesures qui imposent encore davantage de transparence aux institutions financières. Ces dernières devront bientôt transmettre un volume accru d’informations au Point de contact central (PCC) de la Banque nationale de Belgique, le fameux registre des comptes bancaires.

En plus des comptes bancaires détenus en Belgique, ceux détenus à l’étranger par des résidents belges (en ce compris les comptes-titres), ainsi que les montants inscrits dans les contrats d’investissement et les polices d’assurance-vie, il inclura bientôt aussi désormais les comptes liés aux crypto-actifs (bitcoin, ether, etc.).

Déclaration obligatoire

Le doute n’est plus permis, en effet. L’accord de gouvernement prévoit désormais une obligation explicite de déclaration au PCC, souligne Baptistin Alaime, partner chez Tuerlinckx Tax Lawyers et avocat spécialisé dans la matière. “Il y avait par le passé une certaine controverse : jusqu’ici, certains se demandaient si un compte crypto devait être assimilé à un compte bancaire au sens de la législation existante. Le ministre des Finances avait laissé entendre que oui, en raison de la définition très large des comptes bancaires dans la loi. Mais l’interprétation restait incertaine. Aujourd’hui, la disposition légale va le prévoir”, indique l’avocat, précisant qu’il reste à voir si un formulaire spécifique tenant compte des particularités de ces comptes sera prévu.

Quoi qu’il en soit, le fisc pourra avoir accès aux comptes crypto dès qu’il dispose d’indications suffisantes de fraude fiscale, en consultant le PCC. Il pourra ensuite entamer ses investigations et envoyer une éventuelle demande de renseignements au contribuable, ce qui va se traduire par une augmentation du nombre de contrôles, assure Baptistin Alaime. “L’administration disposera directement des informations et pourra agir rapidement. Il faudra déclarer les comptes crypto ouverts sur les plateformes, ainsi que les opérations effectuées. On peut également craindre que l’administration considère qu’un contribuable qui n’a pas déclaré ses comptes crypto au PCC l’a fait dans une intention frauduleuse, ce qui pourrait entraîner des amendes allant jusqu’à 50%.”

“L’administration disposera directement des informations et pourra agir rapidement.” – Baptistin Alaime (Tuerlinckx Tax Lawyers)

Des amendes que l’on peut comparer à celles qui sont déjà imposées pour les comptes bancaires traditionnels non déclarés : lorsque le fisc reçoit une information sur l’existence d’un compte, par exemple au Luxembourg ou en Suisse, non déclaré, il présume quasi automatiquement l’intention frauduleuse.

Comme pour les banques

Mais d’ici quelques mois, il ne faudra même plus mener des enquêtes pour connaître l’identité des détenteurs de portefeuilles de crypto-actifs. La Belgique et une cinquantaine d’autres pays se sont engagés à construire un cadre d’échange automatique d’informations qui va ressembler comme deux gouttes d’eau à celui mis en place en 2014 au sein de l’OCDE (le club des pays riches) et qui a signé la mort du secret bancaire. À l’époque, les banques ont été contraintes de transmettre au fisc les informations relatives à leurs clients. Demain, les prestataires de services en cryptos devront faire de même. Grâce à la directive européenne “DAC 8”, l’administration fiscale belge sera, dès 2026, informée des transactions sur crypto-actifs réalisées par les résidents belges, ainsi que des montants impliqués.

“C’est en quelque sorte un copier-coller de ce qui existe déjà dans le monde financier traditionnel en matière d’échange international d’informations avec les systèmes CRS et FATCA qui imposent aux institutions financières l’obligation de transmettre aux administrations fiscales des informations sur les comptes, les revenus et les mouvements de leurs clients, explique Baptistin Alaime. Concrètement, pour un compte détenu au Luxembourg, par exemple, la banque transmet ces informations à l’administration fiscale luxembourgeoise, qui les communique ensuite à l’administration fiscale compétente du pays de résidence du contribuable, de manière annuelle. La DAC 8 reprend ce modèle, mais l’applique aux plateformes d’échange de cryptomonnaies”, prolonge-t-il.

Nom, adresse, etc.

En pratique, les plateformes crypto vont donc être tenues de communiquer aux autorités fiscales de leur pays toute une série d’informations relatives aux comptes détenus par des résidents fiscaux européens. “Elles devront transmettre chaque année des informations sur l’identité des clients (nom, adresse, date de naissance, résidence fiscale, numéro fiscal), les types de crypto-actifs utilisés, les montants (achetés, vendus, reçus ou envoyés), la valeur des transactions en euros, ainsi que les transferts vers ou depuis des portefeuilles externes”, précise Julien Vallet, fondateur de la plateforme d’échange Finst.

Il ajoute que le déploiement de DAC 8 entraînera une charge administrative importante pour les acteurs de la planète crypto : “Il faudra adapter les systèmes internes, mettre à jour les procédures KYC, former les équipes, assurer la conformité RGPD et établir des systèmes de reporting automatisés. Cela représentera un investissement significatif en temps, en ressources humaines et en technologies.”

Davantage de contrôles…

Combinée à l’obligation de transmettre les comptes de crypto-actifs au PCC, la directive DAC 8 marque en réalité la fin de l’anonymat pour les détenteurs de cryptomonnaies. “Actuellement, explique Baptistin Alaime, il y a très peu de contrôles, sauf dans des cas très spécifiques, par exemple lorsqu’une banque signale certaines opérations à la CTIF (Cellule de traitement des informations financières, organe qui traque l’argent sale en Belgique, ndlr), qui les transmet ensuite au parquet ou à l’administration fiscale.

Jusqu’à présent, l’administration fiscale ne disposait que de très peu d’informations sur les transactions crypto opérées via les plateformes, ce qui compliquait fortement les contrôles. Avec DAC 8, les contrôles seront facilités puisque l’administration recevra automatiquement ces données, au même titre que pour les comptes bancaires classiques. Elle pourra ainsi enclencher plus rapidement des vérifications”, prévient l’avocat.

Le dispositif couvre en effet une information assez large. Les plateformes concernées sont celles établies dans l’Union européenne, mais aussi celles situées en dehors de l’Union, mais ayant des clients européens. La communication se fera de manière annuelle, et l’entrée en vigueur effective de DAC 8 est prévue pour le 1er janvier 2027. “Les premiers échanges d’informations auront lieu en 2027, mais ils concerneront les transactions à partir du 1er janvier 2026″, précise Julien Vallet.

… facilités et automatisés

Cela dit, contrairement aux comptes bancaires, pour lesquels un contrôle peut être relativement immédiat, l’analyse des données issues des plateformes crypto demandera une évaluation plus approfondie, fait observer Baptistin Alaime. “En effet, un même contribuable peut avoir des comptes sur plusieurs plateformes, et l’analyse fiscale devra tenir compte de l’ensemble de sa situation : la nature des transactions, son patrimoine, sa situation professionnelle, etc.”

Le traitement fiscal de la nouvelle taxe sur les plus-values qui concerne aussi les gains réalisés avec des cryptomonnaies dépendra notamment de la manière dont les investissements ont été réalisés, de leur ampleur, et relèvera des fameuses notions de gestion normale en bon père de famille, activité spéculative ou activité professionnelle, avertit Baptistin Alaime. “En d’autres termes, prolonge l’expert en fiscalité, les clients doivent s’attendre à davantage de contrôles, et des contrôles qui seront, pour une bonne part, automatisés.”

“Le niveau d’anonymat auquel certains étaient habitués va considérablement diminuer.” – Julien Vallet (Finst)

En somme, le constat est clair : “Le niveau d’anonymat auquel certains étaient habitués va considérablement diminuer, tranche Julien Vallet. Avec DAC 8, les autorités fiscales des pays de l’Union européenne auront accès aux informations concernant l’existence de comptes crypto détenus à l’étranger, les montants investis, les gains réalisés et les transferts opérés. Cela sonne la fin de l’anonymat fiscal pour les crypto-actifs détenus par des résidents européens”, résume le CEO de Finst.

Cryptos et comptes à l’étranger

Alors que la surveillance financière s’est fortement accrue ces dernières années, le nombre de Belges déclarant un compte bancaire à l’étranger continue d’augmenter. Selon le SPF Finances, près de 420.000 ménages ont mentionné un compte étranger dans leur déclaration fiscale, soit une hausse de 10% par rapport à 2023.

Cette progression va à contre-courant de ce que l’on aurait pu attendre avec l’automatisation de l’échange d’informations financières entre pays de l’OCDE. En cause ? L’essor des courtiers et autres fintechs d’origine étrangère, dont les services 100% digitaux séduisent par leur facilité d’accès et leurs frais réduits.

Des plateformes comme Trade Republic ou Revolut, qui permettent l’achat et la vente de cryptos, attirent de plus en plus d’investisseurs belges. Mais leurs services impliquent souvent l’ouverture de comptes non belges (IBAN étranger), ce qui oblige de les déclarer auprès du fisc.

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