Quiconque suit un tant soit peu la Bourse s’en souvient : le dernier trimestre 2018 n’annonçait rien de bon. Heureusement, les marchés financiers ont repris de la vigueur début 2019. Légère croissance ou crainte de récession ? C’est la question cruciale, déclare Peter Vanden Houte, Chief Economist chez ING Belgique.
La croissance économique s’est ralentie au cours du second semestre 2018. Il n’en fallait pas plus pour que la Bourse plonge. Mais que s’est-il donc passé ? Peter Vanden Houte : ” Il existe plusieurs explications, notamment un ralentissement dans des secteurs sensibles au taux d’intérêt, comme la construction ou l’industrie automobile. En ce qui concerne le marché automobile, cela a commencé dans les ‘pays émergents’. La Chine a été particulièrement impactée par la baisse des ventes de voitures au second semestre 2018. Une première en 20 ans ! Néanmoins, les Chinois continuent d’annoncer stoïquement et sans rougir des taux de croissance de 6 à 6,5%. ”
Parallèlement au ralentissement de l’industrie, le développement de la demande intérieure a lui aussi commencé à fléchir. ” Une baisse d’activité qui s’est également ressentie dans d’autres régions du monde : les pays exportateurs de produits finis vers la Chine ont vu leurs carnets de commandes s’amenuiser, et les pays fournisseurs de matières premières n’ont pas connu un meilleur sort. Comme un malheur n’arrive jamais seul, la FED (banque centrale américaine ou Federal Reserve) a relevé ses taux d’intérêt au même moment, ce qui a eu pour conséquence que les capitaux auparavant dirigés vers les pays émergents (en raison du faible taux d’intérêt américain) sont progressivement revenus vers les États-Unis. Cela avait déjà provoqué des tensions monétaires dès l’été 2018. Les pays émergents ont été contraints de relever leur taux d’intérêt ‘national’ pour empêcher une fuite trop importante de leurs capitaux. En Turquie, le taux directeur a même dû monter à plus de 20%, et le taux au jour le jour pour les entreprises à plus de 30%. En conséquence, la croissance de la Turquie, qui est pourtant un des meilleurs pays émergents, s’est complètement arrêtée. 2019 verra probablement une croissance nulle, peut-être même négative. ”
Le Rhin à son niveau le plus bas
En chiffres relatifs, l’Europe est plus dépendante de ses exportations que la gigantesque Chine, celles-ci pesant davantage dans notre PIB. Les ratés du moteur chinois et l’interminable saga du Brexit ont commencé à peser sur les investissements. ” L’Allemagne a par ailleurs également dû faire face à un ralentissement de son secteur automobile en raison de la baisse des exportations (vers la Chine). De plus, la production et la vente des voitures allemandes ont stagné car les fabricants ont tardé à se conformer aux nouvelles normes environnementales européennes. ”
Mais cela n’a pas été le seul problème auquel l’Allemagne a été confrontée. Peter Vanden Houte : ” Aussi incroyable que cela puisse paraître, le niveau du Rhin, au plus bas après la sécheresse estivale, a considérablement gêné le secteur de la chimie pour son approvisionnement en matières premières ainsi que pour l’exportation de ses produits finis. Il a entre-temps heureusement plu sur le pays. Cette pluie et la stabilisation du secteur automobile ont entraîné une reprise économique au premier trimestre 2019. ”
La FED change de course
” L’annonce par la FED de nouvelles hausses des taux d’intérêt fin 2018 a aussi refroidi l’économie mondiale, entraînant les marchés boursiers dans son sillage. Mais une reprise économique a rapidement suivi en raison d’une nouvelle annonce (par la même FED) qu’il ne serait ‘peut-être, enfin, probablement pas nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt’. Dans le même temps, l’inflation est restée faible, les salaires ont augmenté et le chômage a atteint son niveau le plus bas depuis 50 ans.
Tout cela indique qu’au cours des derniers trimestres, le gain de productivité s’est accéléré. La productivité avait un peu diminué ces dernières années en raison du vieillissement de la population et de l’effet, entre-temps émoussé, de grandes innovations (comme l’émergence du réseau Internet). Mais selon McKinsey, nous nous trouvons peut-être à la veille d’un nouvel élan de productivité. Grâce, eh oui, au développement de l’intelligence artificielle et de la robotisation… Quoi qu’il en soit, la FED n’augmentera plus ses taux d’intérêt cette année. L’augmentation des tarifs, tant pour le transport de conteneurs (Harpex Shipping Index) que pour le transport en vrac (Baltic Dry Index), est indicateur d’une nouvelle croissance mondiale depuis le début 2019. Le fait que ces tarifs soient en hausse indique une augmentation des échanges (et de la production). ”
Et la question cruciale est…
” On note donc à nouveau une légère amélioration mais la question cruciale reste la suivante : la croissance va-t-elle se poursuivre à son faible rythme, ou est-ce un dernier sursaut avant de s’arrêter ? Certains indicateurs montrent que nous nous approchons d’une récession cyclique. La Chine a, pour sa part, ouvert en grand tous les robinets monétaires. L’année dernière encore, le gouvernement freinait sa politique monétaire étant donné l’énorme niveau d’endettement du pays, mais il applique désormais une politique plus flexible à ce niveau, construit des infrastructures, opère une réduction de la TVA en mai 2019, etc.
Cette politique plus flexible et les investissements en Chine profitent à tout le monde. Une petite dose générale d’oxygène. Et en Europe aussi, grâce à une légère augmentation des importations chinoises. Dans le même temps, la baisse du chômage aux États-Unis (et aussi un peu en Europe) empêche une croissance rapide. Car pour que croissance il y ait, il faut que les gens travaillent.
Selon les calculs de la FED, il n’y aura probablement pas de récession en 2019, peut-être bien en 2020, avec 30% de chances. Les précédentes hausses des taux d’intérêt aux États-Unis laissent naturellement une marge pour de nouvelles baisses limitées de ces taux. ”
La tactique de Trump
Quelles sont pour le moment les conséquences des inconstances et négociations de Donald Trump à propos des taxes d’importation ? Ces augmentations améliorent-elles effectivement la balance commerciale des États-Unis ? ” Oui, peut-être légèrement au début 2019, mais cela pourrait davantage s’expliquer par les stocks de produits chinois que se sont constitué les entreprises américaines fin 2018. C’est en quelque sorte une amélioration ‘cosmétique’ de la balance commerciale. Donald Trump avait en effet commencé par annoncer que les droits d’importation sur les produits chinois allaient passer de 10 à 25% à partir de janvier 2019, avant de se raviser et de négocier d’abord avec la Chine.
C’est peut-être une tactique du président américain : commencer par menacer, pour obtenir des concessions par la suite ? Une fois ces questions chinoises ‘réglées’, il pourrait s’attaquer à l’Europe. En commençant par une taxe de 25% sur l’importation de voitures européennes. Ce qui, bien sûr, affecterait principalement l’Allemagne, entraînant une réduction de croissance de 0,1 à 0,2%. Rien d’insurmontable, mais un fameux coup quand même et rien de bien réjouissant pour les marchés financiers. ”
” La Chine a été impactée par la baisse des ventes de voitures au second semestre 2018. Une première en 20 ans ! ”
Un Brexit devenu surréaliste
“Le niveau d’endettement est moins extrême en Europe qu’aux États-Unis. Pourtant, malgré le faible niveau des taux d’intérêt, les entreprises européennes reportent leurs investissements. Cela s’explique par les incertitudes européennes, notamment à cause de ce Brexit qui commence à peser sur le moral. Une étude de la Banque Nationale sur les effets d’un Brexit dur montre que ce dernier aurait des conséquences néfastes pour la Belgique, les Pays-Bas et l’Irlande. Ces pays ont en effet une économie ouverte, axée sur les exportations, principalement vers le Royaume-Uni.
En Belgique, ces exportations représentent environ 3% du PIB. Cela peut ne pas sembler grand-chose mais si les problèmes logistiques d’un Brexit dur, notamment les camions bloqués dans les ports britanniques, font reculer les exportations de 10%, cela va quand même faire perdre à notre pays 0,3% de son PIB. Un indice significatif pour notre secteur du tapis, par exemple. En Europe, on voit s’installer une certaine lassitude par rapport au Brexit. Au Royaume-Uni, certains commencent à se demander combien de temps un report supplémentaire (c’est-à-dire après octobre) pourrait/devrait encore s’étendre ? Ce Brexit devient aussi lancinant qu’un mal de dents.”
La BCE en perd son latin
“La croissance a été assez bonne en Europe au cours du premier trimestre 2019, mais la Banque centrale européenne (BCE) se montre toutefois moins enthousiaste pour le trimestre en cours. La croissance annuelle devrait se situer entre 1 et 1,2%. Pas terrible mais pas de récession en vue. Jusqu’à récemment, la BCE avait augmenté le niveau des liquidités dans l’économie européenne en achetant des obligations (d’Etat) (Quantitative Easing).
Le président Mario Draghi a un problème à cet égard, dans la mesure où il avait été convenu de rester sous un certain plafond d’achat. Sinon, la BCE disposerait d’une majorité de blocage, ce qui pourrait conduire à un conflit d’intérêts en tant que créancier privilégié en cas de faillite d’un pays. La BCE deviendrait dès lors un acteur politique au lieu d’une institution monétaire.
La BCE s’abstient néanmoins de réduire le portefeuille obligataire et n’augmentera pas son taux directeur avant la fin 2019 (voire au-delà). D’autre part, avec un taux de chômage moyen d’environ 7,5%, il reste encore quelques gains de productivité à engranger dans la zone euro. Mais quoi qu’il en soit, l’économie ne croîtra pas beaucoup en 2020 par rapport à 2019.”