La crise qui s’est passée au Royaume-Uni pourrait se passer chez nous
La Belgique et l’Union européenne sont-elles immunisées contre une crise financière de la nature de celle qui a secoué le Royaume Uni et emporté la Première ministre Liz Truss? Non.
Les 45 jours du règne éphémère de la première ministre britannique Liz Truss, emportée par la fronde financière qui a suivi l’annonce de son “mini budget”, font réfléchir dans les chancelleries. La Réserve fédérale américaine aurait sondé quelques grandes sommités de Wall Street afin de voir si cela pouvait arriver aux Etats-Unis. Et selon le New York Times, la réponse a été affirmative. De même, chez nous, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle crise de la dette, à l’image de ce que la zone euro avait connu en 2010-2012.
Un avertissement
“Il y a certainement une leçon à prendre de la crise britannique, observe Etienne de Callataÿ, co-fondateur du gestionnaire d’actifs Orcadia. C’est l’importance de la perception des marchés financiers sur la politique menée par les pouvoirs publics. Bien sûr la situation de la Belgique est différente de celle du Royaume-Uni parce que nous sommes dans l’Union européenne et dans la zone euro. Nous ne sommes qu’une partie d’un tout. Et bien sûr, la Banque centrale européenne contrôle l’écartement des spreads (les écarts entre le taux allemand et ceux des autres pays, NDLR). Mais on ne peut pas exclure effectivement qu’une action de l’Union européenne dans son ensemble soit mal perçue et que cela entraîne un décrochage de l’euro ou en emballement des taux d’intérêt. On ne peut pas exclure non plus qu’un membre de l’Union, la Belgique ou un autre, soit victime d’un emballement des spreads”.
Philippe Ledent, professeur et senior economist auprès d’ING Belgique, abonde : “Ce qui s’est passé au Royaume-Uni est un avertissement très clair. La politique économique a “un couloir de vol” qu’il faut respecter. Et c’est valable pour n’importe quel Etat, certes avec des différences : les Etats-Unis bénéficient du fait que le dollar est une devise internationale, le Japon est fortement endetté mais a en miroir une forte épargne domestique. Mais chaque gouvernement a une zone de vol dont il ne peut s’écarter. Or, dit-il, c’est ce qu’a fait le Royaume-Uni. En annonçant de manière hasardeuse une baisse des impôts et un creusement de son déficit, le pays s’est exposé au fait que ses bailleurs de fonds ne veuillent plus vouloir le financer. Et cela peut directement se produire pour n’importe quel pays”.
Et cette réaction à priori étonnante des marchés, que l’on voit plutôt du côté de la droite conservatrice sur l’échiquier politique, est en réalité compréhensible, observe Etienne de Callataÿ. “Les marchés ont condamné une forme de gabegie budgétaire, qui auraient de plus profité aux plus nantis. Les marchés financiers nous disent qu’ils ne croient pas à la théorie du ruissellement (celle qui veut qu’un cadeau financier aux riches ruisselleraient aussi sur les plus modestes). Liz Truss était la meilleure incarnation du projet qui voulait faire de la City un “Singapour sur Tamise”, pratiquant le dumping fiscal et le moins-disant environnemental. “Quelqu’un comme Philippe van Parys avait souligné que cette concurrence fiscale et environnementale était le plus grand danger du Brexit, ajoute le responsable d’Orcadia. Les marchés y ont mis le holà. Et c’est pour moi très positif.”
Risque belge
Mais posons la question qui fâche : la Belgique et la zone euro pourraient-elles connaître un jour le même chaos que le Royaume-Uni ?
“Soyons honnêtes. Si la Belgique n’était pas dans la zone euro, nous serions probablement terriblement exposés à ce genre de tempête”, dit Philippe Ledent. D’autant que nous cochons certaines cases à risque : le marché de notre dette est petit et moins liquide que celui de grands pays comme la France ou l’Italie, et il est donc susceptible de faire davantage de soubresauts. Et puis, la Belgique a une dette importante et un avenir disons flou sur sa croissance future et l’évolution de ses finances publiques. “En dehors de la protection de la zone euro, la Belgique aurait été depuis longtemps exposée à ce genre de crise, que nous aurions pu connaître déjà lors de l’épidémie de covid. Je ne suis pas sûr que nous aurions pu accumuler un tel déficit si la BCE n’avait pas été là pour acheter cette nouvelle dette”, ajoute Philippe Ledent.
C’est donc un avertissement pour l’Etat fédéral, mais aussi pour les entités fédérées très endettées, comme la Wallonie. “Aujourd’hui, il n’y a pas de danger pour la Wallonie, précise Etienne de Callataÿ. Et grâce à la structure de sa dette avec une duration assez longue, même si les taux venaient à flamber demain, nous ne le sentirions pas immédiatement. Mais effectivement, c’est une mise en garde. Le ministre président wallon Elio Di Rupo a d’ailleurs ajusté son discours, en tenant des propos en ligne avec les principes d’orthodoxie budgétaire. Nous l’avons encore récemment vu lors du dernier budget wallon.”
Un euro écartelé
Si l’on étend l’horizon à la zone euro, le risque d’un écartèlement, voire d’un éclatement, est devenu lui aussi plus élevé. Et c’est dû à la remontée des taux. “Les obligations allemandes, qui auparavant ne rapportaient rien (elles étaient même grevées d’un taux négatif) recommencent à procurer un peu de rendement, explique Philippe Ledent. Et quand les taux remontent, les écarts de taux (les spreads) qui marquent les différences entre les différents émetteurs (Allemagne, France, Italie, Belgique…) s’élargissent eux aussi, poursuit-il. Face à l’Allemagne, qui représente le pays sans risque par excellence, le pays qui présente un risque plus élevé doit présenter aux investisseurs, pour continuer à les attirer, une carotte un peu plus appétissante”.
Aujourd’hui, les spreads obligataires ont augmenté pour cette raison. Ils n’ont pas augmenté, comme lors de la crise de l’euro, en raison de craintes réelles d’investisseurs sur la solvabilité de certains pays.
“Personne n’a vraiment envie de rajouter une crise de l’endettement à la crise actuelle aujourd’hui, ajoute l’économiste d’ING. Aujourd’hui, des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas sont contraints de fermer les yeux sur la situation budgétaire des pays de la zone euro parce que nous faisons face à une crise majeure.”
La réaction allemande a la crise, et plus précisément son plan de soutien de 200 milliards d’euros, a irrité certains pays de la zone euro, car il ajoute une tension supplémentaire. Si l’Allemagne veut compenser une grande partie des effets de la crise afin de ne pas oblitérer la performance de son économie, elle place les pays aux finances publiques plus fragiles dans un dilemme : soit ils aident eux aussi leur économie, s’endettent encore plus et s’exposent au risque qu’un jour les marchés ne veuillent plus les financer. Soit ils ne font rien, et handicapent leur compétitivité par rapport à l’économie allemande. “Et nous savons depuis la crise de la zone euro que le différentiel de performance économique est justement un déclencheur d’une crise de l’endettement sur les marchés”, souligne Philippe Ledent.
Il ajoute : “Et le jour où la crise se terminera, en 2023 en 2024, nous risquons de voir l’Allemagne, les Pays-Bas… remettre de l’ordre dans leurs finances publiques et exiger des autres d’en faire autant. A ce moment, nous pourrions nous retrouver, comme en 2010, dans une situation où les marchés recommenceraient à regarder l’état de l’endettement de chacun des Etats membres de la zone euro pour s’apercevoir que la situation de pays comme l’Italie, la France ou la Belgique se serait dégradée. La crise pourrait éclater rapidement. Donc oui, ce qui s’est passé au Royaume-Uni peut se passer en Europe”.
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